Conseil d'Etat, 7ème et 5ème sous-sections réunies, du 13 juin 2003, 233480, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision13 juin 2003
Num233480
Juridiction
Formation7EME ET 5EME SOUS-SECTIONS REUNIES
PresidentM. Robineau
RapporteurM. Bouchez
CommissaireM. Piveteau
AvocatsSCP LAUGIER, CASTON

Vu la requête, enregistrée le 9 mai 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Louis X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 15 mars 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 14 octobre 1997 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 19 mai 1994 du ministre des anciens combattants et victimes de guerre lui refusant l'attribution du titre de déporté résistant ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F (2 286,74 euros) au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

Vu l'arrêté du 22 janvier 1951 fixant la liste des camps et prisons établis par les Japonais en Indochine durant la guerre, considérés comme lieux de déportation ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bouchez, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Laugier, Caston, avocat de M. X,

- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;




Considérant qu'il résulte des dispositions des articles L. 272 et R. 292 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre que le titre de déporté résistant est attribué, après avis d'une commission nationale, aux personnes qui, pour acte qualifié de résistance à l'ennemi, ont été arrêtées par les Japonais après le 9 mars 1945 et détenues dans l'un des camps ou prisons classés comme lieu de déportation ; que l'article R. 287 du même code définit les actes qualifiés de résistance à l'ennemi, lesquels incluent notamment les actions offensives ou défensives dirigées soit contre les forces militaires de l'ennemi, soit contre les autorités ou organismes militaires ou policiers placés sous son contrôle ou les individus collaborant avec lui ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. X, alors caporal-chef au 10ème régiment mixte d'infanterie coloniale en garnison à Hué (Annam), a, le 9 mars 1945, échappé à l'encerclement et à la capture par les troupes japonaises et s'est joint à un groupe de résistants formé dans l'arrière-pays et mené par le capitaine Cuvier ; que, fait prisonnier le 10 juin 1945 au cours d'une opération de guérilla, il a été détenu dans plusieurs camps et prisons jusqu'à sa libération à la suite de la capitulation japonaise ;

Considérant qu'en estimant que c'est au sein d'une unité régulière de l'armée française que M. X a poursuivi la lutte après le coup de force du 9 mars 1945, alors que le groupe du capitaine Cuvier avait un caractère improvisé et n'était rattaché à aucune structure ou hiérarchie militaires régulières, la cour administrative d'appel de Bordeaux a dénaturé les faits de l'espèce ; qu'ainsi, M. X est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que la participation de M. X aux actions menées par le groupe du capitaine Cuvier doit être regardée comme un acte de résistance à l'ennemi au sens des dispositions susmentionnées du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que M. X était alors militaire en activité et que le groupe auquel il appartenait a été, par la suite, reconnu par l'autorité militaire comme unité combattante ; que c'est à raison de cette participation que M. X a été arrêté et emprisonné ; qu'il ressort du dossier qu'il a notamment été détenu dans le camp de Paksong, lequel a été classé par un arrêté du 22 janvier 1951 comme lieu de déportation ; qu'ainsi, M. X remplit les conditions fixées pour l'attribution du titre de déporté résistant ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre des anciens combattants et victimes de guerre a refusé de lui attribuer le titre de déporté résistant ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à payer à M. X la somme de 2 200 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;





D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 mars 2001 de la cour administrative d'appel de Bordeaux et le jugement du 14 octobre 1997 du tribunal administratif de Pau sont annulés.

Article 2 : La décision du 19 mai 1994 du ministre des anciens combattants et victimes de guerre refusant d'attribuer à M. X le titre de déporté résistant est annulée.

Article 3 : L'Etat est condamné à payer à M. X la somme de 2 200 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Louis X et au ministre de la défense.