Cour administrative d'appel de Paris, 6ème Chambre, 25/03/2013, 11PA00765, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 25 mars 2013 |
Num | 11PA00765 |
Juridiction | Paris |
Formation | 6ème Chambre |
President | M. FOURNIER DE LAURIERE |
Rapporteur | Mme Marie SIRINELLI |
Commissaire | M. DEWAILLY |
Avocats | DIEBOLD |
Vu la requête, enregistrée le 13 février 2011 au greffe de la Cour, présentée pour Mme F...E..., épouseC..., demeurant..., par MeB... ; Mme E...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0805850/5-2 du 18 novembre 2010 par laquelle le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à :
- l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre chargé de la fonction publique, le ministre chargé de l'agriculture et le ministre chargé de la défense ont rejeté les demandes dont elle les avait saisis, respectivement, le 21 décembre 2007, le 19 décembre 2007 et le 20 décembre 2007, tendant à obtenir le versement de la part des pensions dues à son défunt père, M. A...E..., qu'elle estime devoir lui revenir, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;
- la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 102 346 euros, sauf à parfaire, assortie de son actualisation à la date du jugement à intervenir et des intérêts de droit, soit une somme de 92 346 euros au titre du préjudice financier et une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;
2°) d'annuler les décisions implicites de rejet susmentionnées ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
Vu l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, modifié par l'article 148 de la loi du
31 décembre 1945 ;
Vu la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, modifiée ;
Vu le décret n° 65-822 du 24 septembre 1965 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 janvier 2013 :
- le rapport de Mme Sirinelli, rapporteur,
- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant MmeE... ;
1. Considérant que Mme F...E..., née le 3 mai 1945, a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre chargé de la fonction publique, le ministre chargé de l'agriculture et le ministre chargé de la défense ont rejeté les demandes dont elle les avait saisis, respectivement, le 21 décembre 2007, le 19 décembre 2007 et le 20 décembre 2007, tendant à obtenir le versement de la part des pensions dues à son défunt père, M. A...E..., qu'elle estime devoir lui revenir, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis ; qu'elle relève régulièrement appel du jugement du
18 novembre 2010 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;
Sur la compétence de la juridiction administrative de droit commun :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi susvisée du 31 juillet 1963 : "Sous réserve de la subrogation de l'Etat dans les droits des victimes ou de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française à la date de la promulgation de la présente loi ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou tout autre acte de violence en relation avec les événements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause, droit à pension." ; qu'aux termes de l'article L.79 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Toutes les contestations auxquelles donnent lieu l'application du livre Ier (à l'exception des chapitres Ier et IV du titre VII) et du livre II du présent code sont jugées en premier ressort par le tribunal départemental des pensions du domicile et en appel par la Cour régionale des pensions." ;
3. Considérant que ces dernières dispositions donnent aux juridictions des pensions une compétence générale et exclusive pour connaître de tous les litiges relatifs aux pensions militaires d'invalidité relevant du régime général comme des régimes spéciaux institués par ce code ; qu'en application du décret susvisé du 24 septembre 1965, le Tribunal départemental des pensions de Nîmes est compétent pour connaître des litiges qui concernent les ressortissants algériens résidant dans l'ancien département de Constantine ; qu'il en résulte que la demande présentée par Mme E...sur le fondement de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963, qui ne relève de la compétence des juridictions de droit commun de l'ordre juridictionnel administratif ni en première instance ni en appel, ressortit à la compétence de la juridiction administrative spécialisée que constitue le Tribunal des pensions de Nîmes ; qu'ainsi, le jugement attaqué doit être annulé en ce qu'il a statué sur cet aspect du litige ;
Sur la demande relative à la pension civile d'orphelin, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la défense :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 54 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en vigueur à la date du décès de M.E... : " Les veuves des fonctionnaires civils ont droit à une pension égale à 50 % de la pension obtenue par le mari ou qu'il aurait pu obtenir le jour de son décès et augmentée, le cas échéant, de la moitié de la rente d'invalidité dont le fonctionnaire bénéficiait ou aurait pu bénéficier ; / (...) " ; qu'aux termes de l'article 56 du même code : " Chaque orphelin a droit jusqu'à l'âge de vingt et un ans (...) à une pension égale à 10 % de la pension d'ancienneté ou proportionnelle obtenue par le père ou qu'il aurait pu obtenir le jour de son décès, et augmentée, le cas échéant, de 10 % de la rente d'invalidité dont il bénéficiait ou aurait pu bénéficier (...) / Au cas de décès de la mère (...), les droits définis au premier alinéa de l'article 54 passent aux enfants âgés de moins de vingt et un ans et la pension de 10 % est maintenue, à partir du deuxième, à chaque enfant mineur (...) " ; qu'aux termes de l'article 59 du même code : " Lorsqu'il existe une veuve et des enfants mineurs de deux ou plusieurs lits par suite d'un ou plusieurs mariages antérieurs du fonctionnaire, la pension de la veuve est maintenue au taux de 50 p. 100, celle des orphelins est fixée pour chacun d'eux à 10 p. 100 dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 56. / Lorsque les enfants mineurs issus de divers lits sont orphelins de père et de mère, la pension qui aurait été attribuée à la veuve au titre du premier alinéa de l'article 54 se partage par parties égales entre chaque groupe d'orphelins, la pension de 10 p. 100 des enfants étant, dans ce cas, attribuée dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 56 " ; qu'aux termes de l'article 73 du même code : " Toute demande de pension ou de rente viagère d'invalidité est adressée au ministre du département auquel appartient ou appartenait le fonctionnaire ou le militaire. Cette demande doit, à peine de déchéance, être présentée dans le délai de cinq ans à partir, pour le titulaire, du jour où il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite ou radié des cadres et, pour les ayants cause, du jour du décès du fonctionnaire ou du militaire " ; qu'enfin, aux termes de l'article 74 du même code : " Sauf l'hypothèse où la production tardive de la demande de liquidation ou de révision ne serait pas imputable au fait personnel du pensionné, il ne pourra y avoir lieu en aucun cas au rappel de plus d'une année d'arrérages antérieurs à la date du dépôt de la demande de pension " ;
5. Considérant que, par des motifs non contestés, le tribunal a estimé qu'il résultait de l'instruction qu'à la suite du décès de son père, la pension temporaire d'orphelin au taux de 10 % à laquelle pouvait prétendre Jacqueline E...en sa qualité d'enfant mineure issue d'un précédent lit ne lui avait été versée, d'abord par l'intermédiaire de MmeD..., veuve E...à compter du 1er août 1956, puis de son tuteur légal, l'assistance publique de Constantine, à compter du 11 janvier 1957, que jusqu'à son dix-huitième anniversaire, en l'espèce jusqu'au 1er juin 1963 ; qu'il en a déduit, sans que ces constatations ne soient contestées par aucune des parties devant la Cour de céans, que, dans ces conditions, Mme E... était fondée à soutenir que l'administration avait méconnu les dispositions combinées des articles 56 et 59 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans leur rédaction alors applicable et l'avait illégalement privée d'une partie de la pension d'orphelin à laquelle elle avait droit jusqu'à son vingt-et-unième anniversaire ;
6. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du
31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement " ; qu'aux termes de l'article 9 de cette même loi : " Les dispositions de la présente loi sont applicables aux créances nées antérieurement à la date de son entrée en vigueur et non encore atteintes de déchéance à cette même date " ; qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831 modifié : " Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat (...) toutes créances qui, n'ayant pas été acquittées avant la clôture de l'exercice auquel elles appartiennent, n'auraient pu être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années (...) " ;
7. Considérant qu'en application de ces dispositions, la créance dont se prévaut Mme E..., qui porte sur les arrérages de la pension à laquelle elle avait droit du 1er août 1956, date de liquidation des droits à pension civile acquis par son père, jusqu'au 3 mai 1966, date de son vingt-et-unième anniversaire, était prescrite en 2007, à la date de sa réclamation ; qu'en effet, si les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 s'appliquent partiellement à la créance en cause, et si Mme E...soutient que la prescription prévue par celles-ci ne sauraient lui être opposée dès lors qu'elle peut légitimement être regardée comme ayant ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 de cette loi, jusqu'en 2006, il ne ressort pas des pièces du dossier, qui attestent des démarches engagées de longue date par la requérante, que celle-ci n'aurait pas eu, avant cette date, connaissance de la créance en litige, alors d'ailleurs qu'elle avait bénéficié, jusqu'à sa majorité, de la tutelle de l'assistance publique ; qu'enfin et en tout état de cause, pour les deux années concernées par ces dispositions, soit 1965 et 1966, la requérante ne saurait utilement soutenir devant la Cour de céans que les dispositions précitées de la loi du 29 janvier 1831, qui ne prévoient pas la condition, pour permettre au délai prévu de courir, d'une connaissance de sa créance par le bénéficiaire, seraient contraires au principe général d'égalité ni, sans formuler ce moyen dans le cadre de la procédure prévue pour les questions prioritaires de constitutionnalité, que ces mêmes dispositions méconnaîtraient le principe constitutionnel d'égalité et l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; que, par suite, l'exception de prescription opposée à la demande de Mme E...doit être accueillie ;
Sur les conclusions tendant à la réparation des préjudices :
8. Considérant que Mme E...ne saurait recevoir réparation d'un préjudice financier correspondant à une créance qui, comme il a été dit précédemment, était prescrite à la date de sa réclamation ; qu'en revanche, c'est à bon droit et en se livrant à une juste appréciation, qui n'est au demeurant pas véritablement contestée par les parties devant la Cour de céans, que le tribunal a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 5 000 euros, tous intérêts confondus, en raison du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui ont résulté de l'erreur de droit commise par l'administration dans la liquidation de ses droits à pensions ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, pour ce qui concerne la partie du litige ressortant de la compétence de la juridiction administrative de droit commun, Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 18 novembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme E...au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La demande de Mme E...présentée au titre de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 est transmise au Tribunal des pensions de Nîmes.
Article 2 : Le jugement n° 0805850 du Tribunal administratif de Paris daté du 18 novembre 2010 est annulé en ce qu'il est contraire à l'article 1er de ce dispositif.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E...est rejeté.
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