Conseil d'État, 4ème sous-section jugeant seule, 18/12/2013, 352014, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 18 décembre 2013 |
Num | 352014 |
Juridiction | |
Formation | 4ème sous-section jugeant seule |
Rapporteur | M. David Moreau |
Commissaire | Mme Gaëlle Dumortier |
Avocats | SCP WAQUET, FARGE, HAZAN |
Vu le pourvoi, enregistré le 18 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de la défense et des anciens combattants ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10/00009 du 28 juin 2011 par lequel la cour régionale des pensions de Limoges a confirmé le jugement du 22 octobre 2010 du tribunal départemental des pensions de la Corrèze accordant à M. B...A...la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité calculée au grade d'adjudant-chef de l'armée de terre sur la base de l'indice du grade équivalent pratiqué pour les personnels de la marine nationale ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le décret n° 56-913 du 5 septembre 1956 ;
Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;
Vu le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M.A... ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Les pensions militaires prévues par le présent code sont liquidées et concédées (...) par le ministre des anciens combattants et des victimes de guerre ou par les fonctionnaires qu'il délègue à cet effet. Les décisions de rejet des demandes de pension sont prises dans la même forme " ; que, d'une part, en vertu de l'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, l'intéressé dispose d'un délai de six mois pour contester, devant le tribunal départemental des pensions, la décision prise sur ce fondement ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 78 du même code : " Les pensions définitives ou temporaires attribuées au titre du présent code peuvent être révisées dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation a été commise. / 2° Lorsque les énonciations des actes ou des pièces sur le vu desquels l'arrêté de concession a été rendu sont reconnues inexactes soit en ce qui concerne le grade, le décès ou le genre du mort, soit en ce qui concerne l'état des services, soit en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille, soit en ce qui concerne le droit au bénéfice d'un statut légal générateur de droits. / Dans tous les cas, la révision a lieu sans condition de délai (...) " ;
2. Considérant que le décalage défavorable entre l'indice de la pension servie à un ancien sous-officier de l'armée de terre, de l'armée de l'air ou de la gendarmerie et l'indice afférent au grade équivalent au sein des personnels de la marine nationale, lequel ne résulte ni d'une erreur matérielle dans la liquidation de sa pension, ni d'une inexactitude entachant les informations relatives à sa personne, ne figure pas au nombre des cas permettant la révision, sans condition de délai, d'une pension militaire d'invalidité ; qu'ainsi la demande présentée par le titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée à titre temporaire ou définitif sur la base du grade que l'intéressé détenait dans l'armée de terre, l'armée de l'air ou la gendarmerie, tendant à la revalorisation de cette pension en fonction de l'indice afférent au grade équivalent applicable aux personnels de la marine nationale, doit être formée dans le délai de six mois fixé par l'article 5 du décret du 20 février 1959 ; que, passé ce délai de six mois ouvert au pensionné pour contester l'arrêté lui concédant sa pension, l'intéressé ne peut demander sa révision que pour l'un des motifs limitativement énumérés aux 1° et 2° de cet article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a demandé, par lettres du 11 juillet 2006 et du 28 avril 2008, au ministre de la défense et des anciens combattants de recalculer la pension militaire d'invalidité qui lui avait été concédée à titre définitif par arrêté du 13 novembre 2006 en fonction de l'indice, plus favorable, afférent au grade équivalent dans la marine nationale ; que ces lettres ne pouvaient être regardées comme des demandes de révision relevant des dispositions de l'article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre mais uniquement comme des recours gracieux ; qu'ainsi, en se bornant à constater que la demande présentée par M.A..., le 14 avril 2008, devant le tribunal départemental des pensions de Paris, était dirigée, non à l'encontre de l'arrêté du 13 novembre 2006, mais contre la décision implicite de rejet de sa demande tendant à la revalorisation de sa pension, sans rechercher si cette demande avait été introduite dans le délai de six mois prévu par l'article 5 du décret du 20 février 1959, la cour régionale des pensions de Limoges a commis une erreur de droit ; que, par suite, le ministre de la défense et des anciens combattants est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; que, par voie de conséquence, les conclusions du pourvoi incident de M. A...tendant à ce que la date de revalorisation de sa pension soit fixée à une date antérieure au 28 avril 2005 sont devenues sans objet ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur l'appel principal du ministre de la défense :
5. Considérant, d'une part, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " La notification des décisions prises en vertu de l'article L. 24, premier alinéa, du présent code, doit mentionner que le délai de recours contentieux court à partir de cette notification et que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours " ; que, d'autre part, lorsque, postérieurement à la concession initiale de la pension, les bases de la liquidation viennent à être modifiées par une nouvelle décision, notamment par un arrêté portant, en application de l'article L. 29 du même code, révision de la pension pour aggravation d'une ou plusieurs des infirmités pensionnées, le délai de six mois imparti par l'article 5 du décret du 20 février 1959 pour contester les conditions de concession de la pension pour un motif autre que ceux limitativement énumérés à l'article L. 78 du même code, notamment en cas d'erreur de droit, n'est rouvert, à compter de la date à laquelle cette nouvelle décision est notifiée, que pour ceux des éléments de la liquidation ayant fait l'objet de la révision ; qu'ainsi, ce délai de recours contentieux court à compter du jour où la décision primitive, prise en application du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, a été notifiée au pensionné dans les formes prévues à l'article L. 25 du même code ou, à défaut, à compter du jour où l'arrêté par lequel cette pension a été concédée à titre définitif, en application du deuxième alinéa du même article L. 24, a été régulièrement notifié à l'intéressé, c'est-à-dire, pour les notifications postérieures à l'entrée en vigueur du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 dont est issu le dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965, avec la mention des voies et délais de recours ; que, lorsque le délai de recours contentieux ouvert contre l'arrêté portant concession de la pension à titre définitif, par confirmation ou modification de la décision primitive, est expiré, la notification ultérieure d'un arrêté portant révision du taux de cette pension ne peut avoir pour effet de rouvrir ce délai en vue de contester l'application du barème indiciaire sur le fondement duquel avait été initialement concédée la pension, par le moyen tiré du caractère discriminatoire de ce barème ; qu'il appartient à l'administration, lorsqu'elle oppose à l'intéressé la tardiveté de son recours, de justifier devant le juge de la date à laquelle elle a notifié la décision contestée et du respect des formes prescrites pour cette notification par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ;
6. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la décision primitive de concession de la pension d'invalidité de M.A..., prise en vertu du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, ait été notifiée à l'intéressé dans les formes prescrites par l'article L. 25 du même code ; qu'il n'est pas davantage justifié par l'administration de la notification à M. A...de l'arrêté du 9 mars 1982 portant concession à titre définitif de sa pension au taux de 15 % ; que, par ailleurs, si l'arrêté du 13 novembre 2006 par lequel l'administration a révisé cette pension en portant son taux à 30 % a été notifié au pensionné le 7 décembre 2006, il ne résulte pas de l'instruction que cette notification ait comporté l'indication des voies de recours en application du dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 ; qu'il suit de là que la notification effectuée le 7 décembre 2006 n'a pu faire courir le délai de recours contentieux et que, par suite, ce délai n'était pas expiré le 14 avril 2008, date à laquelle M. A...a saisi le tribunal départemental des pensions de Paris d'un recours tendant, d'une part, à contester le refus implicite opposé à sa demande de revalorisation, d'autre part, à obtenir la réformation de l'arrêté du 13 novembre 2006 lui ayant, en dernier lieu, concédé sa pension à titre définitif ;
7. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée ; que ces modalités de mise en oeuvre du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation des militaires qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps d'appartenance ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " La République française, reconnaissante envers les anciens combattants et victimes de la guerre qui ont assuré le salut de la patrie, s'incline devant eux et devant leurs familles. Elle proclame et détermine, conformément aux dispositions du présent code, le droit à réparation due : 1° Aux militaires des armées de terre, de mer et de l'air, aux membres des forces françaises de l'intérieur, aux membres de la Résistance, aux déportés et internés politiques et aux réfractaires affectés d'infirmités résultant de la guerre (...) " ; que les dispositions du code prévoient l'octroi d'une pension militaire d'invalidité aux militaires, quel que soit leur corps d'appartenance, aux fins d'assurer une réparation des conséquences d'une infirmité résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents dont ils ont été victimes à l'occasion du service ou de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; que le décret du 5 septembre 1956 relatif à la détermination des indices des pensions et accessoires de pensions alloués aux invalides au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre a fixé les indices de la pension d'invalidité afférents aux grades des sous-officiers de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la gendarmerie à un niveau inférieur aux indices attachés aux grades équivalents dans la marine nationale ; que le ministre de la défense n'invoque pas de considérations d'intérêt général de nature à justifier que le montant de la pension militaire d'invalidité concédée diffère, à grades équivalents, selon les corps d'appartenance des bénéficiaires des pensions ; que, par suite, le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal départemental des pensions de la Corrèze, auquel le tribunal départemental de Paris qui s'était estimé incompétent avait transmis le dossier de l'affaire, a fait droit à la demande de M. A...;
Sur l'appel incident de M. A...:
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l'expiration de la troisième année qui suit celle de l'entrée en jouissance normale de la pension, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures " ;
10. Considérant que M. A...a demandé à l'administration la revalorisation de sa pension, pour la première fois, par un courrier du 11 juillet 2006 ; que, par suite, il peut prétendre, en application des dispositions rappelées ci-dessus de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle il a présenté sa demande de revalorisation ainsi qu'aux trois années antérieures, c'est-à-dire à compter du 1er janvier 2003 ; qu'il y a lieu de réformer en conséquence le jugement du tribunal départemental des pensions de la Corrèze du 22 octobre 2010 ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Limoges du 28 juin 2011 est annulé.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de M.A....
Article 3 : La date d'effet de la revalorisation de la pension militaire d'invalidité servie à M. A... est fixée au 1er janvier 2003.
Article 4 : Le jugement du tribunal départemental des pensions de la Corrèze du 22 octobre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le recours du ministre de la défense devant la cour régionale des pensions de Limoges est rejeté.
Article 6 : L'Etat versera à M. A...une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au ministre de la défense et à M. B...A....