CAA de MARSEILLE, 8ème chambre - formation à 3, 27/12/2016, 15MA04744, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C...épouse D...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite par laquelle La Poste a rejeté sa demande formée le 24 février 2013 contre la décision de placement en retraite pour invalidité en date du 18 février 2013 ainsi que la décision en date du 6 juin 2013 par laquelle La Poste a refusé de lui octroyer une allocation temporaire d'invalidité, de condamner La Poste à lui verser la somme de 632 883 euros, en réparation des préjudices économique, financier et moral ainsi que de la perte des droits à la retraite qu'elle estime avoir subis, d'ordonner une expertise afin d'établir les dates et les taux d'incapacité et d'invalidité dont elle est atteinte et de préciser l'imputabilité au service de ses infirmités et d'enjoindre à La Poste de reconstituer sa carrière, de la placer en congés de longue maladie ou de longue durée pendant les périodes où elle a été placée en disponibilité d'office, de lui verser une allocation temporaire d'invalidité et de mettre à la charge de La Poste, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative le versement de la somme de 3 000 euros.
Par un jugement n° 1304115, 1401325 du 12 octobre 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 décembre 2015 et 4 mai 2016 Mme E... C...épouseD..., représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1304115, 1401325 du 12 octobre 2015 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler les décisions attaquées ;
3°) d'enjoindre à l'administration de calculer et payer les indemnités dues au titre de l'allocation temporaire d'invalidité à compter de l'accident de service de septembre 2004 et en tenant compte des conséquences psychologiques de l'accident, ou, à défaut de condamner l'administration à lui verser les sommes de 6 237 euros au titre de l'accident de 2004, et de 6 531 ,84 euros au titre de l'aggravation de 2008 pour la période du 3 décembre 2009 au 24 novembre 2013 ;
4°) de fixer la rente viagère à laquelle elle aurait eu droit par transformation de son allocation temporaire d'invalidité en pension, en tenant compte de la date à laquelle elle aurait dû être admise à la retraite ;
5°) d'ordonner la reconstitution de sa carrière et son placement en congé de longue maladie ou de longue durée pour les périodes d'indisponibilité, eu égard aux différentes pathologies dont elle a souffert ;
6°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de déterminer les dates et taux d'incapacité et d'invalidité dont elle a été atteinte durant sa carrière à La Poste, et de préciser l'imputabilité des différentes infirmités, et la qualification des différentes périodes d'arrêt de travail, ou tout autre mesure d'instruction utile aux débats ;
7°) de condamner La Poste à lui verser les sommes de 90 180 euros au titre de la reconstitution de carrière, 211 140 euros au titre de la perte de carrière induite par une mise à la retraite anticipée, 247 563 euros au titre de la perte dues au taux réduit des pensions de retraites perçues, 54 000 euros au titre de la majoration de ses cotisations d'assurance d'emprunt immobilier, et 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;
8°) de mettre à la charge de La Poste, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative le versement de la somme de 5 000 euros.
Elle soutient que :
- elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour répondre au mémoire en défense ;
- la compétence technique de la signataire des décisions attaquées et des médecins experts et membres de la commission de réforme ne paraît pas suffisante ;
- en l'absence de consultation de la commission de reclassement, réadaptation et réorientation, et du comité médical supérieur, ces décisions sont entachées de vices de procédure ;
- La Poste a méconnu les textes concernant les congés de longue maladie et les congés de longue durée ;
- elle n'a pas bénéficié, avant d'être placée en disponibilité, de la totalité des congés de maladie auxquels sa situation ouvrait droit ;
- les importants manquements de La Poste qui n'a notamment respecté ni les préconisations de la médecine de prévention, ni un temps de réadaptation professionnelle et n'a organisé aucune visite de reprise sont la cause de sa mise en invalidité ;
- l'administration a commis un détournement de procédure en utilisant l'inaptitude de son agent et en manipulant les données résultant des certificats médicaux ;
- elle a commis des erreurs de fait dans l'interprétation des certificats médicaux et des expertises, comme le démontre l'aggravation de son état de santé depuis qu'elle travaille à La Poste ;
- le comportement de La Poste à son égard est constitutif de harcèlement ;
- elle aurait pu prétendre à une allocation temporaire d'invalidité dès son accident de service de 2004 et subit un préjudice financier ;
- son placement en disponibilité a fait naître un préjudice financier ;
- une expertise permettrait de faire la lumière sur les contradictions entre les différents éléments médicaux fournis, tant sur la question de l'imputabilité des affections au service, que sur celle du taux d'invalidité retenu.
Par un mémoire enregistré le 24 mars 2016, La Poste, représentée par MeB..., conclut à titre principal à l'irrecevabilité, à titre subsidiaire au rejet de la requête et à la condamnation de Mme C... épouseD..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au versement de la somme de 3 000 euros.
La Poste fait valoir que :
- la requête est dépourvue de moyens et les demandes sont peu compréhensibles, et elle méconnaît l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
- la requête est tardive ;
- les moyens sont imprécis et infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 modifié par le décret n° 2000-832 du 29 août 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Schaegis,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant Mme C...épouseD..., et de Me B... représentant La Poste.
1. Considérant que Mme C... épouse D...a exercé les fonctions de guichetière à La Poste depuis le 14 novembre 1989, successivement dans des bureaux situés à Paris, Marseille, Aix-en-Provence puis Venelles ; qu'elle a été victime, le 2 septembre 2004 et le 24 septembre 2008, de deux accidents reconnus comme étant imputables au service ; que, par une décision du 20 septembre 2011, le directeur de La Poste a, d'une part, fixé la date de consolidation des conséquences du premier de ces accidents au 2 septembre 2005 et lui a accordé à ce titre un taux d'invalidité permanente partielle de 3%, d'autre part, fixé la date de consolidation des conséquences du second au 3 décembre 2009 et lui a accordé à ce titre un taux d'invalidité permanente partielle de 5% ; que Mme D... relève appel du jugement du 12 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de La Poste qui a rejeté sa demande formée le 24 février 2013 contre la décision de placement en retraite pour invalidité en date du 18 février 2013, ainsi que la décision du 6 juin 2013 par laquelle La Poste a refusé de lui octroyer une allocation temporaire d'invalidité, de condamner La Poste à lui verser la somme de 632 883 euros en réparation de préjudices économique, financier et moral ainsi que du préjudice lié à la perte de droits à la retraite, qu'elle estime avoir subis, d'ordonner une expertise afin d'établir les dates et les taux d'incapacité et d'invalidité dont elle est atteinte et de préciser l'imputabilité au service de ses infirmités et d'enjoindre à La Poste de reconstituer sa carrière, de la placer en congés de longue maladie ou de longue durée pendant les périodes où elle a été placée en disponibilité d'office, et de lui verser une allocation temporaire d'invalidité ; qu'elle demande à la Cour de réformer ce jugement ; que, compte tenu de l'existence d'un autre recours dirigé contre la décision de rejet de son recours gracieux tendant au retrait de la décision du 18 février 2013, ses conclusions doivent être regardées comme tendant également à l'annulation de la seule décision du 6 juin 2013 ; qu'elle conclut en outre à ce que le tribunal prenne des mesures d'injonction en conséquence de cette annulation, ordonne, si nécessaire, une expertise ou toute autre mesure d'instruction utile au débat et condamne La Poste à lui verser diverses sommes au titre de ses préjudices ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'en se bornant à déplorer le fait d'avoir manqué de temps pour répondre au mémoire en défense de La Poste en première instance, l'appelante n'établit pas que le déroulement de l'instruction aurait entraîné des conséquences révélant une irrégularité de nature à affecter le jugement entrepris ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'écarter ce moyen ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984 modifiée, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " Le fonctionnaire qui a été atteint d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'au moins 10% ( ...) peut prétendre à une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec son traitement (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 6 octobre 1960 susvisé, dans sa rédaction issue du décret n° 84-960 du 25 octobre 1984 : " L' allocation temporaire d'invalidité prévue à l'article 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État est attribuée aux agents maintenus en activité qui justifient d'une invalidité permanente résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux rémunérable au moins égal à 10% (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 dudit décret : " La réalité des infirmités invoquées par le fonctionnaire, leur imputabilité au service, les conséquences ainsi que le taux d'invalidité qu'elles entraînent sont appréciées par la commission de réforme prévue à l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Le pouvoir de décision appartient dans tous les cas au ministre dont relève l'agent et au ministre de l'économie et des finances " ;
4. Considérant, d'une part, que les séquelles dont souffre Mme D... à la suite de ses deux accidents de services de 2004 et 2008 ont été arrêtées à des taux de 3% et 5% par une décision de La Poste en date du 20 septembre 2011 ; que, par un arrêt devenu définitif, n° 14MA03922, en date du 31 mai 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté une requête de Mme D... tendant à l'annulation de cette décision ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à contester les taux retenus ;
5. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions précitées que l'allocation temporaire d'invalidité ne peut être accordée que lorsque la somme des taux d'invalidité résultant d'un accident de service est supérieure à 10% ; qu'en l'espèce, le total des deux taux étant égal à 8%, La Poste ne pouvait que refuser le bénéfice de cette prestation à
MmeD... ;
6. Considérant que si Mme D... soutient en outre que la cause de son invalidité résiderait dans les manquements de son employeur qui n'aurait notamment respecté ni les préconisations de la médecine de prévention, ni le temps de réadaptation professionnelle nécessaire à la suite de ses arrêts de travail, et n'aurait pas organisé de visite de reprise, ces circonstances, à les supposer établies, sont sans incidence sur le présent litige qui concerne exclusivement le refus de lui accorder le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité ; que, de même, la question de la régularité des décisions la plaçant en disponibilité est sans incidence sur le présent litige ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que La Poste étant tenue de refuser d'accorder le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité à son agent, les autres moyens d'annulation de la requête, au demeurant dépourvus de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, sont inopérants ;
8. Considérant que dans ces conditions, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'annulation de la décision du 6 juin 2013, et, par voie de conséquence, l'ensemble des conclusions tendant un prononcé de mesures d'injonction ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
9. Considérant, en premier lieu, qu'en conséquence de ce qui précède, la requérante n'est pas fondée à soutenir que La Poste aurait commis une faute résultant de l'illégalité de la décision attaquée ;
10. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il
ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;
/ 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de
tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;
que Mme D... soutient que le comportement de La Poste à son égard serait constitutif de harcèlement moral ; qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement, et qu'il incombe ensuite à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; qu'en l'espèce, il ressort de l'instruction que la requérante ne fait état, à l'appui de ses allégations, que de son affectation à Venelles, qu'elle estime inappropriée, et de la méconnaissance par La Poste de son état de santé ; que ces faits, à les supposer établis, ne sont pas de nature à révéler une situation de harcèlement moral au sens des dispositions précitées ;
11. Considérant que les fautes invoquées par la requérante ne sont pas établies ; que c'est donc à tort qu'elle recherche la responsabilité de La Poste pour les préjudices qu'elle invoque ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'indemnisation de sa requête ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de La Poste, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de condamner la requérante à verser à La Poste la somme de 1 500 euros à ce titre ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... épouse D...est rejetée.
Article 2 : Mme C... épouse D...versera à La Poste la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C...épouse D...et à La Poste.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2016, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président assesseur,
- Mme Schaegis, première conseillère.
Lu en audience publique, le 27 décembre 2016.
N° 15MA04744 2