CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 20/07/2021, 19MA05841, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... a demandé au tribunal des pensions militaires de Montpellier d'annuler la décision du 24 avril 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation des deux infirmités pensionnées " Acouphènes gauches permanents à type de sifflements : taux 20% " et " Hypoacousie gauche post traumatique : taux 10% ".
Par un jugement n° 18/00036 du 17 septembre 2019, le tribunal des pensions de Montpellier a rejeté la requête de M. E....
Procédure devant la Cour :
La cour régionale des pensions de Montpellier a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. E..., enregistrée à son greffe le 30 octobre 2019.
Par cette requête, et des mémoires enregistrés le 12 avril 2021 et le 25 juin 2021, M. E..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions de Montpellier du 17 septembre 2019 ;
2°) de lui accorder la révision de sa pension au titre de l'aggravation de l'infirmité " Acouphènes gauches permanents à type de sifflements " au taux de 30% ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale.
Il soutient que :
- l'expert n'a pas distingué entre les causes liées à sa blessure et des causes indépendantes pour apprécier l'aggravation de son infirmité " Acouphènes gauches permanents à type de sifflements " ;
- l'aggravation de cette infirmité n'est pas due à sa maladie de Ménière et à son hypertension artérielle ;
- le taux d'invalidité de cette infirmité, fixé initialement à 20%, doit être porté à 30%.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 16 mars 2021 et le 27 avril 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
La ministre fait valoir que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 9 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juin 2021 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., né le 12 octobre 1958, appelé du contingent, a été rayé des contrôles de l'armée de terre le 1er décembre 1981 au grade de maréchal des logis. Victime de l'explosion d'une grenade à plâtre le 10 mars 1981, il est titulaire d'une pension militaire d'invalidité avec jouissance au 1er janvier 2006, au taux global de 35%, pour deux infirmités " Acouphènes gauches permanents à type de sifflements : taux 20% " et " Hypoacousie gauche post traumatique : taux 10% ". Il relève appel du jugement du 17 septembre 2019 par lequel le tribunal des pensions de Montpellier a rejeté sa requête contre la décision du 24 avril 2018 par laquelle la ministre de la défense a rejeté sa demande de révision de cette pension présentée le 3 novembre 2016 au titre de l'aggravation de ses infirmités en tant que le tribunal a rejeté ses conclusions portant sur l'infirmité " Acouphènes gauches permanents à type de sifflements ".
2. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable au litige : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ". Il résulte des dispositions de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé.
3. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 9 juin 2008 devenue définitive, le ministre de la défense a rejeté la demande de révision que M. E..., alors titulaire d'une pension militaire d'invalidité pour la seule infirmité " acouphènes gauches permanents à titre de sifflements ", avait présentée au motif que l'hypoacousie de l'oreille gauche dont il demandait réparation devait en réalité être scindée en une infirmité " hypoacousie gauche post-traumatique, imputable au blast du 10 mars 1981 mais restant évaluée à 0 % et en une infirmité " baisse de l'audition par évolution d'une maladie de Ménière ", laquelle résultait de maladie étrangère au service et n'avait pas été aggravée par celui-ci.
4. Le médecin mandaté par l'administration pour examiner M. E... a constaté dans son rapport établi le 5 décembre 2017 que si l'hypoacousie de l'oreille gauche dont le requérant est atteint ne s'était pas aggravée, le taux d'invalidité correspondant aux acouphènes aigus et permanents devait au contraire être porté de 20 % à 30 % en raison d'une aggravation, révélée notamment par les troubles du sommeil et de la surdité générés ainsi que par une intolérance au bruit. Sans remettre en cause la réalité de cette aggravation, le médecin conseil chargé des pensions militaires d'invalidité à la sous-direction des pensions a relevé dans son avis du 25 janvier 2018, d'une part, que la maladie de Ménière et l'hypertension artérielle dont M. E... souffre également étaient susceptibles d'intervenir dans l'aggravation des acouphènes, d'autre part, que les acouphènes consécutifs à un blast ne s'aggravent pas en l'absence de nouveaux traumatismes sonores ou autres pathologies. Pour rejeter la demande de révision pour aggravation formulée par le requérant, le tribunal des pensions s'est fondé sur les dispositions précitées de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre après avoir estimé que la part de l'aggravation de l'infirmité en litige exclusivement imputable à l'accident du 10 mars 1981, était nécessairement inférieure à 10% compte tenu de l'existence des deux causes étrangères relevées dans l'avis précité du 25 janvier 2018.
5. D'une part cependant, il ne résulte pas du rapport du 5 décembre 2017 rendu par l'expert administratif, qui a eu en mains le dossier de l'intéressé, que la maladie de Ménière et l'hypertension artérielle aient eu une incidence sur l'aggravation des acouphènes dont M. E... est atteint, l'avis du 25 janvier 2018 se bornant d'ailleurs à indiquer que ces pathologies étrangères au service étaient susceptibles de contribuer à cette aggravation. Il n'est pas allégué en défense que ces deux pathologies se seraient elles-mêmes aggravées. D'autre part, l'administration ne démontre par aucun document médical notamment que des acouphènes d'origine traumatique ne s'aggravent jamais dans le temps en l'absence d'un autre traumatisme sonore alors qu'il résulte au contraire des mentions de la décision du 9 juin 2008 citée au point 3 qu'en ce qui concerne l'hypoacousie gauche consécutive au blast subi par M. E... le 10 mars 1981, le taux d'invalidité de cette dernière infirmité était évalué à la date de cette décision à 0 % alors que ce taux est aujourd'hui fixé à 10 %. Dans ces conditions, conformément aux dispositions de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, l'aggravation des acouphènes gauches doit être prise en considération dès lors qu'il n'est pas établi que le supplément d'invalidité de 10 % n'est pas exclusivement imputable à la blessure constitutive de cette infirmité.
6. Il résulte de tout ce qui ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, M. E... est fondé à soutenir, d'une part, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Montpellier a rejeté sa demande, d'autre part, qu'il a droit à la révision de la pension militaire d'invalidité dont il est titulaire dans les conditions précisées au point 5.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions de Montpellier du 17 septembre 2019 est annulé.
Article 2 : M. E... a droit à la révision de la pension militaire d'invalidité dont il est titulaire par suite de l'aggravation de l'infirmité " Acouphènes gauches permanents à type de sifflements " dont le taux doit être porté à 30 %.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2021, où siégeaient :
' M. d'Izarn de Villefort, président,
' M. A..., premier conseiller,
' Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 juillet 2021.
N° 19MA05841 5