CAA de NANTES, 6ème chambre, 09/11/2021, 21NT00620, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal des pensions militaires d'Angers d'annuler l'arrêté de concession de pension militaire d'invalidité du 16 août 2016 rejetant sa demande tendant à la révision de sa pension afin que lui soit accordée une pension militaire d'invalidité d'un taux supérieur à 85 % à compter du 17 mai 2011.
Par un jugement n° RG 16/00009 du 15 juin 2018, le tribunal des pensions militaires a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° RG 18/00003 du 26 avril 2019, la cour régionale des pensions d'Angers a, sur appel de M. C..., réformé ce jugement et jugé que le taux de la pension d'invalidité de l'intéressé devait être calculé, à compter du 17 mai 2011, en tenant compte d'une hypoacousie au taux de 100%.
Par une décision du 3 mars 2021 le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt de la cour régionale des pensions d'Angers en tant qu'il a réformé le jugement du tribunal des pensions d'Angers et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la présente cour, devenue compétente pour statuer sur ce type de litige à compter du 1er novembre 2019 en vertu de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
Procédure devant la cour :
Par un mémoire enregistré le 6 avril 2021 et un mémoire enregistré le 15 septembre 2021 non communiqué, M. C..., représenté par Me Deniau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions militaire d'Angers du 15 juin 2018 ;
2°) de lui accorder, le cas échéant après avoir ordonné une nouvelle expertise médicale, une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % à compter du 17 mai 2011, à tout le moins de fixer ce taux à plus de 85 % à compter du 17 mai 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, les entiers dépens ainsi que le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- selon l'expertise du docteur A..., il souffre d'une surdité bilatérale évolutive en rapport avec un traumatisme sonore survenu en 1960 lors des combats au cours de la guerre d'Algérie alors qu'il était lanceur à main de grenades offensives ; il a en outre été victime de trois blessures au niveau de la tête qui ont aggravé son audition ; le taux d'invalidité de cette infirmité doit en conséquence être porté à 100 % et calculé à compter du 17 mai 2011 ;
- il est fondé à se prévaloir d'une aggravation de sa pathologie au genou ;
- l'aggravation de ses autres pathologies est en lien avec son activité militaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que le litige est limité à l'aggravation de l'infirmité " hyperacousie bilatérale " à compter de la date de sa demande de révision le 8 avril 2014 de sorte que les conclusions de M. C... concernant les autres infirmités sont irrecevables.
Elle ajoute, pour le surplus, que les moyens soulevés par l'intéressé ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me Deniau, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., qui est né le 13 juin 1937, est un militaire de carrière à la retraite depuis le 4 septembre 1989. A la suite d'une blessure occasionnée durant la guerre d'Algérie alors qu'il était lanceur à main de grenades offensives, il a présenté une hypoacousie bilatérale pour laquelle il perçoit une pension militaire d'invalidité au taux de 40 %. Le 8 avril 2014, l'intéressé, qui souffre par ailleurs de plusieurs autres infirmités pensionnées, a sollicité la révision de sa pension militaire d'invalidité. Par un arrêté du 16 août 2016, sa demande de reconnaissance de l'aggravation de l'hypoacousie dont il souffre a été rejetée. L'intéressé a contesté cette décision. Par un arrêt du 26 avril 2019, la cour régionale des pensions d'Angers a réformé le jugement des pensions militaires rendu le 15 juin 2018, en jugeant que le taux de la pension d'invalidité de M. C... devait être calculé, à compter du 17 mai 2011, en tenant compte d'une hypoacousie au taux de 100 %. Le 3 mars 2021, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la présente cour.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre des armées :
2. M. C... demande de lui accorder, le cas échéant après avoir ordonné une nouvelle expertise médicale, une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % à compter du 17 mai 2011, à tout le moins de fixer ce taux à plus de 85 % à compter du 17 mai 2014. S'il évoque dans ses écritures l'ensemble des infirmités dont il est atteint, le Conseil d'Etat n'a invalidé l'arrêt de la cour régionale des pensions d'Angers du 26 avril 2019 qu'en tant qu'il a réformé le jugement du tribunal des pensions d'Angers du 15 juin 2018 et jugé que le taux de la pension d'invalidité de l'intéressé devait être calculé, à compter du 17 mai 2011, en tenant compte d'une hypoacousie au taux de 100%. Par suite, la ministre est fondée à soutenir que les conclusions de M. C... relatives à ses autres infirmités sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur l'aggravation de l'hyperacousie bilatérale dont souffre M. C... :
3. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : "Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée (...). Toutefois l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée.".
4. Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
5. Il résulte de l'expertise réalisée le 11 juillet 2014 par un oto-rhino-laryngologiste que M. C... souffre d'une surdité bilatérale " évolutive " en rapport avec un traumatisme sonore survenu en 1960. Cet expert, qui n'a évoqué aucune autre pathologie auditive qui serait liée à l'âge de l'intéressé, a proposé de fixer le taux d'invalidité correspondant à cette affection à 100 %. Pour rejeter la demande de révision présentée par M. C... en tant qu'elle porte sur son hypoacousie bilatérale, la ministre des armées s'est fondée sur le motif tiré de ce que cette infirmité pensionnée ne s'est en réalité pas aggravée, la baisse d'audition constatée ne pouvant, selon elle, être en relation avec l'accident de service survenu en 1960 alors qu'il est radié des contrôles depuis plus de 25 ans. Elle invoque, sans toutefois le documenter, les connaissances médicales généralement admises qui reconnaissent le caractère stationnaire, voire régressif, des hypoacousies d'origine sono traumatique lorsque le sujet n'est plus soumis à des agressions sonores répétées. La ministre des armées ne justifie cependant pas de ces allégations alors que l'expert a constaté le 11 juillet 2014 chez M. C... une surdité profonde avec une perte auditive moyenne de plus de 100 décibels au niveau des deux oreilles sans évoquer l'apparition d'une nouvelle pathologie qui justifierait cette aggravation. Dans ces conditions, en l'absence d'éléments médicaux de nature à invalider la proposition de l'expert et démontrant l'apparition d'une nouvelle pathologie indépendante liée uniquement au vieillissement, M. C... a droit à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " hypoacousie bilatérale" dont il souffre. Le taux d'invalidité de cette infirmité doit être porté à 100 %, à la date de sa demande présentée le 8 avril 2014.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, que M. C... est fondé, dans la limite mentionnée ci-dessus, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'Angers a rejeté sa demande.
Sur la liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. C... :
7. La ministre des armées procédera à la liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. C... sur la base d'un taux de 100 % à compter du 8 avril 2014 pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale" dont il souffre.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La ministre des armées procédera à la liquidation de la pension militaire d'invalidité allouée à M. C... sur la base d'un taux de 100 % à compter du 8 avril 2014 pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale ".
Article 2 : Le jugement du tribunal des pensions militaires d'Angers en date du 15 juin 2018 ainsi que la décision du 16 août 2016 de la ministre des armées en tant qu'ils concernent l'infirmité mentionnée à l'article 1er sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 novembre 2021.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I.PETTON
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00620