CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 18/11/2021, 19BX03897, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Toulouse d'annuler la décision du 20 mars 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande d'attribution de la majoration de 5 % prévue à l'article L. 125-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et de la majoration pour tierce personne prévue à l'article L. 133-1 de ce code.
Par un jugement du 16 avril 2019, le tribunal a annulé cette décision et enjoint à la ministre des armées, avec effet à compter du 8 août 2017, de liquider la pension de M. B... au taux de 100 % + 3 degrés et de lui allouer la majoration pour tierce personne prévue au premier alinéa de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 mai 2019 et des mémoires enregistrés les 17 juin
et 9 décembre 2019, la ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la majoration de la pension :
- elle ne conteste pas l'impossibilité d'appareillage ; toutefois, la majoration de 5 %, prévue à l'article L. 125-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre lorsque l'amputation ne permet pas le port d'une prothèse, est une part constitutive de la pension accordée pour la gêne fonctionnelle des diverses infirmités siégeant sur le membre, et lorsque ces infirmités justifient déjà un taux de 100 %, le droit théorique à la majoration ne permet pas d'augmenter le taux de la pension ; M. B... étant déjà titulaire d'une pension au taux maximum de 100 % pour l'amputation du bras gauche (90 %) et les troubles névritiques y afférents (10 %), il ne peut prétendre à une majoration de 5 % pour l'impossibilité d'appareiller ce bras ; c'est ainsi à tort que le tribunal a fait droit à la demande de majoration ;
En ce qui concerne la majoration pour tierce personne :
- selon le certificat médical du 9 novembre 2017 établi lors de l'instruction de la demande, M. B..., qui a seulement besoin d'aide pour l'habillage, le déshabillage, la toilette et les repas, peut réaliser certains gestes de la vie courante ; les actes pour lesquels il a besoin d'aide peuvent être soumis à un horaire préétabli ; eu égard à la rédaction de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, il n'a pas droit à la majoration pour tierce personne.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 août 2019, M. B..., représenté
par Me Agboton, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge
de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que :
- la décision de rejet de la ministre des armées est irrégulière dès lors que l'administration a omis de statuer sur sa demande de majoration de 5 % au motif qu'il ne supporte pas l'appareillage ;
- les moyens invoqués par la ministre des armées ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 14 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive, concédée au taux de 100 % + 1 degré par arrêté du 6 juillet 1967, avec jouissance à compter du 25 avril 1964, pour les infirmités, relatives à des blessures reçues en service commandé le 1er mars 1960, d'amputation du bras gauche (90 %), de troubles névritiques du moignon (10 %) et de scoliose dorsale (10 %). Le 8 août 2017, il a sollicité l'attribution de la majoration de 5 % prévue à l'article L. 125-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et de la majoration pour tierce personne prévue à l'article L. 133-1 de ce code. Par une décision
du 20 mars 2018, la ministre des armées a rejeté cette demande. La ministre relève appel du jugement du 16 avril 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires de Toulouse a annulé cette décision et lui a enjoint de liquider la pension de M. B... au taux de 100 % + 3 degrés correspondant à l'admission de la majoration de 5 %, et d'allouer à l'intéressé la majoration pour tierce personne prévue au premier alinéa de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, le tout avec effet à compter du 8 août 2017.
Sur la majoration de 5 % :
2. Aux termes de l'article L. 125-8 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre: " Sous réserve des dispositions de l'article L. 125-9, dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne une invalidité de 100 %, le taux d'invalidité est calculé ainsi qu'il suit : / 1° Les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité ; / 2° L'infirmité la plus grave est prise en considération pour l'intégralité du taux qui lui est applicable ; / 3° Le taux de chacune des infirmités supplémentaires est pris en considération proportionnellement à la validité restante ; / 4° Quand l'infirmité principale entraîne une invalidité d'au moins 20 %, le taux d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires est majoré de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité. " Aux termes de l'article L. 125-9 du même code : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 125-8, le taux prévu pour les troubles indemnisés sous forme de majoration aux guides-barèmes mentionnés à l'article L. 125-3 est additionné au pourcentage d'invalidité de l'infirmité à laquelle elle se rattache. / Lorsque l'amputation d'un membre ne permet pas le port d'un appareil de prothèse, elle ouvre droit à une majoration de 5 % qui s'ajoute au pourcentage d'invalidité correspondant à l'amputation. " L'article L. 125-3 prévoit que : " Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, jusqu'au taux de 100 %, par référence au taux d'invalidité apprécié de 5 en 5. / (...)." Enfin l'article L. 125-10 dispose que : " Dans le cas d'infirmités multiples dont l'une entraîne une invalidité pensionnée à 100 %, il est accordé, pour tenir compte de l'infirmité ou des infirmités supplémentaires, un complément de pension calculé sur la base de 16 points d'indice par tranche de 10 % d'invalidité. Chaque tranche de 10 % prend le nom de degré. / Si, à l'infirmité la plus grave, s'ajoutent deux ou plus de deux infirmités supplémentaires, le total du complément de pension est calculé en accordant pour chacune de ces infirmités supplémentaires la majoration prévue au 4° de l'article L. 125-8. / (...)."
3. Ainsi que le reconnaît M. B..., l'administration a ajouté, en application de l'article L. 125-9 précité, les taux d'invalidité de la première infirmité due à l'amputation du bras gauche, reconnue comme pensionnable à 90 %, et de la seconde évaluée à 10 % au titre des troubles névritiques du moignon, pour lui accorder une pension au taux de 100 %, plus avantageuse que celle qui aurait résulté de l'application, selon les règles fixées à l'article L. 125-8, du taux de la seconde infirmité à la validité restante après la prise en compte de la première, même majorée pour impossibilité d'appareillage. Elle a ensuite ajouté à l'infirmité ainsi unifiée la reconnaissance de la scoliose évaluée à 10 %, qui a donc fait l'objet du complément de pension prévu à l'article L. 125-10 à raison d'un " degré ". Dans ces circonstances, et ainsi que le soutient la ministre, aucune majoration au titre du caractère non appareillable du membre supérieur gauche ne pouvait utilement être appliquée pour porter le taux de la pension au-delà du maximum légal. Par suite, la ministre est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal lui a enjoint de liquider la pension en faisant application de cette majoration, aboutissant à un droit de 3 degrés au-delà de la pension de 100 %.
Sur la majoration pour tierce personne :
4. Aux termes de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie et qui, vivant chez eux, sont obligés de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne, ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension. / (...) " Cette disposition ne peut être interprétée comme exigeant que l'aide d'un tiers soit nécessaire à l'accomplissement de la totalité des actes nécessaires à la vie. Elle impose toutefois que l'aide d'une tierce personne soit indispensable ou bien pour l'accomplissement d'actes nombreux se répartissant tout au long de la journée, ou bien pour faire face soit à des manifestations imprévisibles des infirmités dont le pensionné est atteint, soit à des soins dont l'accomplissement ne peut être subordonné à un horaire préétabli, et dont l'absence mettrait sérieusement en danger l'intégrité physique ou la vie de l'intéressé.
5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise organisée par l'administration, que M. B... a besoin de l'assistance d'une tierce personne durant deux heures par jour en raison d'une impossibilité, du fait des infirmités pensionnées, de faire sa toilette, de se vêtir et se dévêtir totalement et de manger et boire seul. Ce dernier acte de la vie quotidienne se répartit tout au long de la journée, et la ministre des armées, qui ne conteste pas l'incapacité de l'effectuer seul retenue par l'expert, ne peut utilement invoquer la possibilité de prodiguer l'aide nécessaire à des horaires préétablis, cette condition étant applicable aux soins et non aux actes de la vie quotidienne. Par suite, et alors même que M. B... reste autonome pour une partie des actes de la vie courante, il a droit à la majoration prévue à l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est seulement fondée
à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires
de Toulouse a annulé sa décision du 20 mars 2018 en tant qu'elle a rejeté la demande
de majoration de 5 % prévue au 4° de l'article L. 125-8 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, et qu'il lui a enjoint de liquider la pension de M. B... au taux de 100 % + 3 degrés.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions militaires de Toulouse du 16 avril 2019 est annulé en tant qu'il a annulé la décision de la ministre des armées du 8 août 2017 rejetant la demande de majoration de 5 % prévue au 4° de l'article L. 125-8 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et qu'il a enjoint à la ministre de liquider la pension
de M. B... au taux de 100 % + 3 degrés.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. C... B....
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX03897