CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 29/12/2021, 19BX04062, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal des pensions de Pau d'annuler la décision du 26 janvier 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour les infirmités de lombalgies et de cervicalgies chroniques
post-traumatiques.
Par un jugement du 21 février 2019, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 26 mars 2019 et un mémoire ampliatif enregistré le 17 avril 2019, Mme C..., représentée par Me Marbot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de lui reconnaître un droit à pension au taux de 10 % pour chacune des deux infirmités de lombalgies et de cervicalgies chroniques post-traumatiques, ou à titre subsidiaire d'ordonner une expertise afin de se prononcer sur le lien entre ces infirmités et l'accident du 5 août 2002 ;
3°) d'annuler la décision du 26 janvier 2017 et d'enjoindre à la ministre des armées de statuer à nouveau sur sa demande en tenant compte de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 3 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen relatif au taux de l'infirmité de cervicalgies chroniques, évalué à 10 % par l'expert désigné par l'administration, que cette dernière met en cause en qualifiant arbitrairement les séquelles de " minimes " ; le jugement doit ainsi être annulé ;
- elle établit la continuité des soins entre 2002 et 2005, de sorte que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il n'y a pas eu de rupture dans la chaîne de causalité ; le tribunal n'a pas tenu compte du rapport circonstancié de l'accident établi le 16 juin 2014, mentionnant des cervicalgies et des lombalgies post-traumatiques ; un certificat médical établit qu'elle a été suivie de façon permanente jusqu'en 2010 pour des problèmes de lombalgies et de cervicalgies, et un autre précise qu'elle est suivie depuis 2005 pour des lombalgies aiguës évoluant depuis l'accident de 2002 ; ces éléments constituent un commencement de preuve suffisant pour renvoyer la charge de la preuve à l'administration, ou à tout le moins faire trancher la question par un expert.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 janvier 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- le litige ne porte pas sur les taux de 10 % retenus par l'expert pour chacune des deux infirmités, mais sur l'existence d'une relation médicale certaine, directe et déterminante entre l'accident de la circulation du 5 août 2002 et les pathologies ;
- c'est à bon droit que le tribunal a retenu une rupture dans la chaîne de causalité pour rejeter la demande ;
- en l'absence d'une filiation médicale avérée, une expertise serait sans utilité.
Mme C... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., caporale-cheffe de l'armée de terre, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive, concédée au taux de 10 % par arrêté du 21 février 2005, pour l'infirmité de séquelles de traumatisme du genou gauche. Le 29 janvier 2015, elle en a sollicité la révision pour les infirmités nouvelles de lombalgies et de cervicalgies chroniques post-traumatiques qu'elle attribuait à un accident de la circulation survenu en service le 5 août 2002. Par une décision du 26 janvier 2017, le ministre de la défense a rejeté sa demande au motif que les taux d'invalidité étaient inférieurs au minimum indemnisable pour des maladies, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de rechercher l'origine des infirmités. Mme C... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions de Pau, lequel, par un jugement avant dire droit
du 11 janvier 2018, a enjoint aux parties de produire les pièces médicales et administratives afférentes à l'accident du 5 août 2002, puis, par un jugement du 21 février 2019, a rejeté la demande au motif que l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'accident et les infirmités de lombalgies et de cervicalgies chroniques n'était pas établie. Mme C... relève appel de ce dernier jugement. La procédure a été transmise à la cour administrative d'appel de Bordeaux en application de la loi du 13 juillet 2018 susvisée.
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de pension : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service / (...). " Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / (...) / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. " Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % (...)".
3. Il résulte de l'instruction que le 5 août 2002, Mme C..., qui conduisait un véhicule dans le cadre du service, a été victime d'un accident de la circulation et a été transportée par les pompiers au centre hospitalier de Brignoles dont elle est sortie le 8 août 2002 avec un diagnostic de cervico-dorso-lombalgies secondaires à un accident de la voie publique et une prescription de Tétrazépam, spécialité myorelaxante indiquée pour le traitement des contractures musculaires. Le dossier médical militaire précise que l'intéressée présentait le 5 août 2002 des contusions multiples, et qu'elle a été déclarée apte à la reprise du travail avec une exemption de port de charge et de sport le 8 août 2002. A cette dernière date, la persistance d'une
cervico-dorsalgie d'origine musculaire a été constatée et a donné lieu à la prescription de séances d'électrothérapie. Mme C... a été déclarée inapte à la conduite de poids-lourds
le 5 septembre 2002, et le commandant de la compagnie à laquelle elle était alors affectée atteste qu'elle souffrait de douleurs multiples à la jambe et au dos, qu'elle a été affectée au bureau administratif de la compagnie, et qu'elle a bénéficié d'autorisations d'absence pour des séances de kinésithérapie. La poursuite d'une kinésithérapie pour des douleurs cervicales est attestée par le commandant de l'unité que Mme C... a rejointe postérieurement au mois
d'août 2003. Le 25 janvier 2005, le dossier médical fait état de lombalgies chroniques, c'est-à-dire persistantes dans la durée antérieurement à cette date. Par la suite, cette pathologie est documentée dans le dossier médical avec deux épisodes de lombalgie aiguë les 19 mai et
20 juin 2005, le second entraînant une inaptitude à la station debout prolongée, puis
le 25 juin 2005 avec la " persistance de douleurs lombaires type lumbago, avec cervicalgie paravertébrale haute sur contracture, et un bilan radiologique retrouvant un pincement
discal L5-S1 avec épisode de sciatalgie ", et en décembre 2005 avec la récidive de douleurs lombaires et la consultation d'un neurochirurgien. En février 2006, un bilan de lombalgies et cervicalgies a conclu à une discopathie L5-S1 avec lombalgies chroniques invalidantes entraînant une inaptitude au port de charges lourdes et au service outre-mer. Enfin, un certificat de visite du médecin du centre médical des armées de Pau du 13 janvier 2015 a mentionné une affection médicale imputable au service, caractérisée par des lombalgies et cervicalgies chroniques imputables à un accident de la voie publique du 5 août 2002, et le médecin des armées a émis le 22 mars 2017 un avis défavorable au renouvellement du contrat
de Mme C... en mentionnant notamment des douleurs chroniques du rachis cervical et lombaire suite à cet accident. Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, ces éléments apportent un faisceau d'indices suffisant de la continuité des pathologies depuis l'accident.
Par suite, la filiation entre la blessure survenue le 5 août 2002 et les infirmités de lombalgies
et de cervicalgies chroniques doit être regardée comme établie.
4. L'expert désigné par l'administration a évalué à 10 % le taux d'invalidité des lombalgies chroniques post-traumatiques avec irradiations fessières gauches, et à 10 % celui des cervicalgies chroniques post-traumatiques avec irradiations névralgiques intermittentes. La ministre des armées n'apporte aucune précision quant aux raisons pour lesquelles la décision de rejet du 26 janvier 2017 a retenu un taux inférieur à 10 % pour la seconde infirmité. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, Mme C... est fondée à demander l'annulation de la décision du ministre de la défense du 26 janvier 2017 et, par voie de conséquence, celle du jugement du tribunal des pensions de Pau du 21 février 2019.
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " L'annulation prononcée au point précédent implique nécessairement qu'il soit fait droit à la demande de Mme C.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension de Mme C... en tenant compte des infirmités de lombalgies chroniques au taux de 10 % et de cervicalgies chroniques au taux de 10 %, avec effet à compter du 29 janvier 2015, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
6. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Marbot.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions de Pau du 21 février 2019 et la décision du ministre de la défense du 26 janvier 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension de Mme C... en tenant compte des infirmités de lombalgies chroniques au taux de 10 % et de cervicalgies chroniques au taux de 10 %, avec effet à compter du 29 janvier 2015, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Marbot une somme de 1 500 euros au titre des dispositions
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi
du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Nathalie Gay, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2021.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
5
N° 19BX04062