CAA de NANTES, 6ème chambre, 01/03/2022, 20NT01921, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 janvier 2014 par laquelle le recteur de l'académie de Nantes l'a admise à la retraite pour invalidité, en tant que cette décision ne prend effet qu'à compter du 1er septembre 2013.
Par un jugement n° 1402032 du 22 novembre 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17NT00259 du 1er octobre 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, annulé ce jugement du 22 novembre 2016 ainsi que la décision du 9 janvier 2014 du recteur et, d'autre part, enjoint au ministre de l'éducation nationale d'admettre Mme B... à la retraite pour invalidité à compter du 12 juillet 2001 et de procéder au rappel du reliquat de pension dû.
Par une décision n° 425971 du 29 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour l'affaire qui porte désormais le n° 20NT01921.
Procédure devant la cour :
Avant cassation :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 janvier 2017 et 30 juillet 2018, Mme B..., représentée par Me Coudray, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 novembre 2016 ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision mentionnée ci-dessus du 9 janvier 2014 en tant que cette décision donne effet à ce placement à compter seulement du 1er septembre 2013 et, à titre subsidiaire, d'annuler totalement la décision en question ;
3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Nantes de l'admettre à la retraite pour invalidité à compter du 12 juillet 2001, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de prononcer sa mise à la retraite à compter du 15 novembre 2008, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son profit de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- la décision contestée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l'article 19 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que la date de prise d'effet de sa mise à la retraite pour invalidité ne pouvait être fixée au 1er septembre 2013 ; elle devait nécessairement tenir compte des conséquences de l'annulation contentieuse du refus implicite du recteur de la placer à la retraite ; la date fixée ne pouvait donc être que soit la date à compter de laquelle son inaptitude à toutes fonctions a été reconnue par le comité médical départemental, c'est-à-dire au 11 juillet 2001, soit, à tout le moins, la date à laquelle elle a sollicité son placement à la retraite anticipée, c'est-à-dire le 15 novembre 2008 ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation ; ainsi que l'a indiqué le comité médical départemental dans son avis du 6 mai 2013, elle est inapte à l'exercice de toutes fonctions depuis le 11 juillet 2001.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2018, le ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Après cassation :
Par un mémoire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 et 22 février 2021, Madame B..., représentée par Me Coudray, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 novembre 2016 ;
2°) d'annuler la décision du recteur de l'académie de Nantes en date du 9 janvier 2014, uniquement en ce qu'elle admet Mme B... à la retraite pour invalidité sur sa demande seulement à compter du 1er septembre 2013, en raison de son incapacité définitive et absolue d'exercer ses fonctions et toutes fonctions, subsidiairement d'annuler cette même décision ;
3°) d'enjoindre au recteur de prononcer l'admission à la retraite de Mme B... à compter du 11 juillet 2001, subsidiairement à compter du 19 juin 2005, très subsidiairement à compter du 15 novembre 2008, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation des faits dès lors que Mme B... devait obtenir le bénéfice d'une mise à la retraite pour invalidité rétroactive qui prenne en compte la date effective de son inaptitude totale et définitive, subsidiairement la date d'épuisement de son droit à congés ou à tout le moins la date effective de sa demande ;
- la décision du 9 janvier 2014 est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle prévoit une entrée en vigueur rétroactive au 1er septembre 2013 alors que Mme B... est inapte à toute fonction depuis le 11 juillet 2001.
Par un mémoire enregistré le 27 janvier 2022 le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., professeure certifiée, a été placée en congé de maladie du 29 mai au 13 juin 1998 et du 20 janvier au 19 mars 1999, puis en congé de longue maladie du 19 mars au 10 octobre 1999 et du 10 janvier au 17 juin 2000, et enfin en congé de longue durée du 18 juin 2000 au 11 juillet 2001. Sur la demande de l'intéressée, l'administration a procédé à sa réintégration à compter du 12 juillet 2001 et l'a placée en disponibilité pour convenance personnelle, du 1er septembre 2001 au 31 août 2013. Le 15 novembre 2008, Mme B... a demandé au recteur de l'académie de Nantes son admission anticipée à la retraite pour invalidité. Cette demande a fait l'objet d'un refus implicite, décision qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 juin 2012, qui a estimé qu'il ressortait des pièces du dossier que la requérante était bien atteinte d'une incapacité permanente d'assurer ses fonctions susceptibles de lui ouvrir droit à une mise à la retraite pour invalidité. Saisi du réexamen de la demande de la requérante en exécution de ce jugement, le recteur de l'académie de Nantes, après avis de la commission départementale de réforme du 3 octobre 2013, a, par une décision du 9 janvier 2014, admis à la retraite pour invalidité Mme B... à compter du 1er septembre 2013, soit à l'issue du dernier renouvellement de sa mise en disponibilité pour convenances personnelles.
2. Mme B... a alors, de nouveau, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision du 9 janvier 2014. Par un arrêt n°17NT00259 du 1er octobre 2018, la cour a annulé dernière décision en tant qu'elle a admis Mme B... à la retraite pour invalidité à compter seulement du 1er septembre 2013 et lui a enjoint de la placer à la retraite anticipée pour invalidité à compter du 12 juillet 2001. Par une décision n° 425971 du 29 juin 2020, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, a annulé pour erreur de droit cet arrêt aux motifs que Mme B... n'avait sollicité son placement à la retraite pour invalidité qu'à compter du 15 novembre 2008, et a renvoyé à la cour l'affaire qui porte désormais le n° 20NT01921.
Sur la légalité de la décision du 9 janvier 2014 :
3. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...) ". Aux termes de l'article 27 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " (...) Lorsqu'un fonctionnaire a obtenu pendant une période de douze mois consécutifs des congés de maladie d'une durée totale de douze mois, il ne peut, à l'expiration de sa dernière période de congé, reprendre son service sans l'avis favorable du comité médical : en cas d'avis défavorable (...) il est soit mis en disponibilité, soit reclassé dans un autre emploi, soit, s'il est reconnu définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, admis à la retraite après avis de la commission de réforme (...). ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... qui avait été placée en disponibilité pour rapprochement de conjoint à compter du 1er septembre 2001 a depuis, à plusieurs reprises - les 29 mai 2006, 9 juillet 2007 et 12 juin 2008 - sollicité sa réintégration afin de pouvoir être placée en congé de longue durée. Ses demandes ont été rejetées. L'inspection académique de la Sarthe a, notamment par un courrier du 29 avril 2008, informé cet agent que, lors de sa séance du 24 avril 2008, le comité médical départemental avait estimé " qu'elle n'était pas apte actuellement à l'exercice de sa fonction d'enseignante ni d'une quelconque activité professionnelle en adaptation de poste de travail, reclassement dans un autre emploi, réadaptation professionnelle ou réorientation professionnelle ". Par un courrier du 8 juillet 2008, l'administration lui a indiqué que " dans l'hypothèse où elle refuserait de prolonger sa disponibilité pour rapprochement de conjoint le 1er septembre 2009, tout en étant inapte temporairement à ses fonctions, elle serait considérée comme étant en abandon de poste et radiée des cadres ". C'est dans ces conditions que Mme B... a, le 15 novembre 2008, demandé au recteur de l'Académie de Nantes son admission anticipée à la retraite pour invalidité, démarche qui a conduit, après les différentes procédures contentieuses engagées par l'intéressée et qui ont été rappelées points 1 et 2, à l'édiction de la décision contestée du 9 janvier 2014. Cette décision est intervenue après consultation du comité médical de la Sarthe qui, le 25 avril 2013, a estimé que " Mme B... était définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions et à toutes fonctions à compter du 11 juillet 2001 " et après un avis favorable du 3 octobre 2013 de la commission départementale de réforme de la Sarthe à la demande d'admission à la retraite pour invalidité en précisant " avec un taux d'IPP de 80% selon barème ". Il résulte de l'ensemble des éléments du dossier, et en particulier de ce qui vient d'être rappelé, que d'une part, la carrière de Mme B... ne pouvait, à peine d'illégalité, être gérée sur le fondement de prolongations de disponibilité pour convenances personnelles qui n'étaient pas demandées à titre principal et sans que soit prise en compte l'incapacité permanente de continuer ses fonctions reconnues par le tribunal dans son jugement du 15 juin 2012 ainsi qu'il a été rappelé au point 1. D'autre part, à la date de sa demande présentée le 15 novembre 2008, Mme B..., reconnue inapte à l'exercice de toutes fonctions à compter du 11 juillet 2001, ne pouvait se voir accorder le bénéfice d'un congé de longue durée mais remplissait les conditions pour que son admission à la retraite pour invalidité soit fixée à cette date. La circonstance que le comité médical départemental a reconnu l'inaptitude de l'intéressée à compter du 12 juillet 2001 demeure, à cet égard, sans incidence dès lors que cet agent ne pouvait pas être rétroactivement admise à la retraite à une date à laquelle elle n'avait jamais formulé une telle demande.
5. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le recteur de l'Académie de Nantes ne pouvait, sans entacher sa décision d'illégalité, admettre, par l'arrêté contesté du 9 janvier 2014, Mme B... à la retraite sur sa demande pour invalidité qu'à compter du 1er septembre 2013. Cet arrêté doit, par suite, être annulé.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 janvier 2014 en tant qu'elle la plaçait à la retraite pour invalidité à compter du 1er septembre 2013.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. Compte tenu de ce qui a été indiqué au point 4, il est enjoint au ministre de l'éducation nationale d'admettre, dans le délai d'un mois, Mme B... à la retraite anticipée pour invalidité à compter du 15 novembre 2008. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte de 50 euros par jour de retard.
Sur l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat (...) ". La présente instance n'ayant pas donné lieu à dépens au sens de l'article susvisé, les conclusions de Mme B..., tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser les dépens, ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.
Sur les conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative:
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... C... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1402032 du tribunal administratif de Nantes en date du 22 novembre 2016 ainsi que la décision du 9 janvier 2014 par laquelle le recteur de l'académie de Nantes a placé Mme B... en retraite pour invalidité à compter seulement du 1er septembre 2013 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'éducation nationale d'admettre, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, Mme B... à la retraite anticipée pour invalidité à compter du 15 novembre 2008. Cette injonction est assortie d'une astreinte de 50 euros par jour de retard.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'éducation nationale.
Copie en sera adressée pour information au recteur de l'académie de Nantes.
Délibéré après l'audience du 4 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Brisson, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er mars 2022.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I.PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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