CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 03/03/2022, 19BX04042, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux d'annuler la décision du 11 juillet 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision pour aggravation de sa pension militaire d'invalidité.
Par un jugement du 6 juin 2019, le tribunal a enjoint à la ministre des armées
de procéder à la liquidation des droits à pension de M. B... au taux de 30 % avec jouissance
à compter du 20 juin 2017 pour l'infirmité " hypoacousie gauche - perte auditive moyenne
de 50 décibels " et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 juillet 2019 et un mémoire enregistré
le 5 décembre 2019, la ministre des armées demande à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il a retenu un droit à pension pour l'infirmité " hypoacousie gauche - perte auditive moyenne de 50 décibels " et de confirmer sa décision du 11 juillet 2018.
Elle soutient que :
- le tribunal, qui a jugé que M. B... ne pouvait solliciter une pension pour l'oreille droite non atteinte par le traumatisme du 4 mars 1985, s'est contredit dès lors qu'il a tenu compte des deux oreilles en accordant un droit à pension pour des séquelles de traumatisme sonore " à prédominance unilatérale gauche " ;
- selon les connaissances médicales et la jurisprudence du Conseil d'Etat, une hypoacousie sono-traumatique ne s'aggrave pas par elle-même en l'absence d'exposition à d'autres traumatismes sonores ; le tableau n° 42 issu du décret n° 2003-924 du
25 septembre 2003 et annexé au code de la sécurité sociale, qui précise qu'aucune aggravation de la surdité professionnelle ne peut être prise en compte, sauf en cas de nouvelle exposition au bruit lésionnel, est visé par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre depuis la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; c'est ainsi à bon droit qu'elle a retenu que l'aggravation de la perte auditive était étrangère au traumatisme subi le 6 mars 1985 ;
- la pathologie initiale d'hypoacousie gauche avec perte moyenne de 50 décibels correspond à un taux de 7 % et n'ouvre pas droit à pension ; elle ne s'est pas aggravée dès lors que M. B..., âgé de 65 ans lors de sa demande de révision de sa pension, n'a plus été exposé à des traumatismes liés au service depuis sa radiation des contrôles le 1er octobre 2000, soit 17 ans avant sa demande ; il n'existe aucune relation médicale directe et déterminante entre les problèmes auditifs actuels et ceux qui sont pensionnés.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 septembre 2019, M. B..., représenté par la SELARL Waterlot, Brunier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu un taux de 30 % pour les séquelles de traumatisme sonore médicalement constatées ;
- la règle selon laquelle il n'y aurait pas d'aggravation sans exposition à un nouveau traumatisme sonore concerne les affections d'origine professionnelle au sens du code de la sécurité sociale et ne lui est pas opposable.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 septembre 2019, confirmée devant la cour le 17 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Waterlot représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., engagé à l'Ecole du service de santé des armées le 3 septembre 1973 et rayé des contrôles le 1er octobre 2000 au grade de médecin en chef, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive, concédée au taux de 10 % par arrêté du 4 octobre 2004, avec jouissance à compter du 27 juillet 1999, pour l'infirmité d'acouphènes gauches en lien avec un traumatisme sonore subi le 4 mars 1985. Le 20 juin 2017, il en a sollicité la révision pour une aggravation des acouphènes et une hypoacousie nécessitant un appareillage des deux oreilles. Par une décision du 11 juillet 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande aux motifs que les acouphènes gauches ne s'étaient pas aggravés, que le taux d'invalidité de 7 % de l'hypoacousie gauche avec perte auditive de 50 décibels imputable au service était inférieur au minimum indemnisable de 10 %, et que la nouvelle baisse auditive de l'oreille gauche avec perte
de 66 décibels, postérieure à la radiation des contrôles, n'était pas imputable au service.
M. B... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions de Bordeaux. La ministre des armées relève appel du jugement du 6 juin 2019 en tant que le tribunal, qui a rejeté le surplus de la demande, lui a enjoint de procéder à la liquidation des droits à pension de M. B... au taux de 30 % à la date du 20 juin 2017 pour l'infirmité " hypoacousie gauche - perte auditive moyenne de 50 décibels ". La procédure a été transmise à la cour administrative d'appel de Bordeaux en application de la loi du 13 juillet 2018 susvisée.
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / (...). " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / (...) / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée " Selon l'article L. 121-5 : " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / (...). " Enfin, l'article L. 154-1 dispose : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. " Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
3. Le traumatisme sonore subi le 4 mars 1985, inscrit le 22 mars suivant au registre des constatations des blessures, infirmités et maladies survenues pendant le service, était en lien avec un tir après lequel M. B... s'était plaint d'un sifflement permanent de l'oreille gauche.
Le 17 mars 2003, lors de l'expertise médicale judiciaire ordonnée dans le cadre du litige relatif au rejet par l'administration de la demande initiale de pension présentée le 27 juillet 1999, l'expert a constaté que M. B... présentait une perte auditive de 29 décibels à droite et
de 47,5 décibels à gauche, ainsi que des acouphènes gauches, et a conclu à une surdité bilatérale plus marquée à gauche et sur les aigus. Il a estimé que l'ensemble était rattachable au traumatisme sonore du 4 mars 1985 dès lors que l'absence d'aggravation depuis un audiogramme réalisé le 20 mars 2000 permettait d'exclure une autre affection évolutive propre au patient, et a évalué la perte globale d'audition à 10 %. M. B... s'étant désisté de sa demande relative à l'hypoacousie, la pension a été concédée pour les seuls acouphènes par un jugement du tribunal des pensions de Bordeaux du 25 juin 2004, au taux de 10 % retenu par l'expert. Lors de l'expertise réalisée le 13 février 2018 pour l'instruction de la demande de révision de la pension, l'audiométrie a permis de constater une perte auditive de 41 décibels à droite et de 66 décibels à gauche, et l'expert a conclu que l'examen était évocateur de séquelles de traumatismes sonores à prédominance unilatérale gauche. Les expertises réalisées en 2003
et en 2018 concordent ainsi pour attribuer l'hypoacousie bilatérale au traumatisme sonore
du 4 mars 1985, la perte auditive supplémentaire constatée en 2018 ne pouvant être due qu'au vieillissement, et non à une cause extérieure. La circonstance que le traumatisme a été inscrit au registre des constatations des blessures comme ayant affecté l'oreille gauche est sans incidence sur l'imputabilité au service de l'hypoacousie de l'oreille droite, reconnue comme telle par les experts et incluse dans la demande de révision enregistrée le 20 juin 2017. Le taux de 30 % retenu par l'expertise du 13 février 2018 correspond à l'hypoacousie à prédominance gauche, avec perte de 41 décibels à droite et de 66 décibels à gauche, imputable au traumatisme sonore du 4 mars 1985. Par suite, la ministre des armées n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Bordeaux lui a enjoint de procéder à la liquidation des droits à pension de M. B... pour hypoacousie au taux de 30 % avec jouissance à compter du 20 juin 2017.
4. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de
l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Waterlot.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Waterlot une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. C... B....
Délibéré après l'audience du 8 février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mars 2022.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04042