CAA de LYON, 7ème chambre, 31/03/2022, 20LY01899
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions de la Savoie d'annuler la décision du 16 juillet 2012, par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité.
Par jugement n° 1907203 du 30 mars 2020, le tribunal administratif de Grenoble, à qui, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018, a été transférée la demande de M. A..., a rejeté la demande de celui-ci.
Procédure devant la cour
Par requête, enregistrée le 20 juillet 2020, M. A..., représenté par Me Jeudi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 mars 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 16 juillet 2012 et, à titre principal, de faire droit à sa demande de pension au titre des séquelles d'une infection au virus de l'hépatite C à un taux qui ne saurait être inférieur à 20 % pour cette infirmité, à compter du 13 octobre 2010, à titre subsidiaire, à un taux d'au moins 10 % ;
3°) de dire que les sommes qui lui seraient dues à ce titre seront augmentées des intérêts moratoires ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation par son conseil à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- les premiers juges ont dénaturé les informations factuelles du dossier et se sont fondés sur des éléments non soumis au contradictoire ; la recherche sérologique effectuée le 28 janvier 1992 portait sur l'hépatite C ;
- les dispositions applicables au litige sont celles des articles L. 2, L. 3 et L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et non celles de l'article L. 121-1 ;
- il justifie remplir les conditions pour bénéficier de la présomption posée par ces dispositions ; l'administration n'apporte pas la preuve contraire ;
- son infection au VHC trouve son origine dans les conditions sanitaires de sa campagne au Cambodge ; le fait est établi par la sérologie pratiquée à son retour ;
- l'administration n'établit pas que cette infection trouverait son origine dans un comportement à risque antérieur à son départ en mission ;
- les expertises déterminent un taux d'invalidité qui doit être évalué à 20 %, a minima 10 %.
Par mémoire, enregistré le 1er mars 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le lien entre l'infirmité alléguée et le service, qu'il appartient à M. A... d'établir, n'est pas admis par l'administration ;
- la présomption d'imputabilité est combattue par les éléments tirés des expertises, qui révèlent que l'affection dont a été atteint M. A... trouve son origine exclusivement dans le comportement à risque de celui-ci antérieurement à sa mission au Cambodge.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 9 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Jeudi, pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1 M. B... A..., incorporé le à l'âge de vingt ans dans l'armée de terre, a continué à servir par des contrats successifs jusqu'à sa radiation des contrôles le avec le grade de. Titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % pour " séquelles de fracture des corps vertébraux de D1 D2 D3 " à la suite d'un accident survenu en service le 16 janvier 1991, il a sollicité le 13 octobre 2010 une pension pour une nouvelle infirmité constituée par une hépatite C chronique dont il attribue l'origine aux conditions sanitaires dans lesquelles il a servi, du 4 décembre 1992 au 12 juin 1993, au Cambodge dans le cadre de la mission APRONUC (autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge). Par une décision du 16 juillet 2012, le ministre de la défense a rejeté cette demande. M. A... fait appel du jugement du 30 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, sur transmission du tribunal des pensions de Chambéry qui avait auparavant ordonné trois expertises judiciaires par jugements avant-dire-droit, a rejeté son recours contre ce refus.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2 En premier lieu, si M. A... reproche aux premiers juges d'avoir commis une erreur d'appréciation et de lecture des pièces du dossier, une telle circonstance n'est en tout état de cause pas de nature à affecter la régularité du jugement, mais seulement son bien-fondé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3 Aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui reprend les dispositions de l'ancien article L. 6 de ce même code : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande (...). "
4 Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en vigueur à la date de la demande de M. A... : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service (...). " Aux termes de l'article L. 3 du même code, alors applicable : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée (..). "
5 Il résulte de la combinaison de ces dispositions, applicables au litige, que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut bénéficier de la présomption légale d'imputabilité et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il incombe à l'intéressé d'apporter la preuve de l'imputabilité de l'affection au service par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où, comme en l'espèce, est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition du militaire à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition du militaire à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. Il revient ensuite aux juges du fond de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle. Lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie ou que cette dernière, sans avoir été déclenchée ou aggravée par l'exposition, préexistait à celle-ci.
6 Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, qu'au jour de son retour de mission au Cambodge, le 12 juin 1993, M. A... a subi des prélèvements sanguins dont les analyses ont mis en évidence des anomalies hématologiques établies par deux bilans, le 27 juillet 1993 par un laboratoire privé et le 3 août 1993 par l'hôpital, lesquelles ont conduit les autorités militaires à déclarer l'intéressé inapte au service outre-mer. Les investigations menées dans leur prolongement, dont une sérologie le 16 août 1993 qui s'est avérée positive, ont établi un diagnostic d'infection au virus de l'hépatite C, ultérieurement identifiée de génotype 3. L'affection au titre de laquelle M. A... demande une pension a ainsi été constatée dans le délai de la présomption et au retour d'une opération de service au sens de l'article L. 3 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
7 A l'appui de la présomption d'imputabilité au service posée par les dispositions de ce dernier, qu'il invoque, M. A... fait valoir, sans être contredit sur ce point, les conditions sanitaires générales très dégradées de la mission à laquelle il participait, et son exposition personnelle directe au risque de contamination par sa participation active au brancardage de populations civiles blessées et dans lesquelles la forte prévalence des hépatites notamment était reconnue par la littérature médicale. Il soutient, sans établir cette circonstance, que son risque personnel se trouvait augmenté par des blessures aux mains susceptibles d'être une voie de contamination par contact avec du sang contaminé. Au regard de son exposition, durable, à cet environnement et aux pathologies y existant, eu égard notamment aux tâches auxquelles il a participé et aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, au vu des données admises de la science, il soutient sérieusement une probabilité que la pathologie qui l'affecte pourrait être en rapport avec son activité professionnelle.
8 Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment des déclarations constantes de M. A... et des trois rapports d'expertises judiciaires des 8 janvier 2015, 15 octobre 2016 et 18 mars 2019, comme du rapport médical établi le 6 avril 2017 à la demande de l'intéressé, que M. A... a présenté, dès avant son incorporation et pour certains traits jusqu'avant son départ en mission au Cambodge, un comportement à risques envers les hépatites. Si ces expertises médicales, qui écartent comme très improbable l'hypothèse d'une infection à l'occasion des injections de gammaglobulines qu'a subies à trois reprises M. A..., par ailleurs jamais transfusé, n'excluent pas l'hypothèse d'une contamination entre le 4 décembre 1992 et le 12 juin 1993, elles convergent néanmoins pour relever le profil pathologique des bilans hépatiques de l'intéressé dès 1988, pour en tirer la certitude d'une infection antérieure au virus de l'hépatite B, guérie mais avec des traces cicatricielles. Il ressort également de la documentation médicale en l'état de la science que le profil cicatriciel de M. A... correspond, par les marqueurs des anticorps HB, à celui d'usagers des drogues ingérées par voie intraveineuses de la nature de celles consommées par celui-ci, et qui se trouve statistiquement à fréquence élevée associé à une contamination au virus de l'hépatite C (VHC), dont la caractéristique est d'évoluer à long terme et à bas bruit. Cette caractéristique, ainsi que le relèvent les experts, rendait jusqu'en 1991 peu fiable le diagnostic de l'infection, indiscernable. Or, si M. A... fait valoir que les sérologies pratiquées le 28 janvier 1992 et le 19 octobre 1992, avant son départ en mission, sont négatives, il ne ressort pas, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, des mentions portées sur son livret médical militaire que ces examens portaient sur la recherche de la contamination par le VHC, la première indiquant uniquement " les hépatites virales " pouvant être implicitement les hépatites A et B, en l'absence avérée de recherche systématique à l'époque des marqueurs de l'hépatite C. Il ne ressort pas plus des expertises que les conditions du séjour de M. A... au Cambodge aient pu activer, à elles seules, une infection ancienne au VHC et latente.
9 Dans ces conditions, la ministre des armées doit être regardée comme apportant la preuve, contraire à la probabilité dont se prévaut M. A..., que l'infirmité dont est atteint celui-ci trouve son origine dans son état de santé antérieur à sa mission au Cambodge résultant de son comportement personnel à risques et, par suite, n'est pas imputable au service.
10 Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Il suit de là que sa requête doit être rejetée, dont les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2022.
Le président, rapporteur,
D. Josserand-Jaillet
Le président assesseur,
Ph. Seillet
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre des armées, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 20LY01899 2
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