CAA de LYON, 7ème chambre, 31/03/2022, 20LY02041, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal des pensions de Lyon, à titre principal, d'ordonner une expertise médicale aux fins de déterminer l'imputabilité au service d'une affection dont il souffre et d'en évaluer le taux d'invalidité, à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 3 octobre 2017, par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité et de lui reconnaître un droit à pension pour cette infirmité.
Par un jugement n° 1908888 du 27 mai 2020, le tribunal administratif de Lyon, à qui a été transférée la demande de M. B..., en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018, a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2020, et un mémoire, enregistré le 26 mars 2021 (ce dernier non communiqué), M. B..., représenté par Me Borchtch, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 27 mai 2020 ;
2°) à titre principal, d'ordonner une expertise aux fins de décrire son état de santé, définir l'affection en cause, émettre un avis sur un lien entre cette affection et le service, déterminer le taux d'invalidité résultant de cette affection ;
3°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 3 octobre 2017 et faire droit à sa demande de pension au titre des séquelles d'une algie vasculaire de la face en lien avec le service ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il lui a été diagnostiqué initialement en décembre 2012 de violentes douleurs migraineuses après un choc facial à l'entraînement, qui se sont avérées en 2015 constituant une algie vasculaire de la face invalidante et ont conduit à sa réforme ;
- la détermination de l'origine de son affection nécessite une mesure d'expertise ;
- l'étiologie de sa maladie s'inscrit dans la survenance de trois événements, les 21 décembre 2012, 14 juillet 2013 et 8 septembre 2014, au cours d'activités intervenues dans des conditions particulières de service partagées par l'ensemble des militaires ; il apporte ainsi la preuve du lien entre l'affection, formellement diagnostiquée deux ans après cette dernière date, et le service, au sens de l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa version applicable à la date de sa demande de pension ;
- recruté totalement apte au service, il justifie à la date de sa demande d'un taux d'invalidité de 30 %.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le lien entre l'infirmité alléguée et le service, qu'il appartient à M. B... d'établir, n'est pas démontré ;
- l'imputabilité au service ne saurait être présumée de l'état de santé de M. B... à l'incorporation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Borchtch, pour M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1 M. A... B..., incorporé sous contrat le à l'âge de trente ans au 2ème régiment étranger de génie, a servi dans l'armée de terre jusqu'à sa radiation des contrôles par réforme le avec le grade de. Il a sollicité le 11 septembre 2015 une pension pour une infirmité constituée par une algie vasculaire chronique de la face dont il attribue l'origine à trois événements survenus au cours du service, en 2012, 2013 et 2014. Par une décision du 3 octobre 2017, la ministre des armées a rejeté cette demande. M. B... fait appel du jugement du 27 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon, sur transmission du tribunal des pensions de Lyon, a rejeté son recours, et principalement sa demande d'expertise, contre ce refus.
2 Aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui reprend les dispositions de l'ancien article L. 6 de ce même code : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande (...). "
3 Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en vigueur à la date de la demande de M. B... : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service (...). " Aux termes de l'article L. 3 du même code, alors applicable : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée (..). "
4 Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut bénéficier de la présomption légale d'imputabilité et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il incombe à l'intéressé d'apporter la preuve, par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges, de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
5 Il résulte de l'instruction qu'à compter du 20 octobre 2009, selon les mentions portées sur son livret médical, M. B... a fait état de violentes céphalées, d'abord attribuées à un syndrome migraineux, lesquelles ont évolué jusqu'à un diagnostic d'algie vasculaire de la face chronique dont les manifestations invalidantes ont conduit à un constat d'inaptitude définitive au service et à sa radiation des contrôles le 19 février 2014 par réforme.
6 A l'appui d'une présomption d'imputabilité au service de son affection, posée par les dispositions précitées de l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qu'il invoque, M. B..., qui fait valoir avoir été incorporé en pleine santé, soutient que son infirmité trouverait son origine dans une blessure à la face reçue lors d'un match de rugby organisé dans le cadre du service le 21 décembre 2012, et se serait aggravée à l'occasion de traumatismes sonores subis le 12 juillet 2013 lors d'un entraînement au tir et d'une chute survenue au cours d'une séance de course à pied d'entraînement le 8 septembre 2014. Si l'administration ne conteste pas en défense la réalité de ces trois événements, elle réfute tout lien de filiation entre les conditions dans lesquelles ceux-ci se sont déroulés et l'infirmité au titre de laquelle M. B... demande une pension d'invalidité.
7 Il ressort par ailleurs des éléments médicaux produits au dossier que, si le rapport, sur lequel l'administration a essentiellement fondé la décision contestée, en date du 13 février 2017, du médecin de l'administration conclut, au vu notamment d'un examen par IRM du 21 janvier 2015, à l'absence de lien entre la pathologie et le service, il ne prend en compte que la séance de tir de juillet 2013 précédant l'imagerie médicale de deux ans, sans réfuter expressément les deux autres événements dont fait état M. B..., tandis que les éléments antérieurs, parcellaires dans la chronologie évolutive de l'affection finalement diagnostiquée le 14 janvier 2015, établis sur l'hypothèse d'un syndrome migraineux aux caractéristiques distinctes de cette dernière, ne permettent pas de statuer sur le lien invoqué par M. B....
8 Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. ". Il ne revient au juge d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.
9 Dans ces conditions, l'état de l'instruction du dossier, qui ne permet pas de caractériser la pathologie de M. B... comme un cas idiopathique ou d'étiologie, notamment traumatique, compatible avec les événements de service invoqués par le requérant, non plus qu'une origine antérieure à l'incorporation de l'intéressé, appelait à ce qu'il soit sursis à statuer sur la demande de M. B... et au prononcé d'une expertise aux fins de déterminer, en l'espèce, l'étiologie de l'infirmité dont justifie être atteint M. B.... Celui-ci est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande principale tendant à ce que soit ordonnée une expertise médicale et à demander l'annulation du jugement du 27 mai 2020 du tribunal administratif de Lyon.
10 Il appartient toutefois à la cour, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lyon.
11 Les autres pièces du dossier, à hauteur d'appel, ne mettent pas la cour en mesure de statuer en toute connaissance de cause sur la demande de M. B.... Dès lors, il y a lieu, avant-dire-droit, d'ordonner une expertise pour déterminer les caractéristiques et l'étiologie de la pathologie au titre de laquelle il sollicite l'attribution d'une pension d'invalidité et si elle trouve son origine, son déclenchement ou son aggravation dans les événements de service dont il fait état, et en tout état de cause le taux de l'invalidité en résultant.
12 Par suite, il y a lieu de sursoir à statuer sur le surplus des demandes et prétentions des parties.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 3 octobre 2017 de la ministre des armées et à l'attribution d'une pension, procédé à une expertise contradictoire.
L'expert aura pour mission :
1°) après s'être fait communiquer le dossier médical de M. B... et avoir procédé à un examen clinique de ce dernier, de déterminer, pour l'infirmité de M. B..., l'anamnèse et les déclarations de l'intéressé, l'état général et les signes cliniques constatés, l'analyse critique comparative des examens paracliniques, enfin de déterminer l'étiologie de l'affection, caractériser cette dernière notamment entre une origine idiopathique ou traumatique, déterminer si elle est antérieure à son incorporation et aux événements de service dont l'intéressé fait état, et si elle trouve sa genèse, le cas échéant partiellement, ou son déclenchement ou encore une aggravation, dans ces derniers.
2°) d'évaluer, à la date de l'expertise, le taux de l'infirmité de M. B....
3°) de faire toute constatation utile sur l'aggravation de cette infirmité entre la date de demande de pension de M. B... et la date de l'expertise.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 3 : Les frais d'expertise seront pris en charge par l'État (ministre des armées).
Article 4 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 5 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert communiquera un pré-rapport aux parties, en vue d'éventuelles observations, avant l'établissement de son rapport définitif. Il déposera son rapport au greffe en deux exemplaires.
Article 7 : Des copies de son rapport seront notifiées par l'expert aux parties. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2022.
Le président, rapporteur,
D. Josserand-Jaillet
Le président assesseur,
Ph. Seillet
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre des armées, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N°20LY02041 2
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