CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 05/04/2022, 19MA05835, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision05 avril 2022
Num19MA05835
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurM. Philippe D'IZARN DE VILLEFORT
CommissaireM. ANGENIOL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal des pensions de Montpellier d'annuler la décision de la ministre des armées du 22 octobre 2018 en tant que celle-ci a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour infirmités nouvelles.

Par un jugement n° 19/00008 du 30 octobre 2019, le tribunal des pensions de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit n° 19MA05835 du 20 avril 2021, la Cour, statuant sur l'appel de M. A... contre le jugement du tribunal des pensions de Montpellier du
30 octobre 2019, a ordonné une expertise aux fins d'examiner son poignet droit, de déterminer si l'accident survenu en service en 1978 a pu contribuer à l'apparition d'une arthrose du poignet droit et à l'infirmité dont était atteint M. A... à la date du 27 novembre 2014 et, dans l'affirmative, dans quelle mesure, et d'évaluer le taux d'invalidité de cette infirmité en précisant le cas échéant la part imputable au service.


Par ordonnance du 4 juin 2021, la présidente de la Cour a désigné le professeur B... en qualité d'expert.



Par ordonnance du 25 août 2021, la présidente de la Cour a désigné comme expert le docteur C..., en lieu et place du professeur B....


L'expert a remis son rapport le 2 février 2022. Ce rapport a été communiqué aux parties, qui ont été invitées à produire leurs observations, le 10 février 2022.


Par ordonnance du 15 février 2022, la présidente de la Cour a liquidé et taxé les frais de l'expertise à la somme de 1 200 euros toutes taxes comprises.


Par des mémoires complémentaires, enregistrés les 2 et 11 mars 2022, M. A... persiste dans ses précédentes écritures, et demande, subsidiairement, la prise en charge complète des médicaments et soins liés à sa pathologie et l'ouverture à ce titre d'un livret de prise en charge, et la réparation de son préjudice moral, ses souffrances physiques, ses gênes dans les actes de la vie courante, son préjudice d'agrément, les frais de courrier et de transport, en lui allouant la somme de 29 700 euros.

Il soutient que :
- il prend acte de l'imputabilité de son infirmité au service telle que reconnue par l'expert, mais également s'interroge sur le taux d'invalidité retenu, inférieur à celui de l'avis de la commission de réforme du 16 octobre 2018 ;
- la minoration du taux d'invalidité accordé pour la pension dont il bénéficie déjà est injuste et obsolète ;
- ses prétentions indemnitaires sont recevables.


Par un mémoire complémentaire, enregistré le 7 mars 2022, la ministre des armées conclut au rejet des conclusions indemnitaires de M. A... et s'en remet à la sagesse de la Cour pour son droit à pension pour l'infirmité " raideur globale d'un traumatisme du poignet droit évoluant vers une arthrose radio-cubitale " à un taux d'invalidité de 30%.

La ministre soutient que :
- le rapport d'expertise judiciaire est entaché d'une erreur de plume ;
- un avis du médecin chef du 1er mars 2022 montre qu'un taux de 30 % peut être alloué au titre de l'infirmité en cause ;
- les conclusions indemnitaires sont nouvelles en appel et n'ont pas donné lieu à demande d'indemnisation préalable, de sorte qu'elles sont irrecevables.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de M. A....



Considérant ce qui suit :
1. M. A..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux de 15 %, a, le 27 novembre 2014, demandé la révision de cette pension pour aggravation et infirmités nouvelles, dont une raideur globale d'un traumatisme du poignet droit évoluant vers une arthrose radio-cubitale. La ministre des armées a rejeté cette demande par une décision du 22 octobre 2018 que l'intéressé a contestée devant le tribunal des pensions de Montpellier, en tant seulement qu'elle portait sur cette infirmité, évaluée au taux documentaire de 35 %. Sur appel formé par M. A... contre le jugement du tribunal des pensions de Montpellier du
30 octobre 2019 rejetant sa demande, la Cour a, par arrêt avant dire droit, ordonné une expertise aux fins d'examiner le poignet droit de M. A..., de déterminer si l'accident survenu en service en 1978 a pu contribuer à l'apparition d'une arthrose du poignet droit et à l'infirmité dont était atteint M. A... à la date du 27 novembre 2014 et, dans l'affirmative, dans quelle mesure, et d'évaluer le taux d'invalidité de cette infirmité en précisant le cas échéant la part imputable au service.
Sur les droits à pension de M. A...
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction en vigueur au jour de la demande de pension de M. A... : " Ouvrent droit à pension : / (...) 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : "Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit d'une blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le trentième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée (...) / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas (...)".

3. Il résulte clairement du rapport d'expertise judiciaire du 2 février 2022, rédigé après examen de M. A... le 19 novembre 2021, que la raideur sévère du poignet droit avec quasi arthrodèse dont il souffre au jour de sa demande de pension, et qui se manifeste par une limitation franche des amplitudes articulaires en flexions dorsales et palmaires du poignet, est directement liée, médicalement, à la chute dont il a été victime le 1er juin 1978 lors d'un exercice sportif au cours de son service militaire. Si, ainsi que le relève la ministre des armées, ni le bulletin d'observation médicale du 2 juin 1978, établi après l'ostéosynthèse des deux os de l'avant-bras droit de M. A..., ni la déclaration sur l'honneur de ce dernier et sa première demande de pension militaire d'invalidité du 20 juillet 1978, ne font mention d'une lésion ou d'une douleur du poignet droit, il ressort de l'examen des clichés radiographiques de ce poignet réalisés un mois après l'accident, qu'y apparaissait d'ores et déjà, selon l'expert judiciaire, une révulsion osseuse au niveau de la styloïde radiale, témoignant ainsi à ce niveau d'une lésion ligamentaire. Le même rapport d'expertise, qui relève qu'une autre radiographie du 14 avril 1982 a retrouvé une calcification au niveau de la pointe de la styloïde radiale droite et que le type de lésion ligamentaire dont était atteint le poignet droit de M. A... impacte la dynamique des os du carpe et se manifeste des années après, explique de cette manière, et non par la survenue d'un accident domestique le 7 janvier 2006, que l'intéressé ait dû consulter un chirurgien-orthopédiste dès 2008 pour des douleurs au poignet et une arthrose radio-carpienne. Ce rapport d'expertise, qui permet ainsi de dépasser les contradictions apparentes existant entre les avis et expertises produits par M. A... au soutien de sa demande, et les conclusions de l'expert médical désigné par la ministre, datées du 22 février 2018, et d'établir un lien certain et direct entre l'accident de service du 1er juin 1978 et la raideur sévère du poignet droit avec quasi arthrodèse, propose de retenir à ce titre un taux d'invalidité de 15 %. Eu égard à l'ankylose quasi complète de la flexion extension du poignet dont souffre M. A..., et compte tenu de l'ensemble des pièces du dossier, notamment de l'avis de la commission de réforme du 26 octobre 2018, ainsi que des préconisations du guide-barème en matière de raideurs articulaires, il y a lieu de juger que
M. A... a droit au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour la raideur sévère du poignet droit, au taux de 30 % à compter du 27 novembre 2014, date de sa demande de pension.
4. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement querellé et de la décision en litige.
Sur la pension militaire d'invalidité dont bénéficie déjà M. A... :
5. Si, en s'interrogeant dans ses dernières écritures sur le caractère juste et toujours actuel du taux d'invalidité de 15 % qui lui a été attribué par le ministre en charge des armées dans sa décision du 6 octobre 1981 pour lui accorder une pension militaire d'invalidité, au titre des séquelles de fracture de l'avant-bras droit, M. A... a entendu contester pour la première fois la décision du 22 octobre 2018 en tant qu'elle a rejeté sa demande de pension pour aggravation de cette infirmité, de telles conclusions, qui n'ont pas été présentées au tribunal des pensions, sont ainsi irrecevables et doivent être rejetées.
Sur les conclusions subsidiaires :

6. Les conclusions de M. A... à fin de réparation par l'Etat des différents préjudices qu'il estime avoir subis du fait du refus de réviser sa pension, présentées pour la première fois en appel et n'ayant pas donné lieu à une demande d'indemnisation adressée à l'administration, sont pour ce double motif irrecevables et doivent être rejetées, comme le soutient la ministre.
7. Il doit en aller de même, pour les mêmes raisons, des prétentions de M. A... tendant à la prise en charge des médicaments et soins liés à sa pathologie, ainsi qu'à l'ouverture d'un livret de prise en charge.
Sur les frais et honoraires de l'expertise :
8. Il résulte de ce qui précède que les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par la Cour, avant dire droit, liquidés et taxés pour un montant de 1 200 euros par une ordonnance de la présidente de la présente Cour du 15 février 2022, doivent être mis à la charge de l'État.

DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 19/00008 du 30 octobre 2019 du tribunal des pensions de Montpellier et la décision de la ministre des armées du 22 octobre 2018 sont annulés.
Article 2 : M. A... bénéficiera d'une pension militaire d'invalidité pour raideur sévère du poignet droit au taux de 30 %, à compter du 27 novembre 2014.
Article 3 : Les frais d'expertise de la présente instance, liquidés à la somme de 1 200 euros, sont mis à la charge de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et à la ministre des armées.
Copie en sera adressée à M. C..., expert.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2022, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 avril 2022.
N° 19MA058352