CAA de PARIS, 6ème chambre, 24/05/2022, 21PA00841, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision24 mai 2022
Num21PA00841
JuridictionParis
Formation6ème chambre
PresidentM. CELERIER
RapporteurM. Dominique PAGES
CommissaireMme MACH
AvocatsLE PRADO

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :


Mme E... C... a saisi le Tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à titre principal, à la condamnation de l'établissement public de santé groupe hospitalier intercommunal Le F... à lui payer la somme de 1 075 314,12 euros, quitte à parfaire, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'établissement public de santé groupe hospitalier intercommunal Le F... à lui payer, sur le fondement de la responsabilité sans faute, la somme de 822 410,12 euros, quitte à parfaire, à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation de l'établissement public de santé groupe hospitalier intercommunal Le F... à lui payer la somme de
444 768,24 euros, quitte à parfaire, outre des conclusions tendant à ce qu'une expertise médicale soit diligentée avant dire droit et des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Par un jugement n° 1813633 du 18 décembre 2020, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir mis hors de la cause la caisse primaire d'assurance maladie de la
Seine-et-Marne, a condamné le groupe hospitalier intercommunal du F... à verser à Mme C... la somme de 345 017,84 euros au titre des préjudices subis du fait de la faute commise par le groupe hospitalier, ainsi que, pour la période postérieure au jugement, une rente annuelle de 18 746 euros au titre de l'assistance par tierce personne, a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.


Procédure devant la Cour :


Par une requête sommaire, enregistrée le 18 février 2021, un mémoire ampliatif enregistré le 9 mars 2021, et un mémoire en réplique, enregistré le 16 août 2021, le groupe hospitalier intercommunal du F..., représenté par Me Le Prado, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 décembre 2020 du Tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a fait droit à la demande de Mme C... ;


2°) de ramener sa condamnation indemnitaire à de plus justes proportions.


Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier pour insuffisance de motivation ;
- c'est à tort que les premiers juges l'ont condamné à verser la somme de 200 000 euros en réparation du déficit fonctionnel permanent alors que l'état de santé de Mme C... n'était pas consolidé à la date du jugement ;
- c'est à tort que les premiers juges l'ont condamné à verser la somme de 2 000 euros au titre du lit médicalisé, la facture correspondante n'étant pas produite ;
- l'appel incident des consorts C... est infondé.


Par des mémoires en défense et aux fins d'appel incident, enregistrés les 8 juillet et
28 octobre 2021, M. B... C... et Mme D... C..., représentés par Me Simhon, héritiers de Mme C..., décédée le 29 décembre 2020, concluent, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, dans le dernier état de leurs écritures, à ce que la condamnation indemnitaire du groupe hospitalier soit portée à la somme de 560 442 euros. Ils demandent, en outre, qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du groupe hospitalier intercommunal du F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par le GHI du F... sont infondés ;
- ils sont fondés à demander une majoration au titre de l'assistance par une tierce personne, le taux horaire de 13 euros étant sous-évalué et devant être porté à 18 euros, soit une somme globale de 164 493 euros ;
- ils sont fondés à solliciter une somme supplémentaire de 17 766 euros pour les frais de logement adapté s'agissant de la douche à l'italienne ;
- ils sont fondés à solliciter la somme de 20 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 4 100 euros au titre du préjudice esthétique permanent et 76 263 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.


Par une ordonnance du 4 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au
29 octobre 2021 à 12 heures.


Par une communication faite aux parties le 26 avril 2022, en application de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, la Cour a informé les parties qu'elle était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions incidentes tendant à l'allocation d'une somme de 17 766 euros au titre des frais de logement adapté.


Le GHI du F... et les consorts C... ont répondu à cette communication par des mémoires enregistrés respectivement le 29 avril 2022 et le 2 mai 2022.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique,
- et les observations Me Lerat-Gersant substituant Me Simhon pour les Consorts C... ;


Considérant ce qui suit :


1. Mme C..., fonctionnaire hospitalier, cadre de santé, a été affectée au cours des années 1988 à 2001 au service de radiothérapie au sein du groupe hospitalier intercommunal du F..., où, dans le cadre de ses fonctions, elle a régulièrement manipulé du cadmium. En septembre 2014, un adénocarcinome lui a été diagnostiqué et sa maladie, en lien avec une intoxication au cadmium, a été reconnue imputable au service, par une décision du directeur de l'établissement de santé de rattachement le 12 septembre 2017. Elle a été placée en congé de longue durée, en conservant l'intégralité de son traitement. Elle a présenté au groupe hospitalier intercommunal le F... une demande indemnitaire préalable, signifiée par acte d'huissier de justice le 30 octobre 2018, qui a été implicitement rejetée. Mme C... a saisi le Tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à titre principal, à la condamnation de l'établissement public de santé groupe hospitalier intercommunal le F... à lui payer la somme de 1 075 314,12 euros, quitte à parfaire, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'établissement public de santé groupe hospitalier intercommunal ( GHI) du F... à lui payer, sur le fondement de la responsabilité sans faute, la somme de 822 410,12 euros, quitte à parfaire, à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation de l'établissement public de santé groupe hospitalier intercommunal du F... à lui payer la somme de 444 768,24 euros, quitte à parfaire. Par un jugement du 18 décembre 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a condamné le GHI du F... à verser à Mme C... la somme de 345 017,84 euros au titre des préjudices subis du fait de la faute commise par le groupe hospitalier, ainsi que, pour la période postérieure au jugement, une rente annuelle de 18 746 euros au titre de l'assistance par tierce personne. Le GHI du F... relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de Mme C... en demandant que la condamnation indemnitaire soit " ramenée à de plus justes proportions ", critiquant d'une part l'octroi de la somme de 200 000 euros pour le déficit fonctionnel permanent et la somme de 2 000 euros au titre des frais de logement adapté. Mme C... étant décédée le 29 décembre 2020, ses héritiers, par la voie de l'appel incident, demandent la réformation du jugement, la condamnation indemnitaire du groupe hospitalier devant être portée à la somme de 560 442 euros.


Sur les conclusions du GHI du F... :


Sur la régularité du jugement attaqué :


2. Les premiers juges ont répondu de façon circonstanciée à l'ensemble des moyens de la requête de Mme C.... Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement pour insuffisance de sa motivation doit donc être écarté.


Sur le bien-fondé du jugement attaqué :


En ce qui concerne le principe de la responsabilité :


3. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.


4. Le GHI du F... ne conteste pas en appel l'existence d'une faute de service engageant sa responsabilité.


En ce qui concerne les préjudices :


S'agissant du déficit fonctionnel permanent :


5. Faute de consolidation possible de l'état de santé de Mme C..., celle-ci ne pouvait prétendre à la réparation du préjudice qu'elle invoquait au titre du déficit fonctionnel permanent. Toutefois, dans le cas d'une pathologie évolutive insusceptible d'amélioration, l'absence de consolidation, impliquant notamment l'impossibilité de fixer définitivement un taux d'incapacité permanente, ne fait pas obstacle à ce que soit mise à la charge du responsable du dommage la réparation des préjudices matériels et personnels dont il est d'ores et déjà certain qu'ils devront être subis à l'avenir. Mais, en tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, le décès de l'intéressée, le 29 décembre 2020, soit onze jours seulement après le jugement attaqué, fait obstacle à une condamnation indemnitaire au titre du déficit fonctionnel permanent. Le GHI du F... est donc fondé à demander que sa condamnation indemnitaire soit diminuée de la somme de 200 000 euros allouée par le tribunal à ce titre.


S'agissant des frais de logement adapté :


6. Le GHI du F... est fondé à soutenir que faute de production de la facture, c'est à tort que le tribunal a alloué la somme de 2 000 euros au titre du lit médicalisé.


7. Il résulte de tout ce qui précède que le GHI du Raincy Montfermeil est fondé à demander que sa condamnation indemnitaire soit diminuée d'une somme de 202 000 euros.


Sur l'appel incident :


8. En premier lieu, compte tenu notamment de la gravité de l'état de santé de
Mme C..., ses héritiers sont fondés à soutenir que le taux horaire de la tierce personne doit être évalué à 18 euros et non 13 euros. Compte tenu des calculs précis des intimés non contestés par le GHI, sur l'ensemble de la période litigieuse, il convient de condamner le groupe hospitalier intercommunal à verser la somme totale de 164 493 euros, au lieu des sommes additionnées de 54 452,84 euros pour la période comprise entre septembre 2014 et octobre 2019, et de 19 565 euros pour la période du 1er novembre 2019 au 29 décembre 2020, soit
74 018 euros. Les intimés sont donc fondés à demander une somme supplémentaire de
90 475 euros au titre de l'assistance par une tierce personne.


9. En deuxième lieu, les consorts C... sollicitent une somme supplémentaire de 17 766 euros pour les frais de logement adapté s'agissant de la réfection de la salle de bains, comprenant notamment une douche à l'italienne. D'une part, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance. Or, tel est bien le cas en l'espèce puisque les conclusions incidentes en appel limitent la somme sollicitée à 560 422 euros dans le dernier état des écritures, alors que la demande de première instance portait sur 1 075 314,12 euros. D'autre part, les intimés ont produit les factures correspondantes en appel et le GHI n'a contesté ni le principe ni le montant de ces frais de logement adapté. Les consorts C... sont donc fondés à demander l'allocation d'une somme supplémentaire de 17 766 euros à ce titre.


10. En dernier lieu, les consorts C... ne sont, en revanche, pas fondés à soutenir que les premiers juges, d'une part, n'ont pas fait une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire et permanent en l'évaluant à la somme globale de 10 000 euros, d'autre part, n'ont pas fait une juste appréciation du préjudice d'agrément en l'évaluant à la somme de 2 000 euros, enfin, n'ont pas fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire de septembre 2014 à la date du décès en l'évaluant à la somme de 30 000 euros.


11. Il résulte de tout ce qui précède que les intimés sont seulement fondés à demander une somme supplémentaire de 90 475 euros au titre de l'assistance par une tierce personne et une somme supplémentaire de 17 766 euros au titre des frais de logement adapté. Le surplus de leurs conclusions incidentes doit être rejeté.


12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la condamnation indemnitaire du GHI du F..., minorée de 202 000 euros ainsi qu'il a été dit au point 7, et majorée de 108 241 euros ans qu'il a été dit au point 11, doit être diminuée de 93 759 euros et donc ramenée à 251 258,84 euros.


Sur les conclusions des consorts C... au titre de l'article L. 761-1 du CJA :


13. Les dispositions susvisées font obstacle à ce que le GHI du F..., qui est partie gagnante pour l'essentiel dans la présente instance, verse une somme au titre des frais exposés par les consorts C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :
Article 1er : La condamnation indemnitaire du groupe hospitalier intercommunal du
F..., telle que modifiée selon les motifs du présent arrêt, est minorée pour être ramenée de la somme de 345 017,84 euros à la somme de 251 258, 84 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1813633 du 18 décembre 2020 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au groupe hospitalier intercommunal du
F... et aux consorts C....
Copie en sera adressée au ministre de la santé et de la prévention et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2022.
Le rapporteur,
D. PAGES
Le président,
T. CELERIER
La greffière,
K. PETIT
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00841