CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 24/05/2022, 20MA00598, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision24 mai 2022
Num20MA00598
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurMme Thérèse RENAULT
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsSELARL CHRISTELLE & ISABELLE GRENIER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 34 750 euros en réparation des préjudices subis à la suite d'un accident survenu durant son service.

Par un jugement n° 1801904 du 20 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à verser à M. C... une somme de 13 700 euros en réparation de son préjudice et une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 février 2020, M. C..., représenté par Me Grenier, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille du 20 décembre 2019 en tant qu'il a limité à la somme de 13 700 euros le montant de l'indemnité qu'il a condamneé l'Etat à lui verser ;

2°) de porter le montant des indemnités allouées, au titre des souffrances endurées, à 12 500 euros, au titre de son préjudice esthétique temporaire, à 750 euros, au titre de son préjudice esthétique permanent, à 1 500 euros, et au titre de son préjudice d'agrément, à
12 500 euros, et de lui allouer la somme de 7 500 euros au titre de son préjudice sexuel ;


3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- il a droit à une meilleure réparation au titre des différents préjudices indemnisés ;
- il subit un préjudice sexuel distinct du préjudice tenant aux souffrances endurées.


Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., sergent-chef au sein de la Légion étrangère, affecté au 1er régiment étranger d'Aubagne, a été blessé au genou droit lors d'un match de football réglementaire le
17 décembre 2014 et a obtenu, par arrêté du 21 août 2017, une pension militaire d'invalidité au taux de 30 %, à compter du 14 janvier 2016, porté à 40 %, à compter du 5 mars 2018, par arrêté du 4 novembre 2019. Par courrier du 29 septembre 2017, il a saisi la commission de recours des militaires afin que lui soit allouée une somme de 34 750 euros au titre de ses préjudices complémentaires. Il relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille en tant que ce jugement a limité à 13 700 euros le montant de l'indemnité à laquelle l'Etat a été condamné.

Sur les demandes indemnitaires :

2. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ".


3. Eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille.

4. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés au point précédent, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Cependant, si le militaire a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. La circonstance que le militaire victime d'un accident de service ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une pension militaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende à une indemnité réparant des pertes de revenus, une incidence professionnelle ou un déficit fonctionnel ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de l'Etat la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident.

5. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que l'accident dont a été victime M. C... est imputable au service et engage, de ce fait, la responsabilité sans faute de l'Etat.

En ce qui concerne les souffrances endurées :

6. Il résulte de l'instruction, et particulièrement du rapport d'expertise, en date du
22 mai 2017, réalisée par le médecin désigné par l'administration dans le cadre de sa demande d'indemnisation complémentaire des préjudices résultant de son accident de service, que
M. C... a enduré des souffrances évaluées par l'expert à 4 sur une échelle de 0 à 7, en ce qui concerne les souffrances physiques. Si les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante du préjudice relatif aux souffrances physiques, ils n'ont pas tenu compte des souffrances psychiques endurées par l'intéressé, avant consolidation, du fait du retentissement psychique de son accident, et qui sont établies tant par cette expertise que par les certificats et prescriptions médicales rédigées par les médecins psychiatres ayant assuré le suivi psychologique de M. C..., et dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 1 500 euros. Par conséquent, il y a lieu de porter à 8 800 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre des souffrances endurées.

En ce qui concerne le préjudice esthétique :

7. Il résulte de l'instruction que le préjudice esthétique temporaire comme le préjudice esthétique permanent peuvent être évalués à 1 sur une échelle allant de 0 à 7. Les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce préjudice en en fixant la réparation à une somme globale de 1 400 euros.


En ce qui concerne le préjudice d'agrément :

8. Il résulte de l'instruction que M. C... est désormais dans l'incapacité de reprendre ses activités sportives habituelles avant l'accident, en particulier saut en parachute, football, randonnée, ainsi que ses loisirs familiaux principaux, notamment les voyages touristiques. Compte tenu de l'âge de l'intéressé à la date de la consolidation de son état de santé, du taux d'infirmité qui lui a été reconnu, de sa situation familiale et de la place que tenaient les activités sportives dans sa vie avant son accident, il y a lieu de porter à la somme de 10 000 euros la somme que l'Etat doit être condamné à lui verser au titre de ce préjudice.

En ce qui concerne le préjudice sexuel :

9. Il résulte de l'instruction que M. C... subit un préjudice sexuel du fait des limitations des mouvements et postures consécutives aux séquelles de son accident. La seule circonstance que ce type de préjudice n'ait pas fait l'objet d'une appréciation par l'expert n'interdit pas la prise en compte d'un tel poste de préjudice, qui ne peut être indemnisé dans le cadre de l'indemnisation des souffrances endurées, qui présentent un caractère temporaire, ni dans le cadre du préjudice d'agrément, la sexualité ne pouvait être assimilée à un loisir ou à une activité sportive. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 1 500 euros, somme que l'Etat doit être condamné à verser à M. C... à ce titre.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à demander que le montant de l'indemnité à laquelle le tribunal a condamné la commune soit portée à
21 700 euros.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





D É C I D E :




Article 1er : Le montant de l'indemnité que l'Etat est condamné à verser à M. C... est porté à 21 700 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 20 décembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience publique du 10 mai 2022 où siégeaient :

' M. Badie, président,
' M. Revert, président assesseur,
' Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 24 mai 2022.







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N° 20MA00598