CAA de NANTES, 6ème chambre, 18/07/2023, 21NT03163, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 juillet 2023
Num21NT03163
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireMme MALINGUE
AvocatsSCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 1er avril 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension en qualité de conjointe survivante d'un mécanicien ayant servi dans la marine nationale.

Par un jugement n° 1905852 du 13 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 novembre 2021, Mme D..., représentée par Me Quinquis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 septembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 1er avril 2019 ;

3°) de reconnaître imputable au service la maladie dont est décédé son mari ;

4°) de lui allouer une pension militaire d'invalidité en qualité de conjointe survivante ;

5°) d'assortir les sommes dues des intérêts au taux légal à compter de la saisine de la ministre des armées ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la maladie dont son mari est décédé est imputable au service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête présentée par Mme D... est irrecevable et à titre subsidiaire qu'elle n'est pas fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., mécanicien embarqué dans la Marine nationale de 1962 à 1980, est décédé le 13 mai 2018 d'un cancer du rectum. Le 29 novembre 2018, son épouse a sollicité une pension militaire d'invalidité en qualité de conjointe survivante. Par une décision du 1er avril 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande. Mme D... relève appel du jugement du 13 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le caractère professionnel de la pathologie dont est décédé M. D... :

2. Aux termes de l'article L.121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Est présumée imputable au service : (...) 3° Toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1, L. 461-2 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le militaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ces tableaux ; 4° Toute maladie constatée au cours d'une guerre, d'une expédition déclarée campagne de guerre, d'une opération extérieure (...) ". Aux termes de l'article L. 121-2-1 du même code : " Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée par un tableau de maladies professionnelles mentionné aux articles L. 461-1, L. 461-2 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale peut être reconnue imputable au service lorsque le militaire ou ses ayants cause établissent qu'elle est directement causée par l'exercice des fonctions. / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux précités lorsque le militaire ou ses ayants cause établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions. ". Aux termes de l'article L. 141-1 de ce code : " Au décès du militaire, le conjoint survivant ou le partenaire d'un pacte civil de solidarité bénéficie d'un droit à pension dans les conditions prévues au présent titre. ". L'article L. 141-2 du même code dispose que : " Le droit à pension est ouvert au conjoint ou partenaire survivant mentionnés à l'article L. 141-1 : 1° Lorsque le militaire est décédé en jouissance d'une pension définitive ou temporaire correspondant à une invalidité égale ou supérieure à 60 % ou en possession de droits à cette pension (...) 3° Lorsque le décès du militaire résulte de maladies contractées ou aggravées par suite de fatigues, dangers ou accidents survenus par le fait ou à l'occasion du service, et ce, quel que soit le pourcentage d'invalidité éventuellement reconnu à l'ouvrant droit. ".

3. En l'absence de présomption légale, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'une relation certaine et directe de cause à effet entre les troubles qu'il invoque et un fait précis de service ou des circonstances particulières de service à l'origine de l'affection. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.

4. Il est constant qu'à la date de son décès, M. D... ne bénéficiait d'aucune pension militaire d'invalidité. Par ailleurs, sa pathologie, découverte à la suite d'une biopsie pratiquée le 30 mars 2018 alors qu'il avait cessé ses fonctions depuis de nombreuses années, ne figure pas aux tableaux 30 et 30 bis des maladies se rapportant à l'inhalation de poussières d'amiante. Par suite, la requérante doit apporter la preuve d'un lien de causalité certain et direct entre le cancer développé par son mari et l'activité professionnelle de ce dernier au sein de la Marine nationale.

5. Mme D... se prévaut du rapport non contradictoire établi le 11 septembre 2019 par le professeur B... de l'institut " qualité risques sécurité " du centre hospitalier régional universitaire de Brest, qui conclut que l'état actuel des connaissances ne permet pas de retenir un lien de causalité entre le cancer du rectum et l'exposition à l'amiante. Par ailleurs, si certaines études scientifiques produites par la requérante tendent à montrer une relation entre une exposition prolongée à de niveaux d'amiante élevés et l'apparition de cancers " digestifs ", l'étude publiée le 12 août 2016 réalisée dans le cadre du programme de dépistage français ARDCo, souligne qu'il n'existe pas de preuves " claires " d'une association entre le cancer du rectum et l'inhalation de poussières d'amiante. Les décisions des juridictions spécialisées compétentes en matière de reconnaissance des maladies professionnelles dont se prévaut Mme D... se fondent sur ces données. Elles n'ont admis le caractère professionnel d'un cancer du rectum que pour un salarié exposé à l'amiante pendant plus de 30 ans dont les autres facteurs de risques ne sont pas connus. Or, s'il n'est pas contesté que M. D... a été soumis à une exposition forte à l'amiante en raison de ses fonctions de mécanicien naval, le certificat du médecin traitant en date du 27 juin 2018 qu'il produit indique qu'il souffrait d'insuffisances cardiaque et rénale et le compte-rendu d'hospitalisation établi à la suite d'une admission en urgence le 27 septembre 2017 pour une dyspnée sévère, mentionne une consommation d'alcool à forte dose ancienne mais un sevrage tabagique extrêmement récent, facteurs susceptibles de provoquer l'apparition de cancers. Par suite, en l'absence de données scientifiques convergentes, Mme D... ne peut être regardée comme apportant la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre le cancer dont son mari a été victime et ses activités professionnelles au sein de la marine nationale entre 1962 et 1980.

6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre des armées, que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme D... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
























Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juillet 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON


La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 21NT03163