CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 18/09/2023, 21BX02874, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le maire de la commune de Vouillé a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.
Par un jugement n°1900891 du 4 mai 2021, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 juillet 2021 et le 21 novembre 2022 (non communiqué), la commune de Vouillé, représentée par son maire en exercice et par Me Gendreau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 4 mai 2021 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... ;
3°) subsidiairement, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale afin de déterminer si sa maladie est imputable au service ;
4°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la pathologie dont souffre Mme B... n'est pas une maladie professionnelle : en effet son affectation ne relève pas du tableau n° 98 des maladies professionnelles prévu par l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 dès lors que le poste occupé par l'intéressée au sein des services scolaires de la commune n'implique pas le port de charges lourdes ;
- en outre, selon l'avis de la commission de réforme dont elle s'est appropriée les motifs, sa symptomatologie est en rapport avec un état antérieur préexistant qui évolue pour son propre compte, sa maladie ne peut donc être regardée comme une maladie imputable au service ;
- subsidiairement, la contradiction étant manifeste entre les conclusions de l'expertise médicale et l'avis de la commission de réforme, une nouvelle expertise médicale ordonnée par le juge est nécessaire afin de déterminer si la pathologie de Mme B... est imputable au service.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2022, Mme B..., représentée par Me Souet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Vouillé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Duplan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., adjointe technique territoriale, exerce depuis 2005 des fonctions d'agent technique (ménage, cuisine, garderie) au sein du service scolaire de la commune de Vouillé dans le département de la Vienne. A compter du 28 août 2017, elle a été placée en congés de maladie ordinaire. Le 25 août 2018, elle a demandé au maire de la commune de Vouillé, la reconnaissance de sa pathologie en tant que maladie imputable au service. Par un arrêté du 19 février 2019 le maire de cette commune a rejeté sa demande et a placé l'intéressée en congé de longue maladie. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 4 mai 2021, le tribunal a fait droit à sa demande. La commune de Vouillé relève appel de ce jugement dont elle demande l'annulation.
2. D'une part, les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée. Si la commune se prévaut des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 introduit par l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017, ces dispositions n'étaient pas encore entrées en vigueur à la date à laquelle Mme B... a été placée en congé de maladie, le 28 août 2017, faute de décret d'application. Le décret d'application du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale n'est entré en vigueur que le 13 avril 2019. Par suite la commune de Vouillé ne peut utilement soutenir que la pathologie dont souffre Mme B... ne relevait pas du tableau n° 98 des maladies professionnelles du régime général régi par l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, qui est inapplicable à sa situation. Pour le même motif, la commune ne peut utilement soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à un de ses moyens, relatif à l'application des mêmes dispositions.
3. D'autre part, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 dans sa rédaction applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".
4. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. L'existence d'un état antérieur, fût-il évolutif, ne permet d'écarter l'imputabilité au service de l'état d'un agent que lorsqu'il apparaît que cet état a déterminé, à lui seul, l'incapacité professionnelle de l'intéressé.
5. Il ressort des pièces du dossier que, pour déclarer la maladie de Mme B... non imputable au service et estimer que ses arrêts de travail à compter du 28 août 2017 relevaient d'un congé de maladie ordinaire puis d'un congé de longue maladie, la commune de Vouillé a retenu dans son arrêté du 19 février 2019, suivant l'avis de la commission de réforme, que la pathologie lombalgique de l'intéressée était en rapport avec " un état préexistant évoluant pour son propre compte ". Pour annuler l'arrêté du 19 février 2019, le tribunal a estimé au contraire que la commune de Vouillé avait commis une erreur d'appréciation en estimant que sa pathologie n'était pas imputable au service.
6. Pour contester le jugement du tribunal, la commune de Vouillé persiste à soutenir que la pathologie dont souffre l'intéressée relève d'un état préexistant évoluant pour son propre compte et n'est donc pas imputable au service. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise du docteur C..., médecin agréé, établi le 23 octobre 2018, au vu duquel l'autorité territoriale s'est prononcée, que l'intéressée présentait " des douleurs lombaires diurnes et nocturnes " et que " les soins et frais médicaux prescrits sont à prendre en charge au titre de sa maladie professionnelle depuis l'origine le 27 août 2018 et jusqu'à la date de consolidation de sa maladie ". Si ce médecin admet, de manière équivoque, " qu'il existe un état préexistant non déclaré (lombalgie depuis 2010) " il ajoute " qu'il n'y a pas de pathologie indépendante évoluant pour son propre compte ". En outre, le certificat du médecin du travail du 1er février 2019 conclut dans le même sens en indiquant que " les pathologies de Mme B... sont en rapport direct avec l'exercice de son activité professionnelle ". Alors que le poste occupé par Mme B... comportait principalement des missions de ménage, de cuisine scolaire et de garde des enfants, qui sont par nature, physiquement sollicitantes, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'évolution de sa " lombosciatique droite chronique L4-L5 " diagnostiquée depuis 2010, aurait entraîné, à elle seule et indépendamment des conditions d'exécution de son service d'agent technique au sein des services scolaires de la commune de Vouillé qu'elle occupait depuis 2005, l'incapacité professionnelle de l'intéressée à compter du 28 août 2017.
7. Dans ces conditions, en dépit de l'avis défavorable de la commission de réforme, il y a lieu de considérer que les pathologies dont Mme B... a été atteinte à compter du 28 août 2017 sont imputables au service.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la commune de Vouillé n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté en litige.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à la commune de Vouillé une somme sur ce fondement. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Vouillé la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Vouillé est rejetée.
Article 2 : La commune de Vouillé versera la somme de 1 500 euros à Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Vouillé.
Délibéré après l'audience du 28 août 2023 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 septembre 2023.
La rapporteure,
Caroline D...
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Catherine Jussy La République mande et ordonne au préfet de la Vienne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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