CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 21/12/2023, 21BX04554, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision21 décembre 2023
Num21BX04554
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurM. Olivier COTTE
CommissaireMme ISOARD
AvocatsSELARL MDMH

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 mai 2019 par lequel la ministre des armées lui a attribué une pension militaire d'invalidité, en tant qu'il a limité à 10 % le taux d'invalidité imputable au service, et de fixer ce taux à 30 %, après avoir constaté le caractère définitif de son droit à pension.

Par un jugement n° 1905983 du 16 novembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 décembre 2021 et le 10 mai 2022, M. C..., représenté par Me Maumont, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 mai 2019 en tant qu'il fixe le taux d'invalidité imputable au service à 10 % ;

3°) de fixer ce taux à 30 %, après avoir constaté le caractère définitif de son droit à pension ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise judiciaire afin de se prononcer sur le taux d'invalidité ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :
- selon le décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre, le syndrome de stress post traumatique est une blessure de guerre ; or, il résulte des dispositions de l'article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre qu'il existe une présomption d'imputabilité au service lorsque la blessure constatée a eu lieu dans le temps et sur le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ; s'il a rencontré des difficultés d'ordre psychologique avant l'opération extérieure en Afghanistan, qui s'est déroulée du 11 avril 2012 au 30 juillet 2012, il a été déclaré " apte à servir et faire campagne en tout lieu sans restriction ", notamment en opérations extérieures, lors de ses visites d'aptitude des 16 juin 2010 et 3 janvier 2012 ; c'est en raison d'une nouvelle décompensation psychique consécutive à cette opération, lors de laquelle il a vécu deux épisodes de guerre, qu'il est devenu inapte aux opérations extérieures ; alors qu'il n'a bénéficié d'aucun suivi psychologique, ni sas de décompression à la suite de ces évènements, les médecins qui l'ont examiné à son retour ont relevé une modification notable de son état antérieur, du fait de situations de stress intenses et prolongées ; les troubles qu'il en conserve sont particulièrement invalidants, comme en attestent ses proches ; le neuropsychiatre qui l'a reçu dans le cadre de l'instruction de sa demande a retenu un taux d'invalidité imputable au service de 30 % et a évalué l'état antérieur à 5 % ; l'attribution d'un taux minimum, qui plus est à titre temporaire, est peu compréhensible ; l'expertise médicale réglementaire, qui met en évidence une affection pouvant être qualifiée de modérée et non de légère, doit prévaloir ; en outre, il s'est vu proposer, par protocole transactionnel, le 6 août 2021, une indemnisation en réparation des préjudices subis à la suite de l'opération extérieure en Afghanistan entre avril et juillet 2012, ce qui montre que l'état de stress post traumatique est bien consécutif à sa participation à l'opération " PAMIR " ;
- si la cour devait estimer qu'il existe un doute sur le taux d'incapacité qu'il y a lieu de retenir, une mesure d'expertise présenterait un caractère d'utilité, d'autant que le médecin en charge des pensions militaires d'invalidité et la commission consultative médicale ont rendu leur avis sans respecter le principe du contradictoire.


Par un mémoire en défense enregistré le 22 avril 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :
- l'article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa version en vigueur à la date de la demande de pension, ne prévoit pas de présomption d'imputabilité au service ; en outre, la présomption légale concerne les appelés du contingent alors que l'intéressé servait en qualité d'engagé sous contrat ; il appartient ainsi à l'intéressé d'établir que son infirmité a été éprouvée ou aggravée par le fait ou à l'occasion du service ;
- le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité a estimé que l'intéressé présentait des troubles importants du comportement chez une personnalité hyper-expressive, en grandes difficultés relationnelles, et que ses revendications portent essentiellement sur l'indifférence de l'institution le concernant ; il a donc estimé qu'une petite partie seulement des symptômes pouvaient être indemnisés, à hauteur de 10 %, et que la seconde infirmité, tenant à un syndrome anxiodépressif, qui préexistait à la mission en Afghanistan et qui peut être évaluée à 25 %, était sans relation médicale avec le service ; la coexistence de ces deux pathologies a été confirmée par la commission consultative médicale ;
- la pension d'invalidité ne peut être définitive tant que la maladie n'est pas regardée comme incurable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; d'ailleurs, l'expert qui avait examiné M. C... dans le cadre de l'instruction de sa demande a, en vue du renouvellement de sa pension, revu l'intéressé et conclu qu'à la date du 30 janvier 2020, le taux d'incapacité est de 25 %, dont 10 % imputable au service, ce qui confirme l'existence de deux pathologies distinctes.

Par une ordonnance du 25 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 juin 2022 à 12 heures.

Un mémoire, présenté par la ministre des armées, a été enregistré le 28 juin 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Par lettre du 26 octobre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré ce que la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux était irrecevable faute d'avoir été précédée du recours administratif préalable obligatoire prévu à l'article L. 711-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

M. C... et le ministre des armées ont présenté des observations en réponse à ce moyen relevé d'office, enregistrées respectivement les 3 et 8 novembre 2023.

M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, notamment son article 51 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le décret n° 2018-1292 du 28 décembre 2018 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique ;
- les observations de M. C....


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né le 23 juillet 1972, a été appelé au sein de l'armée de terre le 1er juin 1993, puis a servi par des engagements successifs à compter du 4 mars 1997. Il a été radié des contrôles le 1er février 2014 au grade de caporal-chef de première classe. Le 24 janvier 2017, il a présenté une demande de pension militaire d'invalidité pour " troubles du comportement " après avoir réalisé une mission en Afghanistan d'avril à juillet 2012. Par un arrêté du 20 mai 2019, M. C... s'est vu concéder, pour une période de trois ans, une pension d'invalidité mixte au taux global de 10 % à raison d'un " état de stress post-traumatique modeste avec hyper vigilance et troubles du sommeil ". Insatisfait du taux retenu, qu'il souhaitait voir porter à 30 %, M. C... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux afin d'obtenir l'annulation de l'arrêté ministériel du 20 mai 2019, en tant qu'il a retenu un taux d'invalidité de 10 %. M. C... relève appel du jugement du 16 novembre 2021 qui a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article L. 711-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les recours contentieux contre les décisions individuelles prises en application du livre Ier et des titres Ier à III du livre II sont précédés d'un recours administratif préalable exercé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article R. 711-1 du même code : " Tout recours contentieux formé à l'encontre des décisions individuelles prises en application des dispositions du livre Ier et des titres Ier à III du livre II du présent code est précédé, à peine d'irrecevabilité, d'un recours administratif préalable obligatoire examiné par la commission de recours de l'invalidité, placée conjointement auprès du ministre de la défense et du ministre chargé du budget. (...) ". Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er novembre 2019, en application de l'article 6 du décret du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
3. Il résulte de l'instruction que M. C... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux le 4 décembre 2019, soit postérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions des articles L. 711-2 et R. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre instaurant un recours administratif préalable avant la saisine du juge. Il n'est pas établi que l'intéressé ait saisi la commission de recours de l'invalidité avant d'introduire sa demande de première instance devant le tribunal. Si la notification de la décision du 27 mai 2019 ne mentionne pas l'existence et le caractère obligatoire de ce recours administratif préalable, cette circonstance a pour seule conséquence d'empêcher le délai de recours de courir, mais ne régularise pas l'absence de recours préalable obligatoire. Par suite, la demande de M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux était irrecevable.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de sa requête d'appel, que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 mai 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que lui soit accordée une pension militaire d'invalidité à titre définitif à un taux de 30 %, ainsi qu'à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, doivent également être rejetées.
DÉCIDE :



Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,


Olivier A... La présidente,



Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21BX04554