CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 28/12/2023, 21TL24511, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :
Sous le n° 1804249, d'annuler la décision du 11 juillet 2018 par laquelle le président du conseil départemental du Tarn a prolongé son congé de longue durée en tant qu'elle l'a reconnu inapte de manière totale et définitive et qu'elle a sollicité la saisine de la commission de réforme pour une demande exclusive de mise à la retraite pour invalidité.
Sous le n° 1905687, d'annuler la décision du 18 juin 2019 par laquelle le président du conseil départemental du Tarn a prononcé sa mise à la retraite pour invalidité non imputable au service et d'enjoindre au président du conseil départemental du Tarn de prononcer sa mise à la retraite pour invalidité imputable au service, et de le rétablir rétroactivement dans ses droits, dès notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 250 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1804249, 1905687 du 10 novembre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 18 juin 2019 par laquelle le président du conseil départemental du Tarn a décidé de la mise à la retraite de M. A... à compter du 4 juin 2019 pour invalidité non imputable au service, enjoint au président du conseil départemental du Tarn d'édicter, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, une nouvelle décision purgée du vice d'incompétence, concernant la mise à la retraite de M. A... à compter du 4 juin 2019 et rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous le n°21BX04511, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL24511, M. B... A..., représenté par Me Amalric-Zermati, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 10 novembre 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 18 juin 2019 par laquelle le président du conseil départemental du Tarn a prononcé sa mise à la retraite pour invalidité non imputable au service ;
3°) d'enjoindre au président du conseil départemental du Tarn de prononcer sa mise à la retraite pour invalidité imputable au service, au besoin sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge du département du Tarn au profit de son conseil la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que l'imputabilité au service de l'accident déclaré le 23 octobre 2013 est établie par l'expertise judiciaire, le harcèlement moral subi ayant entraîné de nombreuses conséquences sur sa santé émotionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2023, le département du Tarn, représenté par la SCP Cantier et associés agissant par Me Ortholan, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que ni l'expert ni le requérant ne démontrent l'imputabilité au service du prétendu accident de service qu'il aurait subi le 23 octobre 2013 et que la pathologie du requérant est dépourvue de lien avec l'exercice de ses fonctions.
Par ordonnance du 30 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 mai 2023.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 3 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ortholan, représentant le département du Tarn.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., rédacteur territorial au département du Tarn depuis le 1er janvier 1994 et titularisé un an plus tard, a été affecté à compter du 1er juillet 2006 à la conservation départementale des musées au Musée du Cayla, où il était chargé de l'accueil des publics, de la médiation culturelle et de l'administration du musée. Après une première période d'arrêt de travail du 8 avril 2011 au 22 mars 2012, il a repris ses fonctions à temps partiel thérapeutique jusqu'au 20 décembre 2012. Il a ensuite été autorisé à exercer ses fonctions à temps partiel au taux de 80% au titre de l'année 2013. Il a été placé en arrêt de travail à compter du 4 novembre 2013 et a été placé en congé de longue durée du 10 décembre 2013 au 9 juin 2018 par un arrêté du 28 décembre 2015. Par une décision du 11 juillet 2018, le président du conseil départemental du Tarn a prolongé ce congé de longue durée pour une dernière période allant du 10 juin au 9 décembre 2018. Par une décision du 18 juin 2019, le président du conseil départemental du Tarn a prononcé sa mise à la retraite pour invalidité, non imputable au service, au taux d'invalidité permanente partielle de 50 % à compter du 4 juin 2019. M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler ces deux dernières décisions. Par un jugement du 10 novembre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 18 juin 2019 au motif de l'incompétence de son signataire, a enjoint au président du conseil départemental du Tarn d'édicter une nouvelle décision purgée de ce vice concernant la mise à la retraite de M. A... à compter du 4 juin 2019 et a rejeté le surplus de ses demandes. Par un arrêté du 4 janvier 2022, le président du conseil départemental a rapporté la décision du 18 juin 2019 et a repris une décision ayant le même objet. M. A... relève appel du jugement du 10 novembre 2021 et demande l'annulation de la décision du 18 juin 2019. Le requérant est recevable à relever appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande principale tendant à enjoindre au président du conseil départemental du Tarn de prononcer sa mise à la retraite pour invalidité imputable au service.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " La réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions sont appréciés par une commission de réforme selon des modalités qui sont fixées par un décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article 30 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande. / (...) / La mise en retraite d'office pour inaptitude définitive à l'exercice de l'emploi ne peut être prononcée qu'à l'expiration des congés de maladie, des congés de longue maladie et des congés de longue durée dont le fonctionnaire bénéficie en vertu des dispositions statutaires qui lui sont applicables, sauf dans les cas prévus à l'article 39 si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité que son caractère définitif et stabilisé ne rend pas susceptible de traitement. (...) ". Aux termes de l'article 31 de ce décret, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier la réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions. (...) / Le pouvoir de décision appartient dans tous les cas à l'autorité qui a qualité pour procéder à la nomination, sous réserve de l'avis conforme de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. / (...) / La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales peut, à tout moment, obtenir la communication du dossier complet de l'intéressé, y compris les pièces médicales. Tous renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l'examen des droits définis au présent titre pourront être communiqués, sur leur demande, aux services administratifs dépendant de l'autorité à laquelle appartient le pouvoir de décision ainsi qu'à ceux de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. / (...) ". Aux termes de l'article 36 de ce décret : " Le fonctionnaire qui a été mis dans l'impossibilité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées, soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes, peut être mis à la retraite par anticipation soit sur sa demande, soit d'office, à l'expiration des délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 et a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° de l'article 7 et au 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. ". Aux termes de l'article 39 de ce décret : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être mis à la retraite par anticipation soit sur demande, soit d'office dans les délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un fonctionnaire territorial, ayant épuisé ses droits aux congés de maladie, de longue maladie et de longue durée, se trouve définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, il est admis à la retraite, soit d'office, soit à sa demande, après avis de la commission de réforme.
4. D'autre part, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service.
5. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de faire droit à la demande de M. A... tendant à sa mise à la retraite pour invalidité imputable au service, le président du conseil départemental du Tarn s'est fondé sur l'avis de la commission de réforme du 3 juin 2019, selon lequel l'intéressé est inapte de façon totale et définitive à ses fonctions et à toutes fonctions et donnant un avis favorable à sa mise à la retraite pour invalidité non imputable au service. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été placé en arrêt de travail à compter du 4 novembre 2013, prolongé de manière continue du 23 décembre 2013 au 30 octobre 2015. Ces arrêts de travail établis par son médecin généraliste faisaient état de " troubles anxieux réactionnels ", de " troubles du sommeil " et " d'un suivi psychiatrique régulier ". Le requérant soutient que la dégradation de son état de santé est en lien direct avec les faits de harcèlement moral qu'il aurait subis de la part de sa hiérarchie, à son retour de congé de maladie en avril 2012. Toutefois, s'il expose que son poste a été modifié en ce que certaines attributions et responsabilités lui ont été retirées, il ne ressort pas de la description de poste établie le 12 avril 2012 que M. A... se serait vu retirer des attributions par rapport au document établi le 6 juin 2006, alors qu'il a repris ses fonctions à temps partiel thérapeutique. S'il soutient que les plaintes émanant de visiteurs remettant en cause sa manière de servir en septembre 2013 seraient infondées, il ne produit aucune pièce susceptible de remettre en cause les faits reprochés. M. A... expose ensuite avoir été victime d'un acharnement disciplinaire de la part de ses supérieurs hiérarchiques. Toutefois, alors qu'il ne produit aucun élément permettant de justifier ses dires, la matérialité des faits reprochés à l'origine du blâme prononcé à son encontre par arrêté du 5 décembre 2013 a été établie par le tribunal administratif de Toulouse dans son jugement n° 1402721 du 7 septembre 2016 confirmé par ordonnance de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 16BX03572 du 6 juillet 2017. De même, si par un autre arrêté du 5 décembre 2013, M. A... a fait l'objet d'un changement d'affectation au service de l'habitat et du logement de la direction chargée de la vie sociale et de l'insertion, son recours présenté à l'encontre de cette décision dont il estimait qu'elle revêtait le caractère d'une sanction déguisée a été rejeté par jugement n° 1402726 du tribunal administratif de Toulouse du 14 décembre 2016, lequel a été confirmé par ordonnance de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 17BX00571 du 6 juillet 2017. Les pourvois formés par M. A... à l'encontre de ces ordonnances n'ont pas été admis par décision du Conseil d'Etat n° 414074-414076. Ainsi, il ne ressort d'aucune pièce que M. A... aurait subi des pressions ou un quelconque acharnement de la part de sa hiérarchie de nature à créer des conditions de travail susceptibles d'engendrer une souffrance psychologique. Le requérant soutient ensuite que l'élément déclencheur de sa pathologie, résultant du profond malaise qu'il ressent au travail, réside dans l'appel téléphonique reçu le 23 octobre 2013 par lequel sa supérieure hiérarchique l'informait de ce qu'il était convié à un entretien avec le directeur général administratif. Cet évènement serait constitutif d'un accident de travail, dont son employeur a cependant refusé de reconnaître l'imputabilité au service. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la pathologie de M. A... aurait été causée par cet appel téléphonique, qui relève du fonctionnement normal du service et ne peut être qualifié d'accident de travail. En outre, il ressort des documents médicaux produits par le requérant que les arrêts de travail qui lui ont été prescrits par son médecin généraliste à compter d'avril 2011 avaient déjà pour origine des " troubles anxieux généralisés ", et non seulement des problèmes d'urticaire comme il l'expose. M. A... se prévaut de l'expertise rendue le 16 octobre 2017 par le docteur C..., désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse. Selon cet expert, " la souffrance détaillée par M. A... trouve largement son origine dans les problèmes professionnels ", concluant que " les arrêts de travail sont en lien direct avec le vécu professionnel douloureux " de M. A.... Toutefois, alors que ce rapport succinct se borne à reprendre les déclarations de l'intéressé, l'expert désigné en 2015 sur saisine de la commission de réforme devant se prononcer sur la reconnaissance de l'accident de service en date du 23 octobre 2013, évoquait " l'hypersensitivité " de M. A... et " l'organisation fragile voire pathologique " de sa personnalité. Ainsi, les éléments versés aux débats par M. A... ne permettent pas d'établir que le contexte professionnel dans lequel il a évolué aurait été susceptible de créer une souffrance psychique. Par suite, M. A... n'établit pas que sa maladie serait directement causée par l'exercice de ses fonctions.
6. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Tarn, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement au département du Tarn d'une somme au titre des frais liés au litige qu'il a exposés.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département du Tarn au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au département du Tarn.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au préfet du Tarn en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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