CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 12/03/2024, 23MA02153, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision12 mars 2024
Num23MA02153
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentMme HELMLINGER
RapporteurM. Laurent LOMBART
CommissaireMme BALARESQUE
AvocatsPAOLANTONACCI

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions de Marseille d'annuler l'arrêté interministériel du 3 décembre 2018 réduisant le montant de sa pension militaire d'invalidité à un taux global de 85 %.

Par un jugement n° 18/00163 du 30 août 2019, le tribunal des pensions de Marseille a partiellement annulé cet arrêté, notamment en tant qu'il supprime la mention de la perte de sélectivité et a décidé que M. B... avait droit au renouvellement, à titre définitif, de l'infirmité " hypoacousie bilatérale ", avec un taux fixé à 40 %, dont 22 % imputable au service, avec majoration de 10 % pour perte de sélectivité, avant d'enjoindre à l'administration de procéder à la liquidation de la pension de M. B... au taux global de 90 %, avec le versement d'une allocation de grand invalide.
Procédure devant la Cour avant cassation :

Par un recours et des mémoires complémentaires, enregistrés le 7 novembre 2019, et les 21 février et 3 juillet 2020, le ministre des armées demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal des pensions de Marseille du 30 août 2019.




Il soutient que :

- l'hypoacousie bilatérale dont M. B... est atteint et qui est d'origine traumatique n'ayant pu s'aggraver en l'absence d'exposition à de nouveaux traumatismes, sa baisse d'audition est due à une presbyacousie qui constitue une infirmité distincte ;
- la majoration pour perte de sélectivité n'était plus constituée à la date du renouvellement de cette infirmité qui n'avait pu être reconnue qu'à titre temporaire, nonobstant l'existence d'une décision judiciaire devenue définitive.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 janvier, 27 février et 9 juillet 2020, M. B..., représenté par Me Paolantonacci, conclut, à titre principal, au rejet de ce recours, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise médicale soit ordonnée et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le ministre des armées ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 19MA04751 du 26 janvier 2021, la Cour a réformé le jugement du tribunal des pensions de Marseille du 30 août 2019 en ce qu'il porte le taux de l'infirmité " hypoacousie bilatérale " à 40 %, dont 22 % imputables au service, et a rejeté le surplus des conclusions du recours du ministre des armées.

Par une décision n° 451212 du 11 août 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt de la Cour du 26 janvier 2021 en tant qu'il statue sur la majoration de 10 % pour perte de sélectivité et, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, lui a renvoyé l'affaire qui porte désormais le n° 23MA02153.

Procédure devant la Cour après cassation :
Par des courriers du 17 août 2023, la Cour a informé les parties de la reprise d'instance après cassation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 octobre et 5 décembre 2023, M. B... conclut :

- à ce que, avant dire droit, la Cour désigne un expert de justice avec pour mission de :
. se placer à la date de conversion en pension définitive, soit le 29 octobre 2017 ;
. décrire l'infirmité " perte de sélectivité ", après avoir pratiqué un examen audiométrique complet ;
. donner son avis sur les divers audiogrammes pratiqués avant la date de conversion et après ladite date ;
. fixer le taux d'invalidité au regard du guide barème applicable aux pensions militaires d'invalidité et, plus précisément en l'espèce, du décret du 3 décembre 1971 modifié par le décret du 30 janvier 1993 ;
. d'une manière générale, faire toute constatation médicale utile à la solution du litige ;

- à ce que la Cour sursoie à statuer sur le surplus.
Il fait valoir que :

- le rapport dressé le 30 août 2018 n'a pas été établi conformément au guide-barème applicable ;
- la perte de sélectivité a toujours été observée sur l'ensemble de la période courant de 2015 à 2019 ;
- le code impose de se placer à la date de la demande mais pas d'écarter des débats les documents qui, bien que postérieurs à cette date, tendent à établir la réalité et l'importance de l'infirmité à cette même date ; si toutes les pièces postérieures à la date de référence, soit le 29 octobre 2017, devaient être écartées, le rapport dressé le 30 août 2018 devrait l'être aussi ;
- en l'état, une mesure d'expertise est seule de nature à trancher la question médicale posée.
Par des mémoires complémentaires, enregistrés les 30 novembre et 15 décembre 2023, le ministre des armées demande à la Cour de rejeter les conclusions présentées par M. B... tendant à la désignation d'un expert de justice et au bénéfice de la majoration de 10 % au titre d'une perte de sélectivité.

Il soutient que :

- le code des pensions militaires d'invalidité exige de se placer à la date du renouvellement de la pension, soit, en l'espèce, le 29 octobre 2017, au regard des résultats d'expertise rendus conformément aux obligations prévues par la circulaire relative à la constitution, à l'instruction et à la liquidation des dossiers de pension d'invalidité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre du 12 février 2010, et par l'instruction ministérielle n° 606 B du 20 juillet 1976 relative aux expertises médicales ; M. B... ne peut utilement se prévaloir des audiogrammes des 28 mai 2015, 8 janvier 2019 et 25 septembre 2023 pour remettre en cause les résultats de celui réalisé le 13 août 2018, ni pour solliciter avant dire droit, la mise en œuvre d'une expertise médicale ;
- le taux d'invalidité résultant de l'hypoacousie de M. B... ne peut être majoré
de 10 dès lors que ce dernier n'invoque aucun moyen susceptible de remettre en cause la validité de l'audiogramme du 13 août 2018, qui a été réalisé dans le cadre de sa demande de renouvellement, au plus proche de la date du 29 octobre 2017, et qui a montré une différence de 40 décibels (dB) entre les seuils d'audition sur les fréquences 4 000 et 1 000 hertz (Hz) pour la meilleure oreille.
Un courrier du 8 novembre 2023, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 15 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :
1. En exécution d'un jugement du tribunal des pensions de Marseille du 13 avril 2017, confirmé par un arrêt de la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence rendu le 14 mai 2018, M. B..., né le 22 juillet 1948, militaire de carrière radié des cadres le 30 octobre 1991, alors titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux global de 40 %, s'est vu reconnaître, par un arrêté interministériel du 16 juillet 2018, le droit à la révision de cette pension, dont le taux global a été porté à 90 %, du fait de deux infirmités nouvelles, dont une hypoacousie bilatérale. Le taux de cette infirmité, arrêté à titre temporaire pour la période du 29 octobre 2014 au 28 octobre 2017, était alors évalué à 30 %, dont 12 % imputables au service, avec majoration de 10 % pour perte de sélectivité, soit un taux indemnisable de 22 %. Par un arrêté interministériel du 3 décembre 2018 statuant sur le droit au renouvellement de la pension versée au titre de ces infirmités nouvelles à compter du 29 octobre 2017, le taux global de la pension attribuée à M. B... a été ramené à 85 %, par suite de la réévaluation constatée de l'hypoacousie bilatérale, dont le taux d'invalidité a été limité à 12 %, sans droit à la majoration de 10 % pour perte de sélectivité, tandis qu'une nouvelle baisse auditive bilatérale non imputable au service a été identifiée, dont le taux a été évalué à 28 %. Par un jugement du 30 août 2019, le tribunal des pensions de Marseille a, saisi par M. B..., jugé que ce dernier avait droit au renouvellement à titre définitif de la pension versée au titre de l'infirmité " hypoacousie bilatérale ", dont il a fixé le taux à 40 %, dont 22 % imputable au service, avec une majoration de 10 % pour perte de sélectivité. Sur appel du ministre des armées, la Cour a, par l'arrêt n° 19MA04751 du 26 janvier 2021, réformé ce jugement en ce qu'il a porté le taux de l'infirmité " hypoacousie bilatérale " à 40 %, dont 22 % imputable au service, en jugeant que M. B... ne pouvait prétendre qu'à un taux de 12 % imputable au service mais avec une majoration de 10 % pour perte de sélectivité. Par la décision susvisée rendue le 11 août 2023, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi du ministre des armées, annulé cet arrêt de la Cour en tant qu'il statue sur cette majoration de 10 % pour perte de sélectivité et lui a renvoyé l'affaire dans cette mesure.
2. Aux termes de l'article L. 8 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 121-8 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension temporaire est concédée pour trois années. Elle est renouvelable par périodes triennales après examens médicaux. / Au cas où la ou les infirmités résultent uniquement de blessures, la situation du pensionné doit, dans un délai de trois ans, à compter du point de départ légal défini à l'article L. 6, être définitivement fixée soit par la conversion à un taux supérieur, égal ou inférieur au taux primitif, de la pension temporaire en pension définitive, sous réserve toutefois de l'application de l'article 29, soit, si l'invalidité a disparu ou est devenue inférieure au degré indemnisable par la suppression de toute pension. (...) ".
3. Par ailleurs, le guide barème des invalidités, qui constitue l'annexe 2 au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre applicable au présent litige, précise, en ce qui concerne les diminutions d'acuité auditive : " Pour tenir compte des pertes de sélectivité importantes qui peuvent être la conséquence d'une atteinte post-traumatique ou toxique, ces taux seront majorés de 10 lorsque, pour la meilleure oreille (celle dont la PA est la moins accentuée), la différence des seuils d'audition sur les fréquences 4 000 et 1 000 Hz (4 000 - 1 000) est égale ou supérieure à 50 dB, à la condition toutefois que la perte auditive moyenne en dB (PA) de la meilleure oreille soit inférieure à 60 dB, car la gêne fonctionnelle qui résulte d'une perte de sensibilité supérieure n'est que fort peu aggravée par la perte de sélectivité ". Il résulte de ces dispositions que si la perte de sélectivité ne peut être retenue que sous la forme d'une majoration du taux de l'hypoacousie, et non d'une infirmité distincte, les conditions qu'elles prévoient doivent néanmoins être appréciées sur la base de l'ensemble des pertes auditives que présente l'intéressé, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre le taux de ces pertes auditives imputables au service et le taux de celles qui ne le sont pas. Ainsi, en cas d'aggravation de l'hypoacousie pour une cause non imputable au service, l'application de ces dispositions peut conduire à ce qu'une perte de sélectivité précédemment égale ou supérieure à 50 décibels (dB), et comme telle ouvrant droit à une majoration de 10, soit constatée comme inférieure à 50 dB, et comme telle comme n'ouvrant plus droit à cette majoration.
4. Au cas particulier, il résulte de l'instruction, et notamment des résultats de l'audiométrie pratiquée, le 13 août 2018, par le chef du service oto-rhino-laryngologiste (ORL) de l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Laveran, que les seuils d'audition sur la meilleure oreille de M. B..., soit celle de droite, ont été mesurés à 80 dB, sur la fréquence
4 000 hertz (Hz), et à 40 dB, sur la fréquence 1 000 Hz. La différence des seuils d'audition sur les fréquences 4 000 et 1 000 Hz pour cette oreille était ainsi alors égale à 40 dB, soit un niveau inférieur au minimum de 50 dB ouvrant droit à une majoration du taux d'invalidité pour pertes de sélectivité importantes. En se bornant à affirmer que ce chef de service n'aurait pas appliqué le guide-barème, à se prévaloir d'audiogrammes réalisés le 28 mai 2015, les 24 janvier et 17 décembre 2019, et le 25 septembre 2023, et à soutenir que les résultats obtenus peuvent varier en fonction de l'appareil utilisé, M. B... n'apporte pas d'éléments suffisamment circonstanciés pour remettre en cause les relevés du chef du service ORL de l'HIA Laveran qui ont été opérés à la date la plus proche de celle du 29 octobre 2017, date du renouvellement de la pension, ni à justifier que soit ordonnée une expertise avant dire droit. Dès lors, M. B... ne peut prétendre à la majoration du taux d'invalidité prévue par les dispositions citées au point 3 ci-dessus du présent arrêt.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise avant dire-droit comme le demande en défense M. B..., le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 30 août 2019, le tribunal des pensions de Marseille a retenu une majoration de 10 % pour perte de sélectivité.

D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 18/00163 du tribunal des pensions de Marseille du 30 août 2019 est également annulé en tant qu'il a retenu une majoration de 10 % pour perte de sélectivité.
Article 2 : La demande de première instance de M. B... tendant au bénéfice de cette majoration ainsi que les conclusions à fin d'expertise qu'il a présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 20 février 2024, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.
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No 23MA02153