CAA de NANTES, 6ème chambre, 26/03/2024, 23NT02338, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'annuler la décision du 18 mai 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation.
Par un jugement n° 1912716 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de la défense du 18 mai 2017, a porté de 20 % à 30 % le taux de l'infirmité " séquelles d'entorse du genou droit avec lésion méniscale interne et externe et de l'instabilité antéropostérieure par lésion de l'appareil ligamentaire croisé " de M. C..., a enjoint au ministre des armées de liquider la pension militaire d'invalidité de M. C... en tenant compte du taux de 30 % révisé à compter du 2 mars 2016 et a mis les frais d'expertise à la charge de l'Etat.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 novembre 2022, le ministre des armées demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Nantes et de confirmer la décision du 18 mai 2017.
Il soutient que :
- le tribunal a méconnu les articles L. 6, L. 26 et L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre :
* en fondant sa décision sur le rapport d'expertise judiciaire du 29 avril 2020, alors que l'évaluation d'une infirmité se fait, dans le cadre d'une révision pour aggravation, par référence à la gêne fonctionnelle objectivée à la date de la demande, puis par comparaison de cette gêne avec celle décrite dans les expertises antérieures ;
* en méconnaissance de ces mêmes dispositions, le tribunal a retenu un moyen tiré de ce qu'une précédente expertise médicale, réalisée le 24 mars 1997, à l'occasion d'une première demande de révision de la pension, avait déjà conclu à un taux d'invalidité de 30 %, alors que ce rapport a été écarté comme ne respectant pas les dispositions de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né le 16 juin 1964 à Angers, s'est engagé pour 3 ans au titre du 3ème Régiment d'Infanterie de Marine le 1er mars 1983, puis a souscrit plusieurs contrats successifs. Il a été rayé des contrôles de l'armée le 30 septembre 1986, au grade de soldat. A la suite d'une blessure au genou droit reçue à l'occasion du service le 24 avril 1984, lors d'un parcours du combattant, il s'est vu concéder une pension militaire d'invalidité aux taux de 20% par un arrêté du 27 octobre 1987 pour " séquelles d'entorse du genou droit avec lésion discale interne et externe opérée, instabilité antéro-postérieure par lésion de l'appareil ligamentaire croisé ". Le 2 mars 2016, il en a demandé la révision pour aggravation. Par une décision du 18 mai 2017, le ministre de la défense a rejeté cette demande de révision de sa pension, au motif que " le taux d'aggravation de l'infirmité ne s'était pas accru du minimum de 10 % exigible ". M. C... a demandé au tribunal administratif de Nantes, devenu compétent par l'effet de la loi du 13 juillet 2018, d'annuler cette décision, de fixer son taux d'invalidité à 30 % et de réviser en conséquence sa pension. Par un jugement du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de la défense du 18 mai 2017, porté de 20 % à 30 % le taux de l'infirmité " séquelles d'entorse du genou droit avec lésion méniscale interne et externe et de l'instabilité antéropostérieure par lésion de l'appareil ligamentaire croisé " de M. C..., enjoint au ministre des armées de liquider la pension militaire d'invalidité de M. C... en tenant compte du taux de 30 % révisé à compter du 2 mars 2016 et mis les frais d'expertise à la charge de l'Etat. Le ministre des armées relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 6, alors applicable, du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, désormais codifié à l'article L. 151-2 du même code : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande (...) ". Aux termes de l'article L. 29 du même code, en vigueur à la date de la demande de révision de la pension de M. C..., devenu l'article L. 154-1 du même code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ".
3. Il résulte de ces dispositions que le degré d'infirmité est déterminé au jour du dépôt de la demande de l'intéressé, sans qu'il soit possible de tenir compte d'éléments d'aggravation postérieurs à cette date. Le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. L'administration doit se placer à la date de la demande de pension pour évaluer le degré d'invalidité entraîné par l'infirmité invoquée. Par ailleurs, une pension acquise à titre définitif ne peut être révisée que si le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur.
4. En l'espèce, pour accorder à M. C... une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % au titre de l'infirmité " séquelles d'entorse du genou droit avec lésion méniscale interne et externe et de l'instabilité antéropostérieure par lésion de l'appareil ligamentaire croisé ", le tribunal s'est fondé sur les conclusions d'une expertise judiciaire du docteur A..., du 29 avril 2020, ordonnée par le tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Angers par un jugement avant-dire droit du 7 juin 2019 et sur plusieurs certificats médicaux, notamment un compte-rendu d'IRM du 5 mai 2017, mentionnant un " important remaniement probablement dégénératif des cornes antérieures et postérieures des ménisques interne et externe ". Le tribunal a également relevé qu'une précédente expertise médicale, réalisée le 24 mars 1997 à l'occasion d'une première demande de révision de la pension, avait déjà conclu à un taux d'invalidité de 30 %. Le ministre des armées soutient qu'il résulte des termes de l'expertise judiciaire du 29 avril 2020, évoquée ci-dessus, que l'expert s'est notamment placé, pour évaluer ce taux à 30 %, à la date de son expertise et non à la date de la demande de révision, en méconnaissance des dispositions précitées. Elle ajoute que le rapport d'expertise du 24 mars 1997 a été écarté par une décision du tribunal des pensions militaires d'invalidité de l'Aude, le 5 février 1998, au motif que l'expert n'avait pas procédé à ses opérations d'expertise en se plaçant au jour de la demande de révision de pension militaire d'invalidité.
5. Toutefois, s'il résulte effectivement des termes de l'expertise du 29 avril 2020 que l'expert s'est notamment placé, pour évaluer ce taux à 30 %, à la date de son expertise et non à la date de la demande de révision, le 2 mars 2016, il résulte de l'instruction que l'expertise médicale, réalisée le 24 mars 1997 à l'occasion d'une première demande de révision de la pension de M. C..., avait déjà conclu à un taux d'invalidité de 30 %. La circonstance que ce rapport d'expertise ait été écarté par une décision du tribunal des pensions militaires d'invalidité de l'Aude du 5 février 1998, n'est pas de nature à invalider les conclusions médicales réalisées par l'expert à l'occasion de cette expertise, résultant de son examen à la date du 24 mars 1997. En outre, aucun élément ne permet d'affirmer que l'état du genou droit de M. C... aurait pu connaitre une amélioration notable, entre le 24 mars 1997 et le 2 mars 2016, alors même que l'expertise du 29 avril 2020 confirme les résultats de l'expertise du 24 mars 1997. Par ailleurs, si le ministre soutient que l'expertise du docteur E..., réalisée le 27 juin 2000, a conclu qu'il n'était pas possible de retenir une aggravation de l'état du genou droit de l'intéressé susceptible de modifier le taux d'invalidité de 20 % antérieurement retenu, il résulte cependant de l'instruction que cette expertise est fondée sur un examen de M. C..., prenant en compte l'état de son genou droit, à la date de la précédente demande de révision de pension, soit le 12 avril 1995, alors que la présente demande de révision est en date du 2 mars 2016. Enfin, comme l'a relevé le tribunal, M. C... produit également plusieurs certificats médicaux, notamment un certificat de mai 2017 établi à l'occasion d'une IRM, qui souligne un " important remaniement probablement dégénératif des cornes antérieures et postérieures des ménisques interne et externe ". Si dans le cadre de sa demande de révision de pension militaire d'invalidité introduite le 2 mars 2016, M. C... a été reçu en expertise par le docteur B... qui, dans son rapport du 9 août 2016, conclut à une aggravation arthrosique relevant d'un taux de 25 %, soit une aggravation de 5 % inopérante par rapport au taux de 20 % antérieur, cette évaluation n'est pas de nature à remettre en cause le taux d'aggravation arthrosique de 30 % constaté par les expertises des 24 mars 1997 et 29 avril 2020. Dans ces conditions, l'ensemble des éléments de l'instruction permet de constater l'existence d'une aggravation de l'état du genou droit de M. C... et d'une évolution dégénérative engagée à la date de la demande de révision de sa pension.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de la défense du 18 mai 2017, a porté de 20 % à 30 % le taux de l'infirmité " séquelles d'entorse du genou droit avec lésion méniscale interne et externe et de l'instabilité antéropostérieure par lésion de l'appareil ligamentaire croisé " de M. C..., a enjoint au ministre des armées de liquider la pension militaire d'invalidité de M. C... en tenant compte du taux de 30 % révisé à compter du 2 mars 2016 et a mis les frais d'expertise à la charge de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre des armées est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- Mme Gélard, première conseillère,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 mars 2024.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. COIFFET
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02338