CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 09/04/2024, 22MA01201, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision09 avril 2024
Num22MA01201
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. REVERT
RapporteurM. Laurent LOMBART
CommissaireMme BALARESQUE
AvocatsSTARK

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a confirmé le rejet par le ministre des armées de sa demande de révision de ses droits à pension et d'enjoindre au sous-directeur des pensions de lui délivrer un nouveau titre de pension prenant en compte une aggravation de 10 % de ses " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " et de 10 % de son " état anxiodépressif ", avec effet à compter de la date d'enregistrement de sa demande, soit le 19 avril 2018.

Par un jugement n° 2100090 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt n° 22MA01201 du 7 juillet 2023, la Cour a, d'une part, rejeté les conclusions de la requête de M. B... tendant à l'annulation de ce jugement du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre cette décision de la commission de recours de l'invalidité du 18 novembre 2020 refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation de son état anxiodépressif et, d'autre part, ordonné avant dire droit une expertise aux fins de déterminer, en se plaçant au jour de l'enregistrement de sa demande de révision, soit le 19 avril 2018, si l'aggravation des " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " était due à des causes étrangères à cette infirmité pensionnée liée à l'accident dont il a été victime le 24 juin 1975 et de proposer le taux d'invalidité afférent, en référence au guide-barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

Par une ordonnance du 3 octobre 2023, la présidente de la Cour a désigné Mme A... C... en qualité d'experte.

L'experte de justice a déposé son rapport au greffe de la Cour le 10 janvier 2024.

Le 11 janvier 2024, les parties ont été invitées, en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, à fournir leurs observations sur ce rapport d'expertise, dans un délai d'un mois.

Par ordonnance du 18 janvier 2024, la présidente de la Cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée à Mme C... à la somme de 864,27 euros, en ce compris l'allocation provisionnelle d'un montant de 800 euros accordée par une ordonnance du 11 octobre 2023.

Par des mémoires, enregistrés les 24 janvier et 19 mars 2024, M. B..., représenté par Me Stark, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 ;

2°) d'enjoindre au ministre des armées, d'une part, de lui délivrer un nouveau titre de pension et une nouvelle fiche descriptive des infirmités, avec effet à compter de la date de la demande de réexamen des droits, soit le 19 avril 2018, au taux d'invalidité de 20 % correspondant à l'infirmité " acouphènes droits " et, d'autre part, de procéder au remboursement de la somme qu'il a déboursée au titre de l'allocation provisionnelle accordée à l'experte de justice et à s'acquitter du surplus demandé par cette dernière ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l'avis rendu par l'experte de justice désignée par la présidente de la Cour, dans son rapport du 6 janvier 2024, démontre que son infirmité auditive s'est aggravée, ce qui justifie le réexamen de ses droits à pension comme il le demande.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 et 22 mars 2024, le second n'ayant pas été communiqué, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022.

Il fait valoir que :
- l'experte de justice n'a pas respecté la mission qui lui a été confiée par la Cour ;
- l'experte de justice s'est fondée sur le barème d'évaluation légal de la société de médecine légale et de criminologie de France pour déterminer le taux d'invalidité relatif à la surdité de M. B... alors que ce barème n'est pas applicable en matière de pension militaire d'invalidité ;
- le taux d'invalidité de 20 % arrêté par l'experte de justice s'avère injustifié médicalement et en contradiction avec le taux d'invalidité de 10 % qu'elle-même fixait initialement ;
- l'experte de justice a pris en compte l'évolution clinique des troubles auditifs de M. B... en contradiction avec le champ temporel de la mission qui lui a été dévolue par les 2° et 3° de l'article 2 de l'arrêt de la Cour du 7 juillet 2023 ;
- si l'experte de justice affirme, en page 7 de son rapport, que " la presbyacousie physiologique a aggravé les lésions initiales et ne constituent pas une infirmité différente de celle pensionnée ", d'une part, cette position est en contradiction avec la jurisprudence et la doctrine médicale et, d'autre part, elle n'apporte aucun élément de nature à étayer son affirmation ;
- en tout état de cause, l'éventuelle aggravation des acouphènes droits de M. B..., non retrouvée par l'experte de justice, n'est pas exclusivement en lien avec ses infirmités pensionnées mais résulte de l'aggravation de sa surdité non imputable au service.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Stark, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Né le 23 juin 1942, M. B..., a été libéré de ses obligations légales de service actif le 1er mars 1968 au grade de sous-lieutenant et rayé des contrôles du 26ème régiment d'infanterie. Le 1er juillet 1969, il a été promu au grade de lieutenant de réserve. Le 24 juin 1975, M. B... a été victime d'un traumatisme sonore au cours d'une séance de tir au bazooka. Par un arrêté du 2 avril 1996, il s'est vu concéder, au titre des blessures imputables à cet accident survenu en service, une pension militaire d'invalidité au taux global de 75 %, pour des sensations vertigineuses, un état anxiodépressif, une hypoacousie droite ainsi que des acouphènes. Par un courrier du 15 avril 2018, reçu le 19 avril suivant, M. B... a demandé la révision de cette pension militaire d'invalidité au titre d'une aggravation de ces infirmités. Par une décision du 20 avril 2020, rectifiée le 16 septembre 2020, le ministre des armées a refusé de faire droit à cette demande. M. B... a alors contesté cette décision en tant qu'elle porte sur les infirmités ayant trait à son état anxiodépressif et aux acouphènes dont il souffre, devant la commission de recours de l'invalidité. Celle-ci a rejeté son recours préalable obligatoire par décision du 18 novembre 2020. Par un jugement du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 18 novembre 2020. M. B... ayant interjeté appel de ce jugement, la Cour a, par un arrêt du 7 juillet 2023, d'une part, rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation de son état anxiodépressif. Mais elle a, d'autre part, ordonné avant dire droit une expertise aux fins, en se plaçant au jour de l'enregistrement de sa demande de révision, soit le 19 avril 2018, de déterminer si l'aggravation des " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " est due à des causes étrangères à cette infirmité pensionnée liée à l'accident dont il a été victime le 24 juin 1975, et de proposer un taux d'invalidité, en référence au guide-barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. L'experte de justice désignée par la présidente de la Cour a déposé son rapport au greffe le 10 janvier 2024.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il concerne l'infirmité tenant aux " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " :

2. Selon l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. ".

3. Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.

4. Par ailleurs, le degré d'infirmité est déterminé au jour du dépôt de la demande de l'intéressé, sans qu'il soit possible de tenir compte d'éléments d'aggravation postérieurs à cette date. L'administration doit dès lors se placer à la date de la demande de pension pour évaluer le degré d'invalidité entraîné par l'infirmité invoquée. Par ailleurs, une pension acquise à titre définitif ne peut être révisée que si le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur.

5. Après avoir constaté au vu des pièces versées aux débats que l'infirmité pensionnée de M. B... au taux de 10 %, correspondant aux " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " s'était aggravée, la Cour, a, par son arrêt susvisé du 7 juillet 2023, ordonné une expertise dès lors que l'état de l'instruction ne lui permettait pas de déterminer si cette aggravation était en lien exclusif avec le service. Or, d'une part, l'analyse à laquelle s'est livrée l'experte de justice désignée par la présidente de la Cour, dans son rapport déposé le 10 janvier 2024 confirme les conclusions déjà opérées tant par le médecin expert de l'administration, dans son avis du 29 octobre 2019, que par le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 28 novembre 2019 qui évaluaient cette aggravation à 10 %. D'autre part, cette experte de justice précise, sans être utilement contestée par le ministre intimé, que cette aggravation a pour origine le vieillissement de M. B..., sans aucune autre cause étrangère à l'infirmité initiale, la presbyacousie physiologique ayant aggravé les lésions initiales et ne constituant pas une infirmité différente de celle pensionnée. L'appelant est dès lors fondé à soutenir qu'en refusant, par la décision contestée du 18 novembre 2020, la révision de ses droits à pension pour cette infirmité, la commission de recours de l'invalidité a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, cette décision doit être annulée.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 18 novembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a confirmé le rejet par le ministre des armées de sa demande de révision de ses droits à pension s'agissant de l'infirmité tenant aux " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite ".

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".

8. Eu égard aux motifs du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées de procéder à la liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. B... sur la base d'un taux de 20 %, à compter du 19 avril 2018, date à laquelle il a demandé la révision de ses droits, pour l'infirmité " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " dont il souffre et de modifier en conséquence la fiche descriptive des infirmités.

Sur les frais d'expertise :

9. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. ".

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise confiée à Mme C... qui ont été taxés et liquidés à la somme de 864,27 euros par l'ordonnance susvisée du 18 janvier 2024. Par ailleurs, ces frais et honoraires comprenant le montant de l'allocation provisionnelle d'un montant de 800 euros mise à la charge de M. B... par une ordonnance du 11 octobre 2023, l'Etat devra rembourser à l'appelant ce montant et supporter le solde de 64,27 euros qui reste à verser à l'experte de justice.

Sur les autres frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

12. Il y a également et enfin lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2100090 du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours de l'invalidité du 18 novembre 2020 refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation des " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite ", et dans cette même mesure, cette décision, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de procéder à la liquidation de la pension militaire d'invalidité allouée à M. B... sur la base d'un taux de 20 % à compter du 19 avril 2018, pour l'infirmité " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " dont il souffre et de modifier en conséquence la fiche descriptive des infirmités.
Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 864,27 euros, sont mis à la charge de l'Etat.
Article 4 : L'Etat remboursera à M. B... la somme de 800 euros correspondant au montant de l'allocation provisionnelle accordée à l'experte de justice par une ordonnance de la présidente de la Cour du 11 octobre 2023.
Article 5 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre des armées.
Copie en sera adressée à Mme A... C..., experte de justice.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.
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No 22MA01201
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