CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 02/05/2024, 22BX00637, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Pau à titre principal d'annuler la décision du 2 août 2019 par laquelle la ministre des armées a refusé de renouveler sa pension militaire d'invalidité pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique et de fixer le taux de cette infirmité à 20 %, ou à titre subsidiaire d'ordonner une expertise afin d'évaluer ce taux de l'infirmité à la date de sa demande.
Par un jugement n° 1902594 du 29 décembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 février 2022 et un mémoire enregistré le 12 mai 2023, M. B..., représenté par la SCP Tucoo, Chala, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 2 août 2019 ;
3°) de fixer le taux de l'infirmité d'état de stress post-traumatique à 20 %, ou à titre subsidiaire d'ordonner une expertise afin d'évaluer ce taux à la date de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le 1er août 1971, lors d'une opération extérieure au Tchad, il a été victime de l'explosion accidentelle d'une grenade d'autodéfense au phosphore et a présenté de graves brûlures ; cet accident est à l'origine d'un état de stress post-traumatique pour lequel il n'a accepté de bénéficier d'un suivi spécialisé qu'à partir de novembre 2019 ;
- l'expertise du docteur C... du 29 janvier 2019 a conclu à un taux de 20 % incurable après avoir tenu compte de l'amélioration de son état de stress post-traumatique, et le médecin chef chargé des pensions militaires d'invalidité a émis un avis favorable au maintien du taux de 20 % dans son avis du 2 avril 2019 ; c'est ainsi à tort que l'administration et le tribunal ont retenu un taux non indemnisable inférieur à 10 % ;
- le taux de 20 % correspond à des troubles légers, ce qui est son cas ;
- à titre subsidiaire, il sollicite une expertise médicale afin d'évaluer le taux de l'infirmité de stress post-traumatique à la date de sa demande ;
Par des mémoires en défense enregistrés les 15 mars et 12 juin 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'expertise du docteur C... du 29 janvier 2019 retient un taux inchangé de 20 %, alors que le rapport fait état d'une très nette amélioration par rapport à la précédente expertise
du 27 juin 2016, même s'il persiste une légère sensibilité exacerbée aux actualités ; si le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité a également conclu au maintien d'un taux de 20 % après avoir relevé que l'expertise médicale montre une très nette amélioration de l'état psychique pour des raisons familiales et professionnelles, la commission médicale dans son avis du
17 mai 2019, puis la commission de réforme dans son avis du 17 juillet 2019, ont estimé que l'infirmité de stress post-traumatique s'était améliorée et que son taux était devenu inférieur au minimum indemnisable de 10 % ; c'est à bon droit que le tribunal, constatant que M. B... ne présentait plus aucun trouble névrotique ou psychiatrique au sens du guide barème, a rejeté sa demande ;
- les éléments postérieurs à la date du renouvellement de la pension ne peuvent être utilement invoqués ;
- une expertise supplémentaire ne serait pas utile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 24 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., engagé volontaire dans l'infanterie de marine le 1er janvier 1968 et admis à la retraite le 10 octobre 1999 au grade d'adjudant-chef, était titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive mixte, concédée au taux de 100 % + 9 ° par arrêté du 29 août 2018, avec jouissance à compter du 24 janvier 2017, pour douze infirmités relatives à des blessures reçues par le fait du service le 1er août 1971, dont un état de stress post-traumatique au taux de 20 % à titre provisoire à compter du 8 mars 2016. Par une décision du 2 août 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande de renouvellement relative à cette dernière infirmité au motif que le taux d'invalidité n'atteignait plus le minimum indemnisable de 10 %, et a fixé le taux de sa pension définitive à 100 % + 6 °. M. B... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires de Pau, lequel a transmis son recours au tribunal administratif de Pau en application de la loi du 13 juillet 2018 susvisée. Par un jugement du 29 décembre 2021 dont M. B... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 121-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. (...) ". Aux termes de l'article 121-5 du même code : " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / (...). " Aux termes de l'article L. 125-1 de ce code : " Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général. " Selon le guide-barème, les critères constitutifs de l'évaluation de l'invalidité pour les troubles psychiques sont la souffrance psychique, la répétition au sens psychopathologique par des troubles au long cours ou rémittents, la perte de la capacité relationnelle et le rétrécissement de la liberté existentielle. En outre, il y a lieu de tenir compte de la capacité de contrôle des affects et des actes, du degré de tolérance à l'angoisse et à la peur, de l'aptitude à différer les satisfactions et à tenir compte de l'expérience acquise, et des possibilités de créativité, d'orientation personnelle et de projet. L'absence de troubles décelables correspond à un taux de 0 % et les troubles légers à 20 %.
3. Il résulte de l'instruction que le 1er août 1971, lors d'une opération extérieure au Tchad, M. B..., alors âgé de 21 ans, a été brûlé au troisième degré sur 35 % de la surface corporelle par l'explosion accidentelle d'une grenade au phosphore. Bien que recouvert de sable, le feu est reparti à deux reprises. M. B... a fait l'objet d'un rapatriement sanitaire et a passé près d'un an à l'hôpital des armées de Percy-Clamart. Il a conservé de cet accident d'importantes séquelles physiques, notamment une perte d'usage de la main droite, une limitation douloureuse fonctionnelle de la flexion des deux genoux et des cicatrices chéloïdiennes avec troubles trophiques et vaso-moteurs, pour lesquelles il a obtenu, à compter de sa demande
du 24 janvier 2017, une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % + 6 ° à titre définitif, assortie de l'allocation " grand mutilé ". L'infirmité de " stress post-traumatique, tristesse, irritabilité, état dépressif, personnalité phobo-obsessionnelle " pensionnée à titre provisoire au taux de 20 % à compter du 8 mars 2016 correspondait, selon l'expertise du 27 juin 2016, à des symptômes de tristesse, de culpabilité, d'auto-accusation, d'irritabilité et d'accès de colère sur une personnalité sous-jacente phobo-obsessionnelle, qualifiés d'incurables compte tenu de leur ancienneté. La même experte, qui a examiné l'intéressé le 29 janvier 2019 dans le cadre du renouvellement de cette pension et a maintenu le taux de 20 %, a constaté une très nette amélioration de l'état de M. B..., lequel a précisé qu'il n'avait pas estimé utile de recourir à un suivi psychiatrique car il allait mieux du fait d'un " sentiment de reconnaissance " et d'une vie familiale satisfaisante. Si l'experte n'a relevé comme symptôme notable qu'une légère sensibilité exacerbée aux actualités, elle a cependant considéré que l'invalidité était incurable. Le principe de la reconnaissance d'une souffrance psychique de type post-traumatique en lien avec l'accident grave subi par l'intéressé alors qu'il tentait de projeter au loin une grenade pour protéger ses hommes ne saurait être remis en cause. Au regard de l'amélioration constatée, laquelle ne permettait pas sans contradiction de maintenir le taux au même niveau que précédemment, il y a lieu de fixer à 10 % le taux d'invalidité afférent au stress post-traumatique.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande, et qu'il doit être enjoint au ministre des armées de lui concéder un droit à pension de 10 % pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique à compter du 8 mars 2019.
5. M. B... n'établit pas avoir exposé d'autres frais que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été accordée par une décision du 24 mars 2022. Par suite, sa demande tendant à ce que l'Etat lui verse une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau n° 1902594 du 29 décembre 2021
et la décision de la ministre des armées du 2 août 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de concéder à M. B... un droit à pension
de 10 % pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique à compter du 8 mars 2019.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX00637