CAA de NANCY, 2ème chambre, 06/06/2024, 22NC02362, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision06 juin 2024
Num22NC02362
JuridictionNancy
Formation2ème chambre
PresidentM. AGNEL
RapporteurMme Cyrielle MOSSER
CommissaireMme STENGER
AvocatsBERARD JEMOLI SANTELLI BURKATZKI BIZZARRI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif D... d'annuler la décision du 2 juillet 2020 par laquelle la rectrice de l'académie D... a refusé de reconnaître le caractère imputable au service de l'accident du 20 janvier 2020 et de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 8 008, 99 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 2005664 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif D... a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 septembre 2022, Mme A..., représentée par Me Bizzarri, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 juillet 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 2 juillet 2020 ;

3°) d'enjoindre à la rectrice de l'académie D... de la placer en congé pour accident de service pour la période comprise entre le 21 et le 31 janvier 2020 dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 8 008, 99 euros en réparation des préjudices qu'elle aurait subis ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme A... soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'est pas démontré que la minute de ce jugement a été signée en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- elle a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière dans la mesure où la composition de la commission de réforme n'était pas régulière ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en ce que l'expertise médicale permet de démontrer que l'accident est imputable au service.


Par un mémoire en défense enregistré le 6 mars 2024, le recteur de l'académie D... conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A... la somme de 171 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ;
- les moyens invoqués en premières instance ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mosser,
- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. Professeure certifiée d'économie-gestion, Mme A... a été affectée à compter du 1er septembre 2019 au lycée Louis Pasteur D.... Le 25 janvier 2020, elle a rempli une déclaration d'accident de service afin que soit reconnu le caractère imputable au service de l'accident qui serait survenu le 20 janvier 2020. Mme A... relève appel du jugement du 13 juillet 2022 du tribunal administratif D... qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la rectrice de l'académie D... a refusé de reconnaître le caractère imputable au service de l'accident du 20 janvier 2020 et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 8 008, 99 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifié à Mme A... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.
Sur la légalité de la décision attaquée :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : / (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ".

4. Il résulte de ces dispositions législatives précitées que le refus de reconnaître l'imputabilité au service d'un accident est au nombre des décisions qui doivent être motivées. Il ressort des pièces du dossier que la décision de refus de reconnaissance de l'imputabilité au service vise l'article 34-2°, alinéa 2, de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat applicable aux faits de l'espèce et indique que l'administration estime qu'il n'y a pas de cause à effet entre les lésions et l'évènement [du 20 janvier 2020]. L'autorité administrative s'étant appropriée les motifs de l'avis de la commission de réforme, elle n'était pas tenue, contrairement à ce que soutient Mme A..., de joindre cet avis à sa décision. Il s'ensuit que cette décision est suffisamment motivée en fait et en droit pour permettre à Mme A... d'en comprendre les motifs et le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " La commission de réforme est consultée notamment sur : (...) 5. La réalité des infirmités résultant d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, la preuve de leur imputabilité au service et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, en vue de l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité instituée à l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ". Aux termes de l'article 12 de ce décret : " Dans chaque département, il est institué une commission de réforme départementale compétente à l'égard des personnels mentionnés à l'article 15. Cette commission, placée sous la présidence du préfet ou de son représentant, qui dirige les délibérations mais ne participe pas aux votes, est composée comme suit : (...) 4. Les membres du comité médical prévu à l'article 6 du présent décret ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 5 de ce décret qui précise la composition du comité médical ministériel, auquel renvoie sur ce point le deuxième alinéa de l'article 6 relatif au comité médical départemental : " Ce comité comprend deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, pour l'examen des cas relevant de sa qualification, un spécialiste de l'affection pour laquelle est demandé le bénéfice du congé de longue maladie ou de longue durée prévu à l'article 34 (3e et 4e) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ". Aux termes de l'article 19 de ce décret : " La commission de réforme ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ; un praticien de médecine générale ou le spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération. / Les avis sont émis à la majorité des membres présents. / Lorsqu'un médecin spécialiste participe à la délibération conjointement avec les deux praticiens de médecine générale, l'un de ces deux derniers s'abstient en cas de vote ".

6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que doit être présent, au sein de la commission de réforme appelée à statuer sur l'imputabilité au service de la maladie contractée par un agent, en plus des deux praticiens de médecine générale, un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par l'agent.
8. Il ressort des pièces du dossier que pour se prononcer sur la demande de Mme A..., la commission de réforme a notamment disposé de l'expertise médicale établi par le Dr B..., psychiatre, le 18 mars 2020. Ce médecin spécialiste qui a examiné l'intéressée le jour précédent, a estimé qu'eu égard à son état antérieur, il n'y avait pas de lien entre " l'accident " du 20 janvier 2020 occasionné, selon le médecin traitant de la requérante, par une " réaction aigue à un facteur de stress au travail " et l'affection psychologique dont la requérante se plaint. Dans les circonstances de l'espèce, alors que l'intéressée n'a fourni aucun élément médical de nature à remettre en cause cette expertise dont disposait la commission de réforme et ne s'est pas présentée devant cette commission, l'absence de médecin spécialiste en psychiatrie lors de la réunion du 19 juin 2020 au cours de laquelle la commission de réforme a examiné la situation de Mme A... n'a pas effectivement privé l'intéressée de la garantie que constitue pour l'agent le fait que la commission de réforme soit éclairée par un médecin spécialiste de sa pathologie.
9. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ". Aux termes du II de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 : " Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ".

10. Constitue un accident de service, pour l'application des dispositions citées au point précédent, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
11. Il ressort des pièces du dossier que d'une part, Mme A... a des difficultés professionnelles depuis son affectation au lycée Jean-Monnet pour l'année scolaire 2018-2019 et que la situation au sein de l'équipe enseignante du lycée Louis Pasteur au sein duquel elle était affectée depuis septembre 2019 était particulièrement tendue depuis décembre 2019 et d'autre part qu'elle bénéficie d'un suivi psychiatrique depuis 2015 pour des raisons personnelles. Les événements ayant justifié sa déclaration d'accident de travail et relatés dans la fiche de danger grave et imminent déposée le 20 janvier 2020, font état d'échanges de courriels à la suite notamment d'une réunion le 16 janvier 2020 avec la direction et le personnel du lycée au cours de laquelle des attaques personnelles auraient été proférés à l'encontre de certains agents. Toutefois, si Mme A... déclare avoir été affectée par ces échanges qu'elle estime violents et par la divulgation d'un courriel privé, il ressort des échanges de mails produits qu'elle n'était pas visée par ces courriels. Dans ces conditions, il n'apparait pas que ces faits constituent un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent. Par suite, la rectrice n'a pas méconnu les dispositions précitées en refusant de reconnaître l'imputabilité de l'état de santé de Mme A... à cet événement.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal D... a rejeté sa demande. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par le recteur, ses conclusions à fin d'annulation ainsi que par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et indemnitaires doivent être rejetées.
Sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme A... une somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... la somme réclamée par le recteur au titre des frais non compris dans les dépens.
D E C I D E :



Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le recteur sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,
Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,
Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.



La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : M. Agnel
La greffière,
Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Pour expédition conforme,
La greffière,




C. Schramm
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N° 22NC02362