Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 12/06/2024, 475044

Information de la jurisprudence
Date de décision12 juin 2024
Num475044
Juridiction
Formation7ème - 2ème chambres réunies
RapporteurMme Elise Adevah-Poeuf
CommissaireM. Marc Pichon de Vendeuil
AvocatsSCP L. POULET-ODENT ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 10 mars 2020 par laquelle le directeur des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations a rejeté son recours gracieux contre la décision du 17 février 2020 lui refusant le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales et d'enjoindre à la Caisse des dépôts et consignations de lui octroyer le bénéfice de cette allocation.

Par un jugement n° 2001257 du 14 avril 2023, le tribunal administratif a annulé cette décision ainsi que celle du 17 février 2020 et enjoint à la Caisse des dépôts et consignations d'octroyer à M. A... le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 juin et 12 septembre 2023 et le 30 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Caisse des dépôts et consignations demande au conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. A....




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 ;
- le décret n° 68-756 du 13 août 1968 ;
- le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 mai 2024, présentée par M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., agent de maîtrise au sein du département du Var, a présenté le 26 novembre 2019 une demande tendant à l'octroi d'une allocation temporaire d'invalidité. Par une décision du 17 février 2020, le directeur des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) a rejeté cette demande. M. A... a présenté un recours gracieux contre cette décision, rejeté par une décision du 10 mars 2020. Il a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision de rejet de son recours gracieux. Après avoir estimé que les conclusions de sa demande devaient être interprétées comme étant également dirigées contre la décision du 17 février 2020, le tribunal administratif, par un jugement du 14 avril 2023 contre lequel la Caisse des dépôts et consignations se pourvoit en cassation, les a annulées et a enjoint à cette dernière d'accorder à M. A... le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

2. Aux termes de l'article L. 417-8 du code des communes, maintenu en vigueur et étendu à l'ensemble des agents concernés par la loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale par le III de son article 119 : " Les communes et les établissements publics communaux et intercommunaux sont tenus d'allouer aux agents qui ont été atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à un taux minimum déterminé par l'autorité supérieure ou d'une maladie professionnelle une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec le traitement, dans les mêmes conditions que pour les fonctionnaires de l'Etat ".

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " L'allocation temporaire d'invalidité est accordée, dans les conditions fixées par le présent décret, aux fonctionnaires mentionnés à l'article 2 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée (...) et qui sont affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ". Selon l'article 2 du même décret : " L'allocation est attribuée aux fonctionnaires maintenus en activité qui justifient d'une invalidité permanente résultant : / a) Soit d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux au moins égal à 10 % ; / b) Soit de l'une des maladies d'origine professionnelle énumérées par les tableaux mentionnés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale ; / c) Soit d'une maladie reconnue d'origine professionnelle dans les conditions mentionnées aux alinéas 3 et 4 de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale (...) ".

4. Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, devenus les sixième et septième alinéas de cet article dans sa rédaction résultant de l'article 44 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 : " Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime. / Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé ". Aux termes de l'article R. 461-8 du même code : " Le taux d'incapacité mentionné au septième alinéa de l'article L. 461-1 est fixé à 25 % ".

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 5 du décret du 2 mai 2005: " Le taux d'invalidité est déterminé compte tenu du barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le taux d'invalidité est déterminé compte tenu d'un barème indicatif fixé par décret ".

6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité, au titre d'une invalidité résultant de maladies ne figurant pas sur les tableaux de maladies professionnelles annexés au code de la sécurité sociale, n'est pas subordonné à un taux minimum d'incapacité global dont serait affecté le demandeur, mais à la reconnaissance de l'origine professionnelle de l'une au moins de ces maladies, laquelle doit, en application de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, avoir provoqué un taux d'incapacité permanente d'au moins 25 %, ce taux étant déterminé par application du barème indicatif mentionné à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

7. Pour reconnaître à M. A... le droit au bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité à raison d'une invalidité résultant de deux maladies qui ne figuraient pas sur les tableaux des maladies professionnelles annexés au code de la sécurité sociale, le tribunal administratif s'est fondé sur ce que la somme des taux d'incapacité permanente résultant de l'une et de l'autre excédait 25 %. En statuant ainsi, alors qu'il était constant devant lui qu'aucune de ces deux maladies n'avait provoqué, à elle seule, un taux d'incapacité permanente d'au moins 25 %, de sorte qu'elle ne pouvait être regardée comme étant d'origine professionnelle, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède que la Caisse des dépôts et consignations est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. En premier lieu, il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

11. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que les conclusions du recours de M. A... dirigées contre la décision du 10 mars 2020 du directeur des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations rejetant son recours gracieux doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 17 février 2020 de la même autorité lui refusant le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité et, d'autre part, que M. A... ne peut utilement se prévaloir de l'incompétence de l'auteur de la décision du 10 mars 2020.

12. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'ainsi qu'il a été dit, ni la première ni la seconde des maladies contractées en service par M. A..., au titre desquelles il a demandé à bénéficier de l'allocation temporaire d'invalidité, n'a entraîné à elle seule une incapacité d'un taux au moins égal à 25%. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'aucune de ces deux maladies ne peut, par suite, être reconnue comme d'origine professionnelle au sens des dispositions citées aux points 3 à 5. L'allocation temporaire d'invalidité n'étant attribuée au fonctionnaire justifiant d'une invalidité permanente résultant d'une maladie que si celle-ci est d'origine professionnelle ou reconnue d'origine professionnelle, M. A... n'est, dès lors, pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent par suite qu'être rejetées.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la Caisse des dépôts et consignations qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Caisse des dépôts et consignations et à M. B... A....

ECLI:FR:CECHR:2024:475044.20240612