CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 01/10/2024, 23MA02257, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision01 octobre 2024
Num23MA02257
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. MARCOVICI
RapporteurM. Stéphen MARTIN
CommissaireMme BALARESQUE
AvocatsDAKESSIAN

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, qui a transmis cette demande au tribunal administratif de Marseille, d'annuler la décision du 1er juin 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension militaire d'invalidité pour infirmités nouvelles " syndrome anxiodépressif " et " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires, des artères iliaques communes, interne et externe et carotidienne ".

Par un jugement n° 2003864 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Marseille, d'une part, a annulé la décision du 1er juin 2018, d'autre part, a fixé le taux d'invalidité de l'infirmité " syndrome anxiodépressif persistant " à 30 % dont 10 % imputable au service, et, enfin, a attribué une pension militaire d'invalidité à M. B... au taux de 30 %, au titre de l'infirmité " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires ", à compter du 22 avril 2016.


Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er septembre 2023 et 30 mai 2024, le ministre des armées demande à la Cour d'annuler le jugement n° 2003864 du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il a statué sur l'infirmité " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires ", et de rejeter la demande de M. B... tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité au titre de cette infirmité.

Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une insuffisante motivation, dès lors que le tribunal n'a pas précisé les causes de l'atteinte vasculaire et artérielle de M. B... ni distingué entre les parts imputables et les parts non imputables ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit ;
- M. B... présentait quatre facteurs de risques d'athérosclérose, de sorte que le stress ne peut être retenu comme facteur essentiel à l'origine de la pathologie ;
- il n'existe aucun lien direct et certain entre un ou des faits précis de service et l'origine de l'infirmité invoquée ; la référence à un surmenage et au stress professionnel très important s'accompagnant d'élévation tensionnelle ne saurait suffire à apporter la preuve de l'imputabilité au service.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 décembre 2023 et 7 juin 2024, M. A... B..., représenté par Me Dakessian, conclut à titre principal au rejet de la requête et à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions ou, à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée avant dire droit une expertise médicale, et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Un courrier du 15 avril 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 24 juin 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, produit par le ministre des armées le 24 juin 2024 après notification de l'ordonnance de clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Le 8 juillet 2024, le ministre des armées a produit une copie intégrale du compte rendu de coronographie du 25 mars 2016, en réponse à une mesure d'instruction qui lui a été adressée par la Cour, le 5 juillet 2024, par application des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dakessian, représentant M. B....



Considérant ce qui suit :


1. M. A... B..., né le 22 juillet 1970, a exercé les fonctions de médecin des armées jusqu'au 31 août 2016, date à laquelle il a été rayé des contrôles de l'armée. Titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux de 10 %, concédée par arrêté du 25 février 2013 pour l'infirmité " cervicalgies, dysesthésie des 3 doigts de la main droite, flexion légèrement limitée, extension normale ", il a sollicité, par une demande enregistrée le 22 avril 2016, la révision de sa pension pour deux infirmités nouvelles " syndrome dépressif réactionnel et épuisement professionnel " et " coronaropathie sévère de stress - angor. Occlusion artérielle sur poussée tensionnelle ". Par une décision du 1er juin 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. Par la présente requête, le ministre des armées relève appel du jugement du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille, en tant qu'il s'est prononcé sur l'infirmité " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires ", en attribuant à ce titre une pension au taux de 30 % au bénéfice de M. B... à compter du 22 avril 2016.

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction en vigueur au jour de la demande de pension de M. B... : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ;
/ 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". L'article L. 4 du même code dispose que : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 p. cent. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 p. cent ; (...)
/ 3° Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse (...) 30 % en cas d'infirmité unique (...) ".

3. Pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et de l'article L. 3 du même code, alors en vigueur, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie.

4. En outre, lorsque, comme en l'espèce, le demandeur d'une pension ne peut pas bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service, il lui incombe d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité et soumis, de ce fait, à des contraintes et des sujétions identiques. A cet égard, ne sauraient, en tant que tels, hors opération militaire, constituer un fait précis ou des circonstances particulières de service, le stress ou le surmenage auxquels le militaire est soumis dans le cadre de l'exercice normal de ses missions.


5. Pour reconnaître à M. B... le droit à une pension militaire d'invalidité, au taux de 30 %, au titre de l'infirmité " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires ", le tribunal administratif de Marseille, suivant en cela les conclusions de l'expertise médicale du 20 septembre 2017, s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressé, sans facteur de risque marqué, présentait en revanche un surmenage et un stress professionnel très important s'accompagnant d'élévation tensionnelle responsable " en grande partie " de l'atteinte vasculaire coronarienne et artérielle. Toutefois, selon les termes mêmes de cette expertise, tels qu'ils viennent d'être retranscrits, l'infirmité dont il s'agit ne peut être regardée comme totalement imputable à l'exercice par M. B... de son activité de chirurgien au sein des armées, de sorte qu'elle ne résulte pas d'une maladie dont le degré d'invalidité qu'elle entraîne atteint ou dépasse 30 %. En outre, il résulte de l'instruction que des facteurs de risques d'athérosclérose ont été identifiés le 25 août 2017 par le médecin en chef du service de santé des armées de l'hôpital d'instruction des Armées Sainte-Anne de Toulon. S'il est certes exact que ce médecin a réévalué sa position le 26 octobre 2023 en excluant toute hérédité coronarienne, d'autres facteurs de risque sont objectivés dans le dossier médical de M. B..., notamment dans le compte rendu de la coronographie réalisée le 25 mars 2016 à la polyclinique " Les Fleurs ", telles qu'une dyslipidémie modérée, une certaine labilité tensionnelle, ainsi qu'un tabagisme sevré et une hypercholestérolémie. Enfin, si l'ensemble des pièces du dossier médical indiquent que M. B... a ressenti de vives douleurs de la fesse au cours d'une intervention chirurgicale qu'il a pratiquée le 24 juin 2015 dans des conditions difficiles, du fait de tensions avec un infirmier, il ne résulte d'aucune des expertises et avis médicaux produits au dossier que l'infirmité " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires, des artères iliaques communes, interne et externe et carotidienne ", au titre de laquelle il a bénéficié de la mise en place d'endoprothèses de l'iliaque primitive gauche et de cinq stents actifs le 25 mars 2016, trouverait son origine dans ce seul évènement, ni, en tout état de cause, que cette intervention, ou, d'une manière plus générale, ses fonctions de chirurgien au sein de l'hôpital d'instruction des Armées Sainte-Anne de Toulon, auraient été réalisées dans des circonstances particulières de service justifiant qu'il soit fait droit à sa demande de révision de sa pension.


6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale ni de statuer sur la régularité du jugement contesté, que le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 1er juin 2018 et jugé que l'intimé avait droit à une pension au taux d'invalidité de 30%. Par suite, le jugement attaqué doit, dans cette mesure, être annulé, et la demande de M. B... tendant à la révision de sa pension d'invalidité pour l'infirmité nouvelle " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires, des artères iliaques communes, interne et externe et carotidienne " rejetée, de même que ses conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :


Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2003864 du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il annule la décision du 1er juin 2018 de la ministre des armées en tant qu'elle rejette la demande de révision de la pension militaire d'invalidité pour l'infirmité nouvelle " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires, des artères iliaques communes, interne et externe et carotidienne ".
Article 2 : L'article 3 du jugement n° 2003864 du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 3 : La demande de révision de pension d'invalidité présentée par M. B... pour l'infirmité nouvelle " poly-artériopathie avec atteinte des coronaires, des artères iliaques communes, interne et externe et carotidienne " est rejetée.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et des anciens combattants et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 1er octobre 2024.
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