CAA de NANTES, 6ème chambre, 15/07/2025, 24NT03238, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 15 juillet 2025 |
Num | 24NT03238 |
Juridiction | Nantes |
Formation | 6ème chambre |
President | M. GASPON |
Rapporteur | Mme Karima BOUGRINE |
Commissaire | Mme BAILLEUL |
Avocats | CABINET MDMH |
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 mai 2021 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours préalable contre la décision du ministre des armées du 2 octobre 2020 rejetant sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 2108258 du 18 juin 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2024, M. B..., représenté par Me Moumni, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 juin 2024 ;
2°) d'annuler la décision contestée et de reconnaître son droit à révision de pension ;
3°) d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale aux fins d'évaluation de l'aggravation de ses infirmités ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- les blessures à la cheville droite survenues en 1996 et en 2005 résultent d'une instabilité et d'une fragilité de la cheville qui résultent elles-mêmes directement des blessures antérieurement reçues durant le service de sorte que l'imputabilité au service de l'aggravation de son infirmité ne saurait être écartée du seul fait que les blessures de 1996 et 2005 ont eu lieu après son départ de l'armée ;
- la lésion de sa cheville droite n'est pas stabilisée à ce jour ;
- des difficultés nouvelles par rapport à celles décrites lors de l'octroi initial de sa pension ont été mises en évidence et traduisent un accroissement de la gêne fonctionnelle résultant de ses séquelles du traumatisme du genou gauche ;
- aucun élément autre que sa blessure du genou gauche n'est à l'origine de l'aggravation de cette infirmité ; cette aggravation résulte du vieillissement physiologique et est imputable à son infimité initiale ;
- les très nombreux examens médicaux et interventions chirurgicales que nécessite le traitement de ses infirmités démontrent par eux-mêmes la réalité de l'aggravation de ses infirmités durant les 23 années qui séparent l'attribution de la pension définitive et la décision de la commission de recours de l'invalidité confirmant le refus opposé à sa demande d'aggravation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., engagé dans l'armée du 7 novembre 1983 au 21 mai 1990, s'est vu concéder par un arrêté du 5 septembre 1995 une pension militaire d'invalidité au taux global de 50 % au titre de séquelles d'entorse de la cheville droite (30 %) et de séquelles de traumatisme du genou gauche (20 %). Par un arrêté du 9 février 1998, cette pension a été octroyée définitivement au taux global de 40 % en retenant un taux de d'invalidité de 20 % au titre de chacune des deux infirmités. Le 20 mars 2019, M. B... a demandé la révision de sa pension pour aggravation. Cette demande a été rejetée par une décision du ministre des armées du 2 octobre 2020. Par une décision du 28 mai 2021, la commission de recours de l'invalidité a rejeté le recours préalable contre cette décision ministérielle de rejet. M. B... relève appel du jugement du 18 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours de l'invalidité.
2. Aux termes de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. ".
Sur l'infirmité " séquelles d'entorse de la cheville droite " :
3. De première part, il résulte de l'instruction que le 18 juillet 1984, il a été constaté une blessure de la cheville droite de M. B... reconnue imputable par présomption. Des récidives, se traduisant par des entorses, sont survenues le 19 août 1985 et le 15 février 1986. Les séquelles de ces entorses ont justifié l'octroi, par un arrêté du 5 septembre 1995 et pour une durée de trois ans, d'une pension militaire d'invalidité au taux de 30 %. Cette pension a ensuite été concédée à titre définitif, par un arrêté du 9 février 1998, au taux, s'agissant de cette première infirmité, de 20 %. Si la fiche descriptive des infirmités établie le 24 février 1998 n'en fait pas explicitement état, il résulte de l'avis de la commission de réforme des pensions militaires d'invalidité du 18 novembre 1997 et de celui de la commission consultative médicale du 11 décembre 1997, auxquels se réfère cette fiche, que le taux de 20 % alors retenu a été justifié par la circonstance que la " symptomatologie séquellaire actuelle " de M. B... aurait, en partie, été imputable à un accident de travail survenu le 21 février 1996, postérieurement à sa radiation des contrôles mais aussi de l'octroi de sa pension initiale. Cependant, il résulte du rapport médical d'attribution d'incapacité permanente du 7 octobre 1996 que l'accident du 21 février 1996, dont la prise en charge au titre de la législation relative aux accidents du travail a d'ailleurs été refusée au motif qu'il n'avait pas entrainé de séquelles indemnisables, s'est seulement manifesté par un gonflement de la cheville entrainant un " lâchage du pied " lors d'un déplacement de M. B... sur son lieu de travail. Les énonciations de l'expertise médico-légale réalisée le 13 septembre 1996 selon lesquelles " L'état antérieur est enregistré, mais ne joue pas de rôle dans la mesure où il n'a pas été modifié par l'évènement du 22.02.96 " sont équivoques et ne permettent pas de considérer que le gonflement de la cheville observé le 22 février 1996 ne serait pas la conséquence des séquelles d'entorses de la cheville droite au titre desquelles M. B... bénéficie d'une pension.
4. De deuxième part, la commission de recours de l'invalidité s'est fondée sur l'avis émis le 2 septembre 2020 par le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité, lequel a fait siennes les conclusions du rhumatologue auquel a été confié l'expertise diligentée dans le cadre de l'instruction de la demande de révision et relevé, d'une part, que l'expertise ne mettait pas en évidence, par comparaison avec celle réalisée le 25 juin 1997, d'aggravation du déficit fonctionnel au regard des déficits de flexion et que, d'autre part, l'instabilité de la cheville apparue à la suite d'une entorse survenue le 12 janvier 2015 n'était pas imputable. Dans son rapport du 18 août 2020, l'expert indique que " Les constatations cliniques étant à peu près similaires à celles établies lors de l'attribution des taux d'IPP ", sans d'ailleurs préciser s'il s'agit de ceux retenus lors de la concession provisoire ou lors de la concession définitive, les " taux d'IPP sont inchangés ". L'expert estime que l'invalidité de M. B... n'a pas évolué tout en s'appuyant, pour préconiser le maintien des taux d'invalidité, sur la non imputabilité des séquelles de l'entorse survenue en 2015 soit postérieurement à la détermination de ces taux qu'il estime pourtant devoir être maintenus faute d'évolution. Enfin, par sa teneur, l'expertise, qui, de surcroît, ne distingue pas rigoureusement les troubles fonctionnels résultant des séquelles de l'entorse de la cheville droite et celles du traumatisme du genou gauche, ne rend pas compte de la gêne fonctionnelle subie par M. B... à la date de sa demande de révision.
5. De troisième part, il résulte des diverses pièces médicales versées à l'instruction que l'instabilité de la cheville existante à la date de la demande de révision est consécutive à l'entorse survenue en janvier 2015. Le développement d'une " arthropathie post-traumatique " a également été mise en évidence à l'occasion notamment d'un examen d'imagerie médicale réalisé le 12 mars 2015. Aucun élément de l'instruction ne permet d'exclure que, comme le soutient le requérant, l'entorse de 2015, à l'instar de la blessure de 1996, trouve directement et entièrement sa cause dans les séquelles d'entorse de la cheville droite au titre desquelles M. B... perçoit une pension.
6. En définitive, alors que l'expertise sur laquelle se sont appuyés tant le ministre des armées que la commission de recours de l'invalidité souffre d'inconsistance et d'imprécision et qu'il existe un doute quant à la filiation entre l'infirmité pensionnée et les blessures reçues en 1996 et 2015, il résulte de l'instruction que sont apparus de nouveaux troubles, telle l'instabilité de la cheville, susceptibles d'avoir aggravé le déficit fonctionnel de M. B.... Dans ces conditions, la cour n'est pas en mesure de se prononcer sur les droits à pension de M. B....
Sur l'infirmité " séquelles du traumatisme du genou gauche " :
7. M. B... bénéficie d'une pension au titre des séquelles qu'il a conservées des deux blessures reçues au genou gauche les 22 mai 1988 et 28 octobre 1988. Il aurait également souffert d'une dysplasie rotulienne bilatérale.
8. Il résulte des nombreuses pièces produites par M. B... ainsi que de l'avis sur pièces rendu le 16 juin 2021 par un médecin expert consulté par le requérant que l'état clinique du genou gauche a fortement évolué entre 1998 et 2019. En particulier, l'arthrose, déjà observée au printemps 1997, comme en témoigne, notamment, le courrier du chirurgien orthopédiste ayant pratiqué une méniscectomie du segment moyen du genou gauche, s'est significativement aggravée, conduisant un chirurgien orthopédique et traumatologique à envisager, dès le mois de novembre 2018, une arthroplastie totale du genou. Ce même chirurgien a établi un lien, dans ses courriers des 27 septembre et 19 novembre 2018, entre la gonarthrose de M. B... et ses antécédents ligamentaires. Ce lien avait également été mis en évidence par un autre chirurgien orthopédique indiquant, dans un certificat du 9 avril 1999, que M. B... " dans les suites d'un traumatisme au niveau du genou gauche a présenté une laxité antéro-interne du genou. Cette laxité a entrainé un début d'arthrose fémoro-tibiale interne ". Il apparait, en outre, que, alors que l'expertise du 23 juin 1997 a mis en relation le dérangement du genou gauche consécutif au traumatisme et une destruction cartilagineuse majeure, M. B... a présenté, à partir de 2017, une symptomatologie de corps étrangers intra-articulaires et de chondropathies en lien avec son arthrose et susceptible d'avoir entrainé les " blocages " du genou décrits par l'intéressé. Au vu de ces éléments, la seule circonstance, qui fonde l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 2 septembre 2020, que la comparaison entre les expertises du 23 juin 1997 et du 18 août 2020 révèlerait une mobilité articulaire stable ne permet pas de lever les doutes sérieux, que font naitre les pièces versées à l'instruction, quant à l'aggravation de l'infirmité et l'accroissement du déficit fonctionnel qui en découle.
9. Il y a lieu, par suite, d'ordonner, en application de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, une expertise aux fins et dans les conditions prévues par le dispositif du présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera procédé, avant dire droit, à une expertise médicale contradictoire par un chirurgien orthopédiste et traumatologique ou par un rhumatologue.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il pourra solliciter la désignation d'un sapiteur et accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : L'expert aura pour mission :
- de prendre connaissance du dossier administratif et médical complet de M. B..., en ce qui concerne les deux infirmités en litige, se faire communiquer tout document utile auprès de tout tiers détenteur et entendre tout sachant ;
En ce qui concerne la cheville droite :
- de dire si la survenance des blessures de la cheville droite survenues en 1996 et 2015 trouvent leur cause, en tout ou partie, dans les entorses subies entre 1984 et 1986 ;
- dans la négative, de préciser dans quelle mesure le déficit fonctionnel de M. B... à la date du 20 mars 2019 peut être rattaché, d'une part, à l'infirmité pensionnée et, d'autre part, aux blessures survenues en 1996 et 2015 ;
- en se plaçant à la date du 20 mars 2019, de décrire l'état de l'infirmité " séquelles d'entorse de la cheville droite " et d'expliciter les incapacités fonctionnelles qui en résultent ;
- de fixer le taux d'invalidité correspondant aux séquelles d'entorse de la cheville droite, à la date du 20 mars 2019, en faisant le départ, le cas échéant, avec les taux d'invalidité rattachables à des causes étrangères ;
En ce qui concerne le genou gauche :
- de dire si M. B... souffre de séquelles de dysplasie rotulienne bilatérale et, dans l'affirmative, si cette infirmité trouve son origine dans les traumatismes du genou gauche subis en 1988 ;
- de déterminer si la gonarthrose, la détérioration cartilagineuse et le développement de corps étrangers intra-articulaires sont la conséquence des traumatismes subis au genou gauche en 1988 ou procèdent d'une cause étrangère ;
- en se plaçant à la date du 20 mars 2019, de décrire l'état de l'infirmité " séquelles de traumatisme du genou gauche " et d'expliciter les incapacités fonctionnelles qui en résultent ;
- de fixer le taux d'invalidité correspondant aux séquelles de traumatisme du genou gauche, à la date du 20 mars 2019, en faisant le départ, le cas échéant, avec les taux d'invalidité rattachables à des causes étrangères ;
- de façon générale, de donner tous autres éléments d'information nécessaires.
Article 4 : Le rapport d'expertise sera déposé par voie électronique au greffe de la cour et l'expert en notifiera des copies aux parties, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord des parties.
Article 5 : L'expert appréciera, l'utilité de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport.
Article 6 : Les frais et honoraires d'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.
Article 7 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2025.
La rapporteure,
K. BOUGRINELe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT03238