Cour Administrative d'Appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 29/01/2009, 07NC01121, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision29 janvier 2009
Num07NC01121
JuridictionNancy
Formation3ème chambre - formation à 3
PresidentM. VINCENT
RapporteurM. Michel BRUMEAUX
CommissaireM. COLLIER
AvocatsGEORGE

Vu la requête, enregistrée le 10 août 2007 au greffe de la Cour, présentée pour Patrice X, demeurant ..., par Me George ; M. X demande à la Cour :

1°) de réformer, en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne à réparer les conséquences dommageables de l'infection nosocomiale contractée lors de son hospitalisation en 1997, le jugement n° 0101271 du 28 juin 2007 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné ledit centre hospitalier à lui verser une indemnité de 9 500 euros, majorée des intérêts à compter du 27 décembre 2001 et de leur capitalisation à compter du 27 décembre 2001 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne à lui verser une indemnité de 217 645, 10 euros, majorée des intérêts à compter du 27 décembre 2000 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient :

- que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le placement en longue maladie et sa mise à la retraite anticipée ne sont pas les conséquences directes et uniques de l'infection nosocomiale ; que l'expert, dans ses deux rapports successifs, a établi ce lien de causalité exclusif ; qu'en se basant sur le taux de 5 % d'incapacité permanente partielle retenu pour l'infection nosocomiale pour écarter un tel lien, le tribunal administratif a méconnu le principe du droit à la réparation intégrale du préjudice ;

- que le jugement attaqué est entaché d'une contradiction dans la mesure où il refuse l'indemnisation de ses pertes de revenu et d'avantages alors qu'il accorde à l'Etat le remboursement de la solde diminuée qui lui a été versée ; que la même contradiction se retrouve dans l'indemnisation réduite de ses préjudices personnels et les remboursements considérables accordés à la caisse nationale militaire de sécurité sociale ;

- que le préjudice lié à l'incapacité temporaire totale doit être évalué à 145 233,44 euros ; que celui lié à l'incapacité permanente partielle doit être évalué à 9 000 euros ; que la réparation de son préjudice personnel doit être fixée à 8 000 euros et celle de l'incidence professionnelle à 55 .411,66 euros ;


Vu le jugement attaqué ;


Vu le mémoire, enregistré le 20 septembre 2007, présenté par le ministre de la défense ; il conclut à la réformation du jugement attaqué et à la condamnation du centre hospitalier à lui verser une indemnité de 75 730,15 euros, ou subsidiairement une indemnité de 75 352,49 euros ; il soutient :

- que les premiers juges n'ont pas pris en compte la totalité de la créance de l'Etat ; qu'ils ont en effet exclu la période du 2 au 5 décembre 2007 dans le calcul de la durée de l'incapacité temporaire totale liée à l'infection nosocomiale alors que l'imputabilité de cette période d'hospitalisation à l'infection nosocomiale a été retenue par l'expert ;

- que, subsidiairement, il y a lieu de prendre en compte dans l'indemnité qui lui est due la somme de 5 433,86 euros correspondant aux charges patronales versées durant la période du 29 janvier au 23 juillet 2008 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2007, présenté pour le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne par Me Miravete ; il conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à une appréciation plus mesurée des chefs de préjudice invoqués à l'exclusion de ceux liés à la perte de retraite, à l'incidence professionnelle du préjudice subi et à la demande de versement des intérêts, qui doivent être écartés ; il soutient que :

- le rapport complémentaire du docteur Nida doit être écarté en raison de son irrégularité, comme l'a fait à juste titre le tribunal administratif, faute pour l'expert d'avoir respecté le principe du contradictoire ;

- que la décision de congé de longue maladie et de sa mise à la retraite anticipée n'est pas la conséquence unique et exclusive de l'infection nosocomiale ; que la mise en retraite anticipée est essentiellement la conséquence de l'incapacité sèquellaire ; que rien n'établit que le passage à un taux de 40 % de l'invalidité de M. X a entraîné le congé de longue durée puis la mise à la retraite anticipée ;

- qu'il n'y a pas de corrélation entre le montant de la créance de la caisse et la faiblesse du montant retenu au bénéfice de M. X, compte tenu des différences de nature des préjudices pris en compte ;

- que le requérant n'a subi aucun préjudice lié à une perte de retraite dès lors qu'il avait déjà acquis ses droits à la retraite ;

- que M. X ne justifie pas qu'il aurait bénéficié d'un logement de fonction jusqu'à la date de mise à la retraite normale et que le logement loué ait été identique à celui mis à sa disposition par la gendarmerie nationale ;

- que les intérêts légaux à compter de la demande amiable ne sauraient être accordés, les séquelles inhérentes à l'infection n'ayant pas été déterminées à cette date ;

Vu le mémoire, enregistré le 10 mars 2008, présenté pour la caisse nationale militaire de sécurité sociale par Me Bleykasten ; elle conclut à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne à lui verser les intérêts au taux légal jusqu'au 26 septembre 2007 comme suit : sur 49 917,55 euros à compter du 19 juillet 2005 ; sur 1 326,10 euros à compte du 3 octobre 2005 ; sur la somme de 416,20 euros à compter du 2 mai 2006, soit un total de 2 664,22 euros, et à leur capitalisation ainsi qu'à sa condamnation à 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 28 novembre 2008, présenté pour M. X ; il soutient :

- que le lien de causalité entre l'infection nosocomiale et la mise à la retraite anticipée est démontré par l'expertise ;

- que le placement en congé de longue maladie a entraîné une réduction de sa solde de 2/5ème ;

Vu la lettre en date du 26 novembre 2008 par laquelle les parties ont été informées de ce que la Cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public ;

Vu l'ordonnance du 28 novembre 2008 par laquelle le président de la chambre a ordonné la clôture de la présente affaire au 19 décembre 2008 à 16 heures ;



Vu, enregistrées le 9 décembre 2008, les observations présentées pour M. X en réponse à la correspondance susrappelée de la Cour ;

Vu, enregistrées le 12 décembre 2008, les observations présentées par le ministre de la défense en réponse à la correspondance susrappelée de la Cour ;

Vu les observations, enregistrées le 16 décembre 2008, présentées pour la caisse nationale militaire de sécurité sociale en réponse à la correspondance susrappelée de la Cour ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 18 décembre 2008, présenté pour le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat ;

Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 janvier 2009 :

- le rapport de M. Brumeaux, président,

- les observations de Me George, avocat de M. X, et de Me Michelet, avocat du centre hospitalier général de Châlons-en-Champagne,

- et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement ;


Considérant que M. X, qui exerçait la profession de gendarme, a été victime d'un accident de la circulation le 9 février 1997 ; que durant son hospitalisation au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, qui s'est prolongée jusqu'au 9 mai 1997, il a notamment subi une intervention chirurgicale en vue de réduire la fracture de son fémur gauche et a contracté à cette occasion une infection nosocomiale imputable à la bactérie Enterobacter cloacae ; qu'après avoir repris son service en juillet 1997 avec une motricité réduite, en raison des séquelles orthopédiques de cet accident, M. X a dû interrompre à nouveau son activité à compter du 2 décembre 1997, d'abord pour des examens, puis pour trois interventions chirurgicales entre janvier et mars 1998 en vue de maîtriser l'infection osseuse et de sauver son membre inférieur gauche ; que, malgré la maîtrise de l'infection à compter de mai 1998, il a été placé en congé de longue maladie le 24 juillet 1998 puis mis en retraite anticipée le 24 juillet 2001 ; que, par arrêt de la Cour administrative d'appel de Nancy en date du 5 avril 2007, le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne a été reconnu responsable des conséquences dommageables résultant de l'infection nosocomiale contractée par M. X, qui relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a statué sur ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser du préjudice subi ;


Sur l'imputabilité à l'infection nosocomiale du placement en longue maladie et de la mise à la retraite de M. X :

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise déposé le 30 mai 2005, nonobstant la circonstance que ledit rapport ait conclu sans justification à un lien de causalité entre l'infection nosocomiale et la mise à la retraite, que les séquelles physiologiques directement imputables à l'infection nosocomiale, évaluées à une invalidité permanente partielle de 5 %, aient été importantes, ni que cette infection aurait joué un rôle déterminant dans l'évolution de l'état de santé de M. X entre 1998 et 2001, principalement dégradé par les lésions subies à la suite de l'accident et dont le taux d'incapacité permanente partielle en résultant a été évalué à 35 % ; qu'en particulier, s'il est certain que cette infection a différé la rééducation fonctionnelle de l'intéressé et qu'il a fait l'objet d'une antibiothérapie jusqu'en février 1999, il n'est pas établi que ces circonstances auraient entraîné des conséquences irrémédiables sur son état de santé au regard de son aptitude au service ; que, par suite, M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le lien de causalité entre la faute commise par le centre hospitalier et sa mise à la retraite anticipée n'était pas établi ; qu'il résulte par ailleurs de ce qui précède que le lien de causalité entre la faute commise par le centre hospitalier et le placement de M. X en congé de longue maladie à compter du 24 juillet 1998 n'est pas davantage établi ;


Sur les droits à réparation de M. X, de la caisse nationale militaire de sécurité sociale et de l'Etat :

En ce qui concerne les dépenses de santé :

Considérant que la caisse nationale militaire de sécurité sociale fait état de débours correspondant aux frais d'hospitalisation, d'analyses médicales, d'écho Doppler, d'actes de kinésithérapie et de pharmacie, pour un montant de 51 659,85 euros ; que si les frais d'hospitalisation au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et au centre hospitalier universitaire de Reims au cours de la période du 2 décembre 1997 au 27 avril 1998 peuvent être regardés, eu égard à ce qui précède, comme liés à l'infection nosocomiale, il n'en va pas de même des actes de kinésithérapie, accomplis à compter du 4 mai 1998 et poursuivis jusqu'au 9 août 2001, soit, pour la plus grande partie d'entre eux, pendant le congé de longue maladie qui, comme il a été dit ci-dessus, n'est pas imputable à la faute commise par le centre hospitalier ; que si ce dernier soutient que le congé de longue maladie n'est pas lié à l'infection nosocomiale et que la mise à la retraite anticipée de M. X est essentiellement la conséquence des séquelles orthopédiques de son accident, il ne présente toutefois pas de conclusions incidentes tendant à la réduction du montant de sa condamnation au profit de la caisse nationale militaire de sécurité sociale ; qu'il y a donc lieu pour la Cour de maintenir à la somme de 51 659,85 euros la condamnation au principal du centre hospitalier au profit de celle-ci, dont il est constant qu'elle a intégralement pris en charge ce poste de préjudice ; que la caisse nationale militaire de sécurité sociale a par ailleurs droit aux intérêts sur la somme de 49 917,55 euros à compter du 19 juillet 2005, sur la somme de 1 326,10 euros à compter du 3 octobre 2005 et, enfin, sur la somme de 416,20 euros à compter du 2 mai 2006, ces dates étant celles auxquelles la caisse a présenté devant le tribunal administratif ses créances arrêtées à la date du 26 septembre 2007 ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts le 10 mars 2008 et qu'il était dû à cette date au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément à l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci ;


En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

Considérant, en premier lieu, que M. X demande la condamnation du centre hospitalier à lui verser une indemnité destinée à réparer le préjudice résultant des pertes de salaires et d'avantages ainsi que de la diminution de sa pension, consécutifs à son placement en congé de longue maladie et à sa mise à la retraite anticipée ; que, cependant, de telles conclusions ne peuvent être que rejetées, faute d'un lien de causalité entre l'infection nosocomiale et l'évolution de sa situation administrative, comme il a été dit ci-dessus ;

Considérant, en second lieu, que si le ministre de la défense, qui se prévaut de l'action en remboursement de toutes les prestations versées ou maintenues à la victime à la suite de son infirmité dont dispose l'Etat envers le tiers responsable par subrogation aux droits de la victime en application de l'article 1er de l'ordonnance susvisée du 7 janvier 1959, fait valoir à juste titre que les premiers juges ont omis de prendre en considération dans l'évaluation de son préjudice les dépenses qu'il a encourues pendant la période du 2 décembre 1997 au 28 janvier 1998 au cours de laquelle M. X a été hospitalisé du 2 au 5 décembre 1997 pour des examens en vue de rechercher les causes de sa fatigue et de sa fébrilité, puis placé en congé de maladie pour les mêmes raisons liées à son état infectieux, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la responsabilité du centre hospitalier ne peut être retenue à compter du 24 juillet 1998 et que, par suite, l'Etat n'est pas fondé à demander la condamnation de ce dernier à lui rembourser les traitements et indemnités versés à M. X et les charges patronales qu'il a supportées à compter de cette date ; qu'il résulte de ce qui précède que la somme à laquelle l'Etat est fondé à prétendre devrait ainsi, nonobstant l'absence de prise en compte par le tribunal de la période du 2 décembre 1997 au 28 janvier 1998, être fixée à une somme inférieure à celle qu'il a arrêtée ; que, toutefois, le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne ne présentant pas de conclusions incidentes tendant à la réduction des condamnations mises à sa charge au profit de l'Etat, il y a lieu pour la Cour de maintenir la condamnation prononcée par les premiers juges à hauteur de 69 918,63 € ;


En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

Considérant que les premiers juges ont procédé à une juste appréciation des préjudices personnels subis par M. X en évaluant le préjudice tiré de ses troubles dans les conditions d'existence et de son déficit fonctionnel permanent en tant qu'ils sont imputables à l'infection nosocomiale, ainsi que du pretium doloris et du préjudice esthétique, en lui allouant la somme de 9 500 euros ; que le requérant est toutefois fondé à soutenir que les intérêts afférents à cette somme doivent commencer à courir à compter de la date de sa demande préalable, soit le 27 décembre 2000, et non le 27 décembre 2001, comme le précise à tort l'article 1er du jugement attaqué ;

Considérant qu'il résulte de qui précède que M. X est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a décompté les intérêts légaux afférents aux sommes qui lui sont dues à partir du 27 décembre 2001 et non du 27 décembre 2000 ;


Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les conclusions présentées par M. X envers le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, ne peuvent être que rejetées ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à celles de la caisse nationale militaire de sécurité sociale ;


DECIDE :


Article 1er : La somme de 9 500 euros que le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne a été condamné à verser à M. X par l'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne portera intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2000.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 28 juin 2007 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. X est rejeté.
Article 4 : La somme de 51 169,85 euros que le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne a été condamné à verser à la caisse nationale militaire de sécurité sociale par l'article 3 du jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne portera intérêts au taux légal selon les modalités suivantes : sur la somme de 49 917,55 euros à compter du 19 juillet 2005, sur la somme de 1 326,10 euros à compter du 3 octobre 2005 et, enfin, sur la somme de 416,20 euros à compter du 2 mai 2006. Les intérêts échus le 10 mars 2008 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Les conclusions du ministre de la défense sont rejetées, ainsi que les conclusions de la caisse nationale militaire de la sécurité sociale tendant à l'application des dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Patrice X, au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, à la caisse nationale militaire de sécurité sociale et au ministre de la défense.


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N° 07NC01121