Cour Administrative d'Appel de Nantes, 3ème Chambre, 23/02/2012, 10NT01878, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 février 2012
Num10NT01878
JuridictionNantes
Formation3ème Chambre
PresidentMme PERROT
RapporteurM. Laurent POUGET
CommissaireM. DEGOMMIER
AvocatsLE BRET-DESACHE

Vu la requête, enregistrée le 18 août 2010, présentée pour Mme Marie-Thérèse COSSEC X, demeurant Y, M. Philippe X, demeurant à la même adresse et M. Guillaume X, demeurant ..., par Me Le Bret-Desaché, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; les CONSORTS X demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 07-5179 en date du 17 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 32 804,29 euros en réparation du préjudice subi pour n'avoir pas perçu en qualité d'ayants-droits d'Hervé X l'aide financière instituée par les décrets du 13 juillet 2000 et du 27 juillet 2004 ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser cette somme outre les intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable et la capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 2 500 euros en réparation de leur préjudice moral ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 794 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 ;

Vu le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 février 2012 :

- le rapport de M. Pouget, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;


Considérant que les CONSORTS X relèvent appel du jugement du 17 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 32 804,29 euros en principal au titre de la réparation instituée par les décret susvisés du 13 juillet 2000 et du 27 juillet 2004 au bénéfice des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions nazies ou d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale ;

Considérant que le décret susvisé du 13 juillet 2000 a institué une mesure de réparation prenant la forme d'une indemnité en capital ou d'une rente viagère, en faveur de toute personne dont la mère ou le père a été déporté à partir de la France dans le cadre des persécutions antisémites durant l'Occupation et a trouvé la mort en déportation lorsqu'elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue ; que le décret du 27 juillet 2004 a, quant à lui, institué une mesure de réparation similaire en faveur des personnes mineures au moment des faits, dont la mère ou le père a été déporté à partir du territoire national, durant l'Occupation, pour les motifs et dans les conditions mentionnées aux articles L. 272 et L. 286 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et a trouvé la mort en déportation, ainsi qu'en faveur des personnes, mineures de vingt et un ans au moment des faits, dont le père ou la mère a, durant l'Occupation, été exécuté dans les circonstances définies aux articles L. 274 et L. 290 du même code ;

Considérant, en premier lieu, que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que le fait directement à l'origine du droit à réparation dont se prévalent les CONSORTS X est l'entrée en vigueur, le 29 juillet 2004, du décret susvisé du 27 juillet 2004, lequel n'est doté d'aucun effet rétroactif ; que ce fait générateur étant postérieur au décès d'Hervé X, survenu le 8 septembre 2003, le droit à la mesure de réparation instauré par le décret considéré en faveur des orphelins de parents victimes d'actes de barbarie n'est, en tout état de cause, jamais entré dans le patrimoine du défunt et n'a pas pu se transmettre à ses héritiers ; que les CONSORTS X ne peuvent utilement invoquer à cet égard une discrimination qui résulterait de la circonstance que la soeur d'Hervé X a obtenu, par une décision du 22 septembre 2005, une mesure de réparation sur le fondement du décret du 27 juillet 2004, dès lors que, par l'effet du décès d'Hervé X, le frère et la soeur se sont trouvés placés dans des situations différentes au regard du droit applicable ;

Considérant, en deuxième lieu, que ni le principe d'égalité, ni les dispositions de la Constitution, ni les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ne s'opposent à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge au principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier ;

Considérant que les personnes tombant sous le coup des mesures antisémites ont fait l'objet, pendant l'Occupation de la France, d'une politique d'extermination qui s'étendait à l'ensemble d'entre elles quel que soit leur âge ou leur sexe et impliquait une déportation systématique ; qu'ainsi, eu égard à l'objet de la mesure qu'il avait décidée, le gouvernement a pu, sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité ni la prohibition des discriminations fondées sur la race, regarder les mineurs dont le père ou la mère a été déporté dans le cadre des persécutions antisémites pendant l'Occupation comme placés dans une situation différente de celle des orphelins des victimes des autres déportations criminelles, pratiquées, à raison de leur actes de résistance ou de leur activité politique, durant la même période ; que la différence de traitement pratiquée au bénéfice des premiers n'est pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier, et des situations particulières dans lesquelles ils se sont trouvés, et ne touche d'ailleurs qu'à l'application dans le temps du bénéfice de la réparation, une réparation financière analogue ayant été accordée à l'ensemble des bénéficiaires ; que, par suite, les CONSORTS X ne sont pas fondés à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en refusant d'accorder rétroactivement à Hervé X, à compter de l'entrée en vigueur de ce décret, le bénéfice de la mesure de réparation prévue par le décret du 27 juillet 2004 ; qu'il ne peut, dès lors, être accordé aux CONSORTS X aucune indemnisation de ce chef ; qu'ils ne peuvent davantage, en tout état de cause, se prévaloir d'un quelconque préjudice moral ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les CONSORTS X ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a refusé de faire droit à leur demande d'indemnisation ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement aux CONSORTS X de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des CONSORTS X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Marie-Thérèse COSSEC X, à M. Philippe X, à M. Guillaume X, et au Premier ministre.
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