CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 15/10/2020, 19MA04847, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2017, M. D... B... a demandé au tribunal des pensions de Marseille d'annuler la décision du 17 juillet 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 17/00124 du 17 janvier 2019, le tribunal des pensions a rejeté la requête de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mars 2019, sous le n° 19/00007, par la Cour régionale des pensions d'Aix-en Provence, M. B... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions de Marseille du 17 janvier 2019 ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision de rejet de sa demande de pension d'invalidité et de lui reconnaitre un droit à pension au titre de l'infirmité " état dépressif majeur compliqué de conduites addictives. Personnalité sensitive " en appliquant le barème le plus favorable ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale judiciaire afin de déterminer l'imputabilité au service de son infirmité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que son état dépressif majeur est la conséquence de traumatismes psychologiques subis en opération extérieure (opération Licorne entre 2002 et 2003), d'un harcèlement professionnel subi au sein de sa compagnie et de l'inaptitude professionnelle du fait d'un accident de parachute entraînant une coxarthrose invalidante.
Par acte de transmission du dossier, enregistré le 1er novembre 2019, et en application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Marseille est saisie de la présente affaire.
Par des mémoires, enregistrés par la Cour le 20 novembre 2019 et le 26 mai 2020, la ministre des armées conclut à la confirmation du jugement précité 17 janvier 2019.
Elle soutient que M. B... n'établit aucun lien entre son infirmité et le service, alors que les conditions de la présomption légale d'imputabilité ne sont pas réunies, et qu'une expertise ne présenterait aucune utilité.
Par un mémoire, enregistré le 25 février 2020, M. B..., représenté par Me A..., maintient les conclusions présentées devant la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., né le 24 juin 1975, a souscrit un contrat d'engagement dans la Légion étrangère à compter du 28 juin 1999 et été rayé des contrôles de l'armée active le
29 juillet 2017, au grade de caporal-chef. Le 22 juillet 2015, il a formé une demande de pension militaire d'invalidité pour une dépression sévère. Par une décision du 17 juillet 2017, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. B... relève appel du jugement du 17 janvier 2019 par lequel le tribunal des pensions de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision de la ministre des armées et à ce qu'il lui soit concédé une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " état dépressif majeur compliqué de conduites addictives. Personnalité sensitive ".
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) ".
3. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3 citées ci-dessus que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut pas bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service, il incombe à ce dernier d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service. Lorsqu'il est établi que les troubles psychiques trouvent leur cause directe et déterminante dans une ou plusieurs situations traumatisantes auxquelles le militaire en opération a été exposé, en particulier pendant des campagnes de guerre, la seule circonstance que les faits à l'origine des troubles n'aient pas été subis par le seul demandeur de la pension mais par d'autres militaires participant à ces opérations, ne suffit pas, à elle-seule, à écarter la preuve de l'imputabilité.
4. M. B... soutient que son infirmité, évaluée au taux de 40%, dont 30 % imputables au service, par le docteur Aubry, psychiatre mandaté par l'administration pour examiner la dépression sévère dont il se prévaut, est la conséquence directe de plusieurs événements, qui relèvent tous du service. Il s'agit, d'abord, de traumatismes subis durant sa participation à l'opération extérieure Licorne, du 15 décembre 2002 au 29 mars 2003, et, ensuite, d'un accident de parachute survenu en juin 2002, ayant entraîné une coxarthrose de la hanche droite qui l'a rendu inapte à son poste de militaire " de terrain ", prétexte selon lui à un harcèlement moral de la part de ses camarades et de ses supérieurs hiérarchiques. Il fait valoir que son livret médical ne mentionne aucune pathologie psychiatrique avant son retour de l'opération Licorne, à l'occasion duquel est mentionnée " une baisse de moral qui doit être suivie ", et que la notion de troubles dépressifs apparaît de manière récurrente à compter de mai 2010. Il soutient, en outre, que la douleur, malencontreusement attribuée à sa hanche gauche, qui a été relevée lors d'une visite médicale le 24 juin 2002, mais n'a pas été prise en compte avant 2008, révèle un fait de service responsable de sa coxarthrose de la hanche droite.
5. Il résulte, toutefois, de l'instruction, que si le docteur Aubry note dans son rapport du 1er mars 2017 : " depuis un événement traumatique survenu en 1999 (accident pendant un saut, de nuit, en exercice) - décompensation dépressive (et peut-être sensitive) ", et conclut à un " état dépressif majeur, compliqué d'alcoolo-dépendance " et à l'existence d'une " personnalité sensitive ", cet événement traumatique de 1999 ne ressort d'aucune des pièces produites par M. B... au soutien de sa demande. En effet, lors de sa demande, M. B... datait le fait de service à l'origine de sa pathologie au 24 décembre 2004 alors que dans ses écritures devant le tribunal des pensions, il faisait état d'une douleur de la hanche gauche lors de la visite du
24 juin 2002, évoquant une " probable tendinopathie ou conflits névralgiques " mais qui ne présente aucune relation avec la coxarthrose de la hanche droite qui a été diagnostiquée en 2008.
Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été victime d'un quelconque harcèlement moral dans son régiment, la seule circonstance qu'il fasse référence à un supposé harcèlement lors de visites médicales ne suffisant pas à en établir la réalité. Enfin, si une " baisse de moral " a été notée au retour de l'intéressé de sa mission dans le cadre de l'opération Licorne en 2003, ces seuls éléments ne permettent pas d'établir l'existence de traumatismes à l'origine de son état dépressif majeur, alors que, de surcroît, aucune autre référence à une quelconque dysthymie n'est mentionnée entre cette date et 2010.
6. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de tout élément permettant d'apporter un début de preuve du rattachement entre des faits de service et l'infirmité au titre de laquelle il demande un droit à pension, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Marseille a refusé de faire droit à sa demande, sans qu'il soit besoin de recourir à une expertise médicale judiciaire pour déterminer l'imputabilité au service de l'infirmité.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes que M. B... demande au titre des frais qu'il a exposés soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président de chambre,
- M. Ury, premier conseiller,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
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N°19MA04847