CAA de NANCY, 1ère chambre, 29/10/2020, 18NC02798, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision29 octobre 2020
Num18NC02798
JuridictionNancy
Formation1ère chambre
PresidentM. WURTZ
RapporteurMme Sophie GROSSRIEDER
CommissaireMme PETON
AvocatsBJMR Avocats

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner solidairement l'ONIAM et l'Etat à lui verser une somme de 1 380 656,48 euros en réparation des préjudices subis lors de l'accident dont il a été victime le 16 septembre 2006.

Par un jugement n° 1600650 en date du 7 juin 2018, le tribunal administratif a mis hors de cause l'ONIAM, a condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 37 623,33 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident de service dont il a été victime et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au conseil de M. B... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Le tribunal a mis les dépens à la charge définitive de l'Etat.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 octobre 2018, M. B..., représenté par la SALAS E... associés Grand Est, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Chalons en Champagne du 7 juin 2018 ;

2°) de déclarer l'ONIAM et l'Etat solidairement responsables ;

3°) de fixer son préjudice à la somme de 1 391 100 euros ;

4°) de condamner l'ONIAM et l'Etat à la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les actes pratiqués sur l'intéressé ont eu des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci ;
- il entend solliciter la réparation intégrale de son préjudice dès lors que l'Etat a commis une faute en ce que le médecin de la garnison n'a pas permis que le diagnostic de sa lésion soit établi immédiatement ;
- il justifie des préjudices allégués dans leur quantum.


Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2019, l'ONIAM, représenté par Me C..., conclut à ce que le jugement soit confirmé et que l'ONIAM soit mis hors de cause.

Il soutient que :

- le recours de M. B... ne présente aucun élément de fait et de droit nouveau par rapport à l'argument développé en première instance, ni ne produit de nouvelles pièces ou d'éléments probants de nature à remettre en cause le bien-fondé du jugement ;
- le dommage présenté par M. B... ne relève pas d'un accident médical mais d'un échec thérapeutique inhérent à toute chirurgie et n'ouvre pas droit à indemnisation par la solidarité nationale ;
- aucun lien de causalité direct et certain avec ces interventions n'apparaît aucunement établi ; l'état séquellaire est en lien avec l'état initial ;


Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2020, l'Etat conclut par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 7 juin 2018 et à la réduction du montant de la condamnation de l'Etat à une somme de 7 830 euros.

Il fait valoir que :

- aucun manquement n'a été révélé à l'égard des praticiens qui ont pris en charge M. B... que ce soit à l'infirmerie militaire ou au centre hospitalier ;
- en l'absence de faute, M. B... ne saurait bénéficier d'une réparation intégrale ;
- c'est à tort que les premiers juges ont indemnisé le déficit fonctionnel temporaire et le déficit fonctionnel permanent lesquels sont indemnisés forfaitairement par la pension militaire d'invalidité ;
- l'évaluation des autres préjudices n'est pas contestée.

Par une ordonnance du 7 février 2020, l'instruction a été close au 21 février 2020.

Par un courrier en date du 24 septembre 2020, les parties ont été informées de ce que la cour était, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, susceptible de soulever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à la condamnation de l'Etat sur le fondement de la faute présentées pour la première fois en appel.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F..., présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de Me E... pour M. B....

M. B... a présenté une note en délibéré enregistrée le 6 octobre 2020.


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., sous-officier de l'armée de terre, a été victime en service, le 13 septembre 2006, au camp de Mourmelon-le-Grand, d'un accident lors d'une séance de sport provoquant une torsion de la cheville. Il a été pris en charge par le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, où a été posé le diagnostic d'entorse de la cheville droite et où une immobilisation du pied a été prescrite. En raison de douleurs, un scanner pratiqué le 26 septembre suivant a mis en évidence une fracture de la base du 4ème métatarsien de l'avant-pied droit associée à une fracture parcellaire de la pointe de la malléole interne droite. Une botte plâtrée a alors été posée. En raison de la persistance de douleurs après l'ablation du plâtre, M. B... a subi, entre janvier 2007 et 2010, quatre interventions chirurgicales destinées à remédier aux séquelles dont il était atteint par la pose et le retrait de matériel d'ostéosynthèse. Il conserve toutefois des douleurs rendant nécessaire l'usage d'une canne simple pour la marche. Par un jugement en date du 7 juin 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a mis hors de cause l'ONIAM et condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 37 623,33 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident de service dont il a été victime, ainsi que 1 500 euros à verser au conseil de M. B... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Le tribunal a mis les dépens à la charge définitive de l'Etat. M. B... relève appel de ce jugement et demande de déclarer l'ONIAM et l'Etat solidairement responsables et de fixer son préjudice à la somme de 1 391 100 euros. L'ONIAM conclut au rejet de la requête et à sa mise hors de cause. L'Etat par la voie de l'appel incident demande la réduction du montant de sa condamnation à une somme de 7 830 euros.

Sur le principe de l'indemnisation par l'ONIAM :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dans son II : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I (...) n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ".

3. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport de l'expertise diligentée par ordonnance du président du tribunal administratif de Chalons en Champagne le 26 mai 2014 et confiée au Pr Coudane, lequel a déposé son rapport le 13 janvier 2016, que " le dommage dont se trouve actuellement atteint M. B... trouve son origine non pas dans un accident médical mais résulte d'une non atteinte du résultat escompté et d'un résultat imparfait. L'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale n'est donc pas susceptible d'être retenue. Comme l'ont jugé les premiers juges, l'ONIAM doit dès lors être mis hors de cause.

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

4. Devant le tribunal administratif, M. B... a demandé la condamnation de l'Etat sans invoquer la faute comme fait générateur de responsabilité. En appel, M. B... reprend ses conclusions indemnitaires initiales et demande, en plus, la condamnation de l'Etat sur le terrain de la responsabilité pour faute. Ces conclusions, nouvelles en appel, sont irrecevables et doivent, par suite être rejetées. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que les services militaires auraient commis une faute ou un manquement lors de la prise en charge de l'intéressé à la suite de son accident du 13 septembre 2006.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

5. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ".

6. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Eu égard à sa finalité et à son mode de calcul, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices.

7. Il ressort de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du Professeur Coudane que les séquelles dont souffre M. B... sont imputables à l'accident survenu le 13 septembre 2006 dans l'exercice de ses fonctions et qui est dès lors imputable au service. Il appartient en conséquence à l'Etat, même sans faute de sa part, d'en réparer les préjudices subis par le militaire.

Sur l'évaluation des préjudices :

8. Conformément aux dispositions précitées et à ce qui a été dit au point 6, la pension militaire d'invalidité allouée à M. B... a pour objet de réparer la perte de revenus et l'incidence professionnelle subie du fait de son incapacité physique ainsi que l'atteinte à l'intégrité physique. L'appelant ne justifie pas d'un préjudice complémentaire qui n'aurait pas été indemnisé par la pension militaire d'invalidité qui lui a été servie au regard du déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à hauteur de 16 %. Les conclusions de M. B... tendant à l'indemnisation du préjudice lié à la perte de gains professionnels actuels et futurs et aux déficits fonctionnels temporaire et permanent doivent dès lors être rejetées.

9. Il résulte par ailleurs de l'instruction que les dépenses de santé liées au renouvellement de la canne simple dont M. B... a besoin pour ses déplacements ne sont pas prises en charge. Compte tenu de l'âge de l'appelant et du besoin en remplacement de ce matériel tous les 5 ans selon l'expert, il y a lieu d'allouer à M. B... comme l'ont évalué les premiers juges une somme de 480 euros à ce titre.

10. Si M. B... peut utiliser son véhicule pour de courts déplacements, l'expert a estimé nécessaire la conduite d'un véhicule doté d'une boite de vitesse automatique sur de longs trajets compte tenu de la fatigabilité et des douleurs endurées par M. B.... Comme en première instance, M. B... ne justifie pas du coût allégué pour ce chef de préjudice de 25 000 euros. S'il y a lieu d'indemniser l'aménagement rendu nécessaire du véhicule, cette indemnisation n'implique pas le remplacement à neuf de son véhicule. En conséquence, compte-tenu du surcoût de cet aménagement et du renouvellement régulier de véhicule au regard de l'âge de M. B..., ce chef de préjudice doit être indemnisé à la somme de 12 000 euros.

11. Il résulte de l'instruction que M. B... a enduré, avant la consolidation de son état de santé le 31 octobre 2010, des souffrances évaluées à 3 sur 7 par l'expert. Il subit d'autre part un préjudice esthétique évalué à 2 sur 7. Le tribunal a fait une juste appréciation de ces deux chefs de préjudice en les évaluant respectivement à 3 600 et 1 850 euros.

12. Si M. B... demande l'indemnisation d'un préjudice d'agrément sans fournir, comme en première instance, aucun justificatif, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. B... pratiquait plusieurs sports. Il y a lieu de lui allouer pour réparer ce préjudice une somme de 2 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité complémentaire due à M. B... s'élève à la somme globale de 19 930 euros au titre des préjudices que la pension militaire d'invalidité n'a pas pour objet de réparer. Ainsi le ministre de la défense est fondé à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 7 juin 2018 en tant qu'il condamne l'Etat à verser à M. B... une indemnité supérieure à 19 930 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. B... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


DÉCIDE :
Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à payer à M. A... B... par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est ramenée à 19 930 euros.
Article 2 : Le jugement n° 160650 du 7 juin 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La requête de M. B... et le surplus du recours du ministre des armées sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'ONIAM et au ministre des armées.


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N°18NC02798