CAA de NANTES, 6ème chambre, 16/02/2021, 19NT02469, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 février 2021
Num19NT02469
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurMme Fanny MALINGUE
CommissaireM. LEMOINE
AvocatsCABINET MDMH

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 74 173,20 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'accident de service dont il a été victime le 10 juillet 2013.

Par un jugement n° 1605549 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 23 139 euros, majorée des intérêts à compter du 18 avril 2016 (article 1er) et a mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise d'un montant de 3 480 euros (article 2) ainsi qu'une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juin 2019, la ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement.

Elle soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant que la responsabilité sans faute de l'Etat était engagée du fait de l'accident dont a été victime M. A... dans le cadre de son activité de sapeur-pompier volontaire et que l'article 19 de la loi du 31 décembre 1991 permettait d'indemniser les préjudices non réparés par la pension militaire d'invalidité ;
- les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat ne sont pas réunies dès lors que l'Etat, qui n'est intervenu à aucun titre dans l'organisation de l'activité au cours de laquelle M. A... a été blessé, ne peut être tenu de supporter les risques inhérents aux fonctions de sapeur-pompier volontaire à l'occasion desquelles il a subi un dommage ; la requête est mal dirigée.

Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2019, M. A..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête[MF1] et demande à la cour par la voie de l'appel incident :

1°) d'annuler le jugement du 4 avril 2019 en ce qu'il rejette l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat ;

2°) de condamner l'Etat à réparer ses préjudices à hauteur de la somme totale de 50 559 euros, somme majorée des intérêts à compter du 18 avril 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rennes a estimé qu'il était en droit de bénéficier d'une indemnisation complémentaire sur le fondement de la responsabilité pour risque au titre de l'accident de service ; s'il ne fait pas usage de son droit d'option, le militaire demeure sous la responsabilité de l'Etat qui l'emploie ; il revient à l'Etat d'indemniser le militaire qu'il a autorisé à s'engager dans les corps des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident de service ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes n'a pas retenu la responsabilité pour faute dès lors que son action était bien dirigée contre l'Etat, à charge pour ce dernier d'exercer ensuite une action récursoire à l'encontre du SDIS[MF2] ; l'exercice au cours duquel il a été blessé était mal encadré au regard des normes de sécurité en vigueur et du risque ;
- le tribunal administratif de Rennes n'a pas évalué ses préjudices à leur juste mesure dès lors que son préjudice de carrière doit être indemnisé à hauteur de la somme de 9 000 euros, le préjudice lié aux souffrances qu'il a endurées doit être indemnisé à hauteur de la somme de 16 500 euros, son préjudice d'agrément doit être indemnisé à hauteur de la somme de 12 000 euros et que les frais d'expertise et d'avocat s'élèvent à la somme de 7 440 euros.

Par courrier du 27 novembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions incidentes de M. A... relatives à l'engagement de la responsabilité de l'Etat pour faute.

Des observations en réponse à ce moyen relevé d'office, enregistrées le 21 décembre 2020, ont été présentées par la ministre des armées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n°91-1389 du 31 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant M. A....


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., sergent-chef engagé dans l'armée de terre depuis le 1er mars 2008 et en qualité de pompier volontaire dans le corps départemental des sapeurs-pompiers des Yvelines depuis le 1er juin 2012, s'est blessé le 10 juillet 2013 en effectuant un exercice lors d'un stage organisé dans le cadre de la formation de sapeur-pompier. A la suite de cet accident, il a été placé en congé de maladie imputable au service puis en congé de longue maladie jusqu'au 17 août 2015. Une pension militaire d'invalidité au taux de 20% lui a été concédée à ce titre. Après que les experts désignés par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ont remis leur rapport, M. A... a sollicité, le 18 avril 2016, auprès du ministre de la défense, l'indemnisation des préjudices subis résultant de l'accident du 10 juillet 2013. En l'absence de réponse expresse, il a saisi le 25 juillet 2016 la commission de recours des militaires. Sa demande ayant été implicitement rejetée, il a sollicité auprès du tribunal administratif de Rennes la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 74 173,20 euros majorée des intérêts au taux légal. Par un jugement du 4 avril 2019, ce tribunal a condamné l'Etat à lui verser une somme de 23 139 euros, majorée des intérêts à compter du 18 avril 2016 (article 1er) et a mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise d'un montant de 3 480 euros (article 2) ainsi qu'une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3). La ministre des armées relève appel de ce jugement. M. A... sollicite, pour sa part, par la voie du recours incident, la réformation de son article 1er.

Sur la responsabilité sans faute[GO3] :

2. Aux termes de l'article 1-5 de la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers : " Une protection sociale particulière est garantie au sapeur-pompier volontaire par la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service : " Le sapeur-pompier volontaire victime d'un accident survenu ou atteint d'une maladie contractée en service ou à l'occasion du service a droit, dans les conditions prévues par la présente loi : 1° Sa vie durant, à la gratuité des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires ainsi que des frais de transport, d'hospitalisation et d'appareillage et, d'une façon générale, des frais de traitement, de réadaptation fonctionnelle et de rééducation professionnelle directement entraînés par cet accident ou cette maladie ; 2° A une indemnité journalière compensant la perte de revenus qu'il subit pendant la période d'incapacité temporaire de travail ; 3° A une allocation ou une rente en cas d'invalidité permanente. En outre, il ouvre droit pour ses ayants cause aux prestations prévues par la présente loi (...) ". L'article 19 de la même loi dispose que : " Les sapeurs-pompiers volontaires qui sont fonctionnaires, titulaires ou stagiaires, ou militaires bénéficient, en cas d'accident survenu ou de maladie contractée dans leur service de sapeur-pompier, du régime d'indemnisation fixé par les dispositions statutaires qui les régissent./ Les intéressés peuvent toutefois demander, dans un délai déterminé à compter de la date de l'accident ou de la première constatation médicale de la maladie, le bénéfice du régime d'indemnisation institué par la présente loi s'ils y ont intérêt. /En cas de retard ou de défaillance dans la mise en oeuvre du régime d'indemnisation incombant à l'autorité d'emploi compétente en application du premier alinéa, le service départemental d'incendie et de secours procède au règlement immédiat des prestations afférentes au régime d'indemnisation institué par la présente loi et se fait rembourser ces prestations. ".
3. Les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les sapeurs-pompiers volontaires victimes d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle peuvent prétendre, au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par cet accident ou cette maladie. Le sapeur-pompier volontaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels peut obtenir de la personne publique auprès de laquelle il est engagé, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ou engager contre la personne publique une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

4. M. A..., sous-officier de l'armée de terre, s'est blessé le 10 juillet 2013 en effectuant un exercice lors d'un stage organisé dans le cadre de la formation de sapeur-pompier à laquelle il participait en raison de son engagement en qualité de sapeur-pompier volontaire dans le corps départemental des sapeurs-pompiers des Yvelines depuis le 1er juin 2012. En application de ce qui a été dit au point 3, il avait la possibilité d'obtenir, sur le fondement de la responsabilité sans faute, la réparation des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux couverts par la pension militaire d'invalidité qui lui a été concédée et de ses préjudices personnels auprès de la personne publique auprès de laquelle il était engagé au moment de sa blessure, qui constitue le fait générateur du dommage réparé, à savoir le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines. La circonstance qu'il bénéficiait, en vertu de l'article 19 de la loi du 31 décembre 1991, du régime d'indemnisation fixé par les dispositions statutaires qui régissent les militaires, n'était pas de nature à lui permettre de diriger son action indemnitaire contre une autre personne publique que le SDIS des Yvelines. Par suite, la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a estimé que la responsabilité de l'Etat pouvait être engagée à ce titre. Il y lieu, dès lors, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande indemnitaire, mal dirigée, de M. A..., à qui il appartiendra, s'il s'y croit fondé, de présenter une demande auprès du SDIS des Yvelines.

Sur la responsabilité pour faute[GO4] :

5. L'appel incident formé par M. A..., enregistré après l'expiration du délai d'appel, dirigé contre le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat, soulève un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal de la ministre des armées dès lors qu'il ne se rattache pas au même fait générateur que l'engagement de la responsabilité pour risque. Ces conclusions sont, par suite, irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante. Par suite, les conclusions de M. A... présentées sur ce fondement doivent être rejetées.

DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 4 avril 2019 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. C... A....
Délibéré après l'audience du 29 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2021

Le rapporteur,
F. D...Le président,
O. GASPON
Le greffier,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[MF1]P 33 du PDF (p 13 de la requête)
[MF2]P 36 du PDF (p 16) : En revanche...le jugement du TA de Rennes sera infirmé.
Mais l'argumentation est peu claire.
[GO3]Je ne sais plus quel est le terme " labellisé ", risque ou sans faute '
[GO4]Ce n'est pas à traiter en premier (recevabilité appel) ' mais il est vrai que ce n'est pas le requête d'appel
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