Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 04/03/2021, 434588, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Mme B... C..., veuve D..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 17 juillet 2014 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension de réversion présentée le 26 mai 2011. Par un jugement n° 1701813 du 18 juillet 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11 septembre et 19 décembre 2019 et les 11 février et 21 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à la SCP Krivine, Viaud son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 57-777 du 11 juillet 1957 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;
- le décret n° 2010-1691 du 30 décembre 2010 ;
- l'arrêté du 30 décembre 2010 portant application du décret du 30 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yohann Bouquerel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Viaud, Krivine, avocat de Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A... D..., ressortissant algérien, a été rayé des contrôles de l'armée active française le 19 février 1938, qu'il a obtenu une pension militaire de retraite et qu'il est décédé le 25 juin 1980. Mme C..., qui fait valoir s'être mariée avec lui en 1957 et avoir eu huit enfants nés de cette union, a demandé au ministre de la défense, le 26 mai 2011, de lui accorder une pension de réversion. Elle se pourvoit en cassation contre le jugement du 18 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 17 juillet 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension.
Sur la recevabilité du mémoire en défense de la ministre des armées :
2. La circonstance que la ministre des armées a produit un mémoire la veille de la clôture de l'instruction décidée par la présidente de la 7ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat n'est pas de nature à rendre irrecevable ce mémoire. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'écarter celui-ci des débats.
Sur le pourvoi :
3. D'une part, aux termes de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, applicable aux demandes de pension de réversion : " I. - (...) les pensions civiles et militaires de retraite et les retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants. (...) / V. - Les demandes de pensions présentées en application du présent article sont instruites dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et par le code des pensions civiles et militaires de retraite. (...) / VIII. - Un décret fixe les modalités d'application du présent article, notamment (...) les modalités de présentation et d'instruction des demandes mentionnées aux III, IV et V./ (...) / XI. - Le présent article entre en vigueur au 1er janvier 2011 ". Aux termes de l'article 3 du décret du 30 décembre 2010, pris pour l'application des dispositions de cet article 211 : " Un arrêté conjoint des ministres chargés de la défense, des affaires étrangères, des anciens combattants et du budget énumère les pièces justificatives à produire à l'appui de toute demande visée à l'article 1er ". L'annexe 3 de l'arrêté du 30 décembre 2010 pris pour l'application de ce décret cite, parmi les pièces exigées pour une demande de pension d'un ayant cause, " l'acte de mariage mentionnant la date de transcription sur les registres d'état-civil ".
4. D'autre part, l'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Enfin, aux termes de l'article L. 6 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa version applicable au 25 juin 1980, date du décès de M. D... et, par suite, date d'ouverture des droits à pension de réversion de la requérante : " Le droit à pension est acquis : / 1° Aux officiers et aux militaires non officiers qui ont accompli quinze ans de services civils et militaires effectifs / (...) ". Aux termes de l'article L. 47 du même code, dans sa version applicable à la même date : " Sont applicables aux ayants cause des militaires dont les droits se trouvent régis par le présent code les dispositions du chapitre Ier du présent titre, à l'exception de celles visées au premier alinéa, a et b, de l'article L. 39, qui sont remplacées par les dispositions suivantes : / Le droit à pension de veuve est subordonné à la condition : / a) Que depuis la date du mariage jusqu'à celle de la cessation de l'activité du mari, celui-ci ait accompli deux années au moins de services valables pour la retraite, sauf si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage antérieur à ladite cessation, lorsque le mari a obtenu ou pouvait obtenir la pension prévue à l'article L. 6 (1°) ; / b) Que le mariage ait été contracté avant l'événement qui a amené la radiation des cadres ou la mort du mari lorsque celui-ci a obtenu ou pouvait obtenir la pension prévue à l'article L. 6 (2°, 3° et 4°)/ (...) ". Aux termes de l'article L. 39 du même code, dans sa version applicable à la même date : " Le droit à pension de veuve est subordonné à la condition : / a) (...) / Nonobstant les conditions d'antériorité prévues ci-dessus, le droit à pension de veuve est reconnu : / - 1° Si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage ; / 2° Ou si le mariage, antérieur ou postérieur à la cessation de l'activité, a duré au moins quatre années ". Il résulte de ces dernières dispositions, compte tenu du renvoi de l'article L. 47 du code des pensions civiles et militaires de retraite aux dispositions de l'article L. 39, dans leur rédaction applicable au litige, que la veuve d'un militaire bénéficie d'un droit à pension de réversion lorsque le mariage, même postérieur à la cessation d'activité du militaire, a duré au moins quatre ans, ou lorsqu'un ou plusieurs enfants sont nés de ce mariage.
6. Pour rejeter la demande de Mme C... au motif que son mariage ne satisfaisait pas à la condition de durée minimale requise par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur les dispositions de la loi du 11 juillet 1957 relative à la preuve du mariage contracté en Algérie suivant les règles du droit musulman, en particulier celles de son article 6, qui prévoyaient qu'un mariage non inscrit sur les registres d'état-civil pouvait, du vivant des époux et à leur demande, être inscrit sur ces registres, le mariage n'étant alors réputé exister qu'à dater de cette inscription, et celles de son article 7 permettant aux époux, ou à l'un d'entre eux en cas de décès ou de dissolution du mariage, de requérir du tribunal civil qu'il ordonne l'inscription du mariage sur les registres d'état-civil, le mariage prenant alors effet à dater du jour reconnu par le jugement comme étant celui de la célébration de l'union. Le tribunal administratif, après avoir retenu que le mariage n'avait été transcrit sur les registres d'état-civil que le 17 avril 2006, en a déduit que la requérante n'établissait pas que son mariage avait duré au moins quatre ans avant le décès, en 1980, de son époux.
7. Toutefois, contrairement à des dispositions antérieurement applicables, ni les dispositions de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, ni celles auxquelles cet article renvoie, ni celles des textes pris pour son application, applicables en l'espèce, ne renvoient, pour déterminer les conditions dans lesquelles peut être rapportée la preuve de la date d'un mariage célébré en Algérie, à la loi du 11 juillet 1957. Il suit de là que, dès lors que l'annexe 3 de l'arrêté du 30 décembre 2010, pris pour l'application de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010, exige comme seule pièce justificative pour établir la réalité du mariage du demandeur de la pension de réversion avec son ayant cause " l'acte de mariage mentionnant la date de transcription sur les registres d'état-civil ", un tel document fait foi en toutes ses mentions, notamment la date de la célébration, dans les conditions fixées par l'article 47 du code civil. Par suite, en se fondant sur les dispositions de la loi du 11 juillet 1957, le tribunal a commis une erreur de droit. Mme C... est, dès lors, fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.
8. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Krivine, Viaud, avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à cet avocat.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 18 juillet 2019 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Poitiers.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Krivine, Viaud, avocat de Mme C..., une somme de 2 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... C..., veuve D..., à la ministre des armées et au ministre de l'action et des comptes publics.