CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 23/03/2021, 19BX04104, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. L... B... a demandé au tribunal des pensions militaires d'Agen d'annuler la décision du 23 avril 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension de victime civile de guerre, et d'ordonner une expertise avant-dire droit.
Par un jugement du 11 janvier 2017, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure en appel :
Par un arrêt avant-dire droit du 6 juin 2018, la cour régionale des pensions militaires d'Agen a annulé la décision du ministre de la défense du 23 avril 2014 et ordonné une expertise médicale.
Le rapport d'expertise a été enregistré le 5 septembre 2019.
Par des mémoires en défense enregistrés les 2 octobre 2019 et 23 juin 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- si l'expert n'a pas utilisé le guide-barème applicable au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, il a tenu compte de tous les documents existants et a répondu aux dires, de sorte qu'une nouvelle expertise n'est pas nécessaire ;
- les séquelles minimes objectivées par l'expert justifient un taux inférieur à 10 % et n'ouvrent pas droit à pension au regard de l'ancien article L4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- les cicatrices qui pourraient être imputables aux conséquences de l'explosion de 1961 n'étant ni douloureuses, ni ulcérées, elles ne sont pas susceptibles d'entraîner un taux d'invalidité au regard du guide-barème applicable ; il en va de même des troubles psychologiques en l'absence de stress post-traumatique avéré.
Par un mémoire enregistré le 8 janvier 2020, M. B..., représenté par Me J..., demande à la cour à titre principal d'ordonner avant-dire droit une nouvelle expertise médicale à confier à un autre expert, à titre subsidiaire d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder une pension d'invalidité au taux de 33 % avec effet à compter du 16 décembre 2013, et de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 3 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- le rapport d'expertise est nul car l'expert ne s'est pas référé au guide-barème des invalidités et ne s'est pas placé à la date du dépôt de la demande, mais à celle de l'expertise pour évaluer le taux d'invalidité ; ainsi, une nouvelle expertise doit être ordonnée et confiée à un autre expert ;
A titre subsidiaire :
- en utilisant le guide-barème applicable, la raideur du poignet droit correspond à un taux de 8 % ;
- la fatigabilité à la marche est imputable aux blessures de guerre et doit être évaluée à 15 % ;
- l'expert a minimisé le retentissement psychologique de l'explosion, alors qu'il présentait en 2003 une affection neuro-psychologique avec insomnie, trouble de la concentration, anxiété et céphalée invalidante et qu'une " anxiété ++ " était médicalement constatée le 9 juillet 2019 ; cette invalidité peut être évaluée à 10 % ;
- il est ainsi fondé à demander une pension d'invalidité au taux de 33 %.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mars 2017, rectifiée le 31 octobre 2019 quant au code de procédure et à la juridiction saisie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de Mme C... D..., rapporteure publique,
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 décembre 2013, M. B..., né le 19 avril 1954, a sollicité une pension en qualité de victime civile de la guerre d'Algérie pour des séquelles de blessures au poignet, à la jambe et au pied droits causées par une explosion de munitions en 1961. Par une décision du 23 avril 2014, le ministre de la défense a rejeté sa demande au motif que la preuve de l'imputabilité des blessures n'était pas établie. Par un jugement du 11 janvier 2017, le tribunal des pensions militaires d'Agen a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision et à l'organisation d'une expertise médicale. Par un arrêt avant-dire droit du 6 juin 2018, la cour régionale des pensions militaires d'Agen, estimant que les attestations produites étaient suffisamment précises et concordantes pour qu'il puisse être retenu que M. B... avait été blessé par une explosion de munitions en octobre 1961 à l'occasion de la découverte d'une cache d'armes, a annulé la décision du ministre de la défense et ordonné une expertise médicale afin de déterminer si des blessures en lien avec cet accident étaient à l'origine de séquelles ou d'infirmités, et le cas échéant de définir le taux d'invalidité correspondant. L'expert a déposé son rapport le 5 septembre 2019.
2. La loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense et le décret du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, pris pour l'application de l'article 51 de cette loi et portant diverses dispositions intéressant la défense, ont eu pour effet de transférer aux juridictions administratives de droit commun le contentieux des pensions militaires d'invalidité. Par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux est compétente pour statuer sur l'appel transmis en l'état par la cour régionale des pensions militaires d'Agen.
Sur la demande d'une nouvelle expertise à confier à un autre expert :
3. L'expert a tenu compte de l'ensemble des pièces du dossier médical, pris contact avec les médecins traitants ancien et actuel de M. B..., et examiné ce dernier. Il a répondu de manière argumentée à la mission consistant à décrire les troubles présentés, les séquelles et les infirmités pouvant en résulter, et à donner son avis sur leur imputabilité à l'explosion de munitions survenue en 1961. Il a enfin répondu aux dires du conseil de M. B.... Les circonstances qu'il a évalué les taux d'invalidité en se fondant sur le " barème concours médical 2003 " au lieu du guide-barème applicable au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, et qu'il a procédé à cette évaluation à la date de l'expertise et non à celle de la demande de pension, ne mettent en cause ni la régularité de l'expertise, ni le bien-fondé des conclusions selon lesquelles " seules les cicatrices visibles au niveau du poignet droit et du genou gauche pourraient être imputables aux conséquences de l'explosion " sans que soit reconnue une invalidité permanente clairement imputable à cet accident. Par suite, la demande d'une nouvelle expertise à confier à un autre expert et portant sur la même mission doit être rejetée.
Sur le droit à pension de M. B... :
4. Il résulte des dispositions combinées de l'article L. 2 et du 3° de l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicables à la date de la décision en litige, que les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ouvrent droit à pension à condition que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; (...). " Aux termes de l'article L. 6 de ce code : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. ". Il résulte de ces dernières dispositions que l'évaluation de l'invalidité au titre de laquelle la demande de pension est sollicitée doit être faite à la date de demande de la pension.
5. Ainsi qu'il a été dit au point 3, l'expert a seulement retenu l'imputabilité à l'explosion de 1961 des cicatrices visibles au niveau du poignet droit et du genou gauche, lesquelles ne sont à l'origine d'aucune infirmité. Il a attribué la fatigabilité actuelle à la marche à une pathologie vasculaire en précisant, en réponse aux dires de M. B..., que l'artériopathie des membres inférieurs avec sténoses des artères ayant nécessité de lourds traitements à partir des années 2000 avait provoqué des claudications, une fatigabilité et des douleurs, et que les calcifications des artères liées à cette pathologie étaient visibles sur les radiographies. Dès lors que le dossier relatif au passé médical de M. B... ne mentionnait aucun " problème " autre que la cicatrice, et en l'absence d'anomalie lésionnelle à la radiographie, la raideur au poignet droit, portant au demeurant uniquement sur la flexion palmaire dans le secteur utile avec un faible retentissement fonctionnel, ne peut être attribuée avec certitude à l'accident de 1961. Enfin, l'expert a relevé l'absence de mention de séquelles psychologiques dans le suivi médical de M. B..., lequel n'évoque pas de cauchemars ou de reviviscence importante. Le " tempérament nerveux et inquiet " mentionné le 23 janvier 1998 par le médecin traitant fait référence à une inquiétude relative à la pathologie cardiaque, et aucun élément du dossier médical, notamment pas les certificats du 31 mars 2003 et du 9 juillet 2019 invoqués par le requérant, n'établissent une relation entre l'anxiété constatée et l'événement traumatique vécu en 1961. Par suite, M. B..., qui n'apporte aucun élément de nature à contredire les conclusions de l'expert, n'est pas fondé à se prévaloir d'infirmités ouvrant droit à une pension.
6. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'Agen a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées au titre des frais exposés à l'occasion de l'instance d'appel ne peuvent qu'être rejetées.
7. M. B... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale des pensions d'Agen, liquidés et taxés à la somme de 1 320 euros par ordonnance de la présidente de la cour du 11 mars 2020, doivent être mis à la charge définitive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale des pensions d'Agen, liquidés et taxés à la somme de 1 320 euros par ordonnance de la présidente de la cour du 11 mars 2020, sont mis définitivement à la charge de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. L... B... et à la ministre des armées. Une copie en sera adressée à M. I..., expert.
Délibéré après l'audience du 23 février 2021 à laquelle siégeaient :
Mme K... H..., président,
Mme A... F..., présidente-assesseure,
Mme E... G..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021.
La rapporteure,
Anne F...
La présidente,
Catherine H...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04104