CAA de DOUAI, 3ème chambre, 10/11/2021, 20DA01807, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune d'Auby à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis.
Par un jugement n° 1803621 du 18 septembre 2020, le tribunal administratif de Lille a condamné la commune d'Auby à verser la somme de 2 000 euros à M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2020 et un mémoire enregistré le 7 septembre 2021 et non communiqué, M. B..., représenté par Me Fabrice Vinchant, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en ce qu'il n'a fait droit que partiellement à ses demandes ;
2°) de condamner la commune d'Auby à lui verser les sommes de 50 000 euros au titre de la réparation du préjudice résultant de sa mise à la retraite pour invalidité, de 10 000 euros en réparation de la privation du bénéfice du complément retraite, de 10 000 euros pour le préjudice financier et de 10 000 euros pour le préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Auby les dépens et la somme de 7 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée ;
- la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 ;
- le décret n°85-603 du 10 juin 1985 ;
- le décret n°86-68 du 13 janvier 1986 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;
- et les observations de Me Mathieu Strubbe, substituant Me Vinchant, pour M. B... et de Me Laurent Fillieux pour la commune d'Auby.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né le 5 août 1955, était agent de maîtrise territorial de la commune d'Auby. A la suite d'un congé de longue maladie du 6 septembre 2010 au 5 septembre 2013, il a été placé en disponibilité d'office à compter du 6 septembre 2013 avant d'être admis à la retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2016. Il a formé, le 17 janvier 2018, une demande préalable d'indemnisation pour les préjudices résultant de l'absence d'aménagement de son poste de travail et de changement de poste conformément aux préconisations du médecin du travail ainsi que de carences et de retards dans le traitement de son dossier d'invalidité. La commune d'Auby a rejeté cette demande, le 26 février 2018. Saisi par M. B..., le tribunal administratif de Lille, par un jugement du 18 septembre 2020 a condamné la commune d'Auby à verser la somme de 2 000 euros à M. B.... Ce dernier relève appel de ce jugement en ce qu'il n'a fait droit que partiellement à ses demandes. La commune d'Auby, par la voie de l'appel incident demande l'annulation de ce jugement.
Sur la responsabilité de la commune :
En ce qui concerne le respect des préconisations du médecin du travail :
2. D'une part, aux termes de l'article 24 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale, dans sa version applicable : " Les médecins du service de médecine préventive sont habilités à proposer des aménagements de poste de travail ou de conditions d'exercice des fonctions, justifiés par l'âge, la résistance physique ou l'état de santé des agents. / .../ Lorsque l'autorité territoriale ne suit pas l'avis du service de médecine préventive, sa décision doit être motivée et le comité d'hygiène ou, à défaut, le comité technique paritaire doit en être tenu informé. / En cas de contestation par les agents intéressés des propositions formulées par les médecins du service de médecine préventive, l'autorité territoriale peut saisir pour avis le médecin inspecteur régional du travail et de la main-d'œuvre territorialement compétent. ". Il résulte de ces propositions que l'autorité d'emploi doit rechercher les moyens de mettre en œuvre les préconisations du médecin du travail afin d'assurer la sécurité et la santé de ses agents. D'autre part, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail applicable à la fonction publique territoriale, en application de l'article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, tel que modifié par l'article 48 de la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ".
3. Il résulte, en l'espèce, de l'instruction que le médecin du travail a préconisé le 19 janvier 2006, un aménagement du poste de travail de M. B... afin d'éviter notamment le travail en hauteur, les positions de travail accroupi, le port de charges lourdes ou le port permanent de chaussures de sécurité. Cet avis recommandait en conséquence que soit envisagé un changement de poste. La fiche de visite du médecin du travail du 14 octobre 2008 réitérait les recommandations d'aménagement du poste et de proposition d'un poste plus adapté. Si le maire a proposé à l'intéressé, par courrier du 24 février 2010, de reprendre, à l'issue d'un congé de maladie débuté le 18 novembre 2009, sur un poste adapté à son état de santé, M. B... soutient qu'il a repris son travail sur son ancien poste, comme l'atteste un ancien employé communal. La commune en sens inverse n'apporte aucun élément pour démontrer qu'elle a suivi les préconisations du médecin du travail de 2006 et de 2008, ni qu'elle a effectivement proposé d'autres tâches à l'intéressé à compter de sa reprise le 1er mars 2010. Si les préconisations du médecin du travail, compte tenu des missions initialement confiées à M. B..., impliquaient comme le soutient la commune de lui proposer un autre poste, celle-ci n'établit ni qu'elle lui ait effectivement fait une telle proposition, ni qu'elle était dans l'impossibilité d'y procéder. Par suite, en ne suivant pas ces préconisations, la commune n'a pas assuré la protection de la santé de son agent, en méconnaissance de ses obligations rappelées au point 2. S'il n'est pas établi, comme le fait valoir la commune, que M. B... ait attiré l'attention de la commune sur le respect de ses obligations, cette circonstance n'est pas de nature à exonérer la commune de sa responsabilité.
En ce qui concerne le traitement du dossier d'invalidité de M. B... :
4. Si le rhumatologue expert ayant examiné M. B... le 6 février 2014, à la demande du comité médical, n'avait pas reçu un imprimé nécessaire à la transmission de son avis, il n'est pas établi que cette absence ait engendré un retard dans le traitement du dossier d'invalidité de l'intéressé dès lors que le comité médical demandait cet imprimé dans son avis du 21 mars 2014 et que la commune lui a adressé dès le 17 avril 2014. M. B... n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille n'a pas retenu la responsabilité de la commune pour ce fait.
5. Si M. B... se plaint d'avoir été soumis à de très nombreuses expertises, il résulte de l'instruction que les expertises ont été réalisées pour la plupart à la demande du comité médical. Il n'est ensuite pas établi que ces expertises n'étaient pas justifiées par la situation statutaire de l'intéressé, placé successivement en congé de maladie ordinaire, en congé de longue maladie puis en disponibilité d'office avant que soit reconnue son inaptitude totale et définitive et fixé son taux d'invalidité, ce qui nécessitait un avis médical sur son inaptitude tous les six mois. En outre, deux expertises ont également été entreprises pour rechercher une solution plus favorable à l'intéressé soit en envisageant sa reprise en mi-temps thérapeutique, soit pour majorer son taux d'invalidité pour une affection cardiologique. Le caractère inutile et répétitif des expertises n'est donc absolument pas démontré, comme l'a retenu à juste titre le tribunal administratif de Lille.
6. M. B... soutient que son dossier d'invalidité était constitué dès juin 2016 et qu'il aurait dû être placé en conséquence à la retraite pour invalidité plus tôt. Néanmoins, il n'établit pas, ainsi, par ses seules affirmations, que le délai de traitement de son dossier soit excessif, alors que l'avis du comité médical favorable à son admission à la retraite pour invalidité ne date que du 10 juin 2016 et que la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a déclaré que le dossier de pension était complet par courrier adressé à la commune d'Auby, dès le 8 août 2016. En tout état de cause, M. B... a été admis à la retraite pour invalidité avec effet rétroactif au 1er juillet 2016. Le délai de traitement de son dossier n'apparaît donc pas excessif et n'a pas eu d'incidence sur sa situation.
En ce qui concerne la situation de M. B... entre le 6 juin 2014 et le 5 juin 2016 :
7. L'article 72 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale prévoit que le fonctionnaire qui a épuisé ses droits à congé de maladie, de longue maladie ou de longue durée, définis à l'article 57 de la même loi est placé d'office en disponibilité. L'article 19 du décret du 13 janvier 1986 relatif aux positions de détachement, de disponibilité, de congé parental des fonctionnaires territoriaux et à l'intégration précise que : " La mise en disponibilité peut être prononcée d'office à l'expiration des droits statutaires à congés de maladie prévus au premier alinéa du 2°, au premier alinéa du 3° et au 4° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 et s'il ne peut, dans l'immédiat, être procédé au reclassement du fonctionnaire dans les conditions prévues aux articles 81 à 86 de la loi du 26 janvier 1984. / La durée de la disponibilité prononcée en vertu du premier alinéa du présent article ne peut excéder une année. Elle peut être renouvelée deux fois pour une durée égale. Si le fonctionnaire n'a pu, durant cette période, bénéficier d'un reclassement, il est, à l'expiration de cette durée, soit réintégré dans son administration s'il est physiquement apte à reprendre ses fonctions dans les conditions prévues à l'article 26, soit, en cas d'inaptitude définitive à l'exercice des fonctions, admis à la retraite ou, s'il n'a pas droit à pension, licencié. / Toutefois, si, à l'expiration de la troisième année de disponibilité, le fonctionnaire est inapte à reprendre son service, mais s'il résulte d'un avis du comité médical qu'il doit normalement pouvoir reprendre ses fonctions ou faire l'objet d'un reclassement avant l'expiration d'une nouvelle année, la disponibilité peut faire l'objet d'un troisième renouvellement. ".
8. En l'espèce, M. B... a été placé par arrêté du 8 octobre 2013 en disponibilité d'office à compter de l'expiration de ces droits à congé maladie le 6 septembre 2013, dans l'attente de l'avis du comité médical. Le comité médical s'est prononcé favorablement sur le placement en disponibilité le 21 mars 2014 et le maire a régularisé par arrêté du 22 avril 2014 plaçant l'intéressé en disponibilité à compter du 6 septembre 2013 jusqu'au 5 juin 2014. Le 1er février 2016, le conseil de l'intéressé a attiré l'attention du maire sur l'absence de position régulière depuis le 6 juin 2014. C'est seulement par arrêté du 20 juin 2016 que l'agent est à nouveau placé en disponibilité du 6 juin 2014 à la date de l'arrêté. La commune n'a donc pas respecté les dispositions rappelées au point 7 pendant toute la période comprise entre le 6 juin 2014 et le 20 juin 2016. En appel, elle justifie tant cette absence de placement dans une position régulière que l'absence de saisine du comité médical, par la nécessité d'une expertise médicale sur l'état de santé de l'agent. Toutefois, les pièces du dossier ne font état d'aucune expertise médicale entre le 21 novembre 2014 et le 10 mars 2016. La commune a donc commis une faute en s'abstenant de saisir le comité médical pour s'assurer de l'inaptitude de M. B... et de le placer dans une position régulière suite à cet avis, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille n'a retenu, par le jugement contesté, que deux fautes de la commune à savoir l'absence de respect des préconisations du médecin du travail de 2006, 2008 et 2010 et l'absence de saisine du comité médical départemental et de placement dans une position régulière durant la période comprise entre le 21 septembre 2014 et le 10 mars 2016.
Sur les liens de causalité et les préjudices :
10. M. B... soutient en premier lieu qu'il aurait pu prolonger son activité et bénéficier d'une retraite pour carrières longues. Toutefois, il n'établit pas de manière certaine que l'aménagement de son poste de travail lui aurait permis de travailler jusqu'à l'âge de soixante ans comme il le soutient. Au contraire, les expertises médicales successives réalisées entre 2011 et 2013 pour l'octroi et le renouvellement du congé de longue maladie démontrent que l'affection de M. B... est fortement évolutive, aboutissant au constat médical d'une inaptitude totale et définitive à toutes fonctions, établi par un praticien hospitalier à la demande du comité médical, le 10 mars 2016. Il n'établit donc pas qu'il aurait pu travailler, même avec un aménagement de son poste de travail jusqu'à l'âge de soixante ans. Par ailleurs, il résulte de l'article 26-1 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales qui rend applicable à ces agents l'article D. 16-1 du code des pensions civiles et militaires que le départ en retraite pour carrière longue est possible pour les fonctionnaires ayant une durée minimale d'assurances. Or, le relevé de situation établi par la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales démontre que M. B... n'avait cotisé que 127 trimestres au 1er janvier 2016. Même en cas d'aménagement de son poste de travail, l'intéressé, en disponibilité depuis le 6 septembre 2013, n'aurait donc pu avoir la durée de cotisations minimales pour bénéficier d'une retraite pour carrière longue à ses soixante ans.
11. Si M. B... soutient qu'il aurait pu bénéficier d'un complément invalidité versé par la mutuelle nationale territoriale et d'une rente complémentaire de retraite, il n'apporte aucune précision permettant d'établir le lien entre ces préjudices et les fautes retenues par le tribunal administratif de Lille et par le présent arrêt. Il n'établit pas non plus par les pièces qu'il produit, la réalité de ce préjudice.
12. Si M. B... soutient qu'il aurait pu percevoir une pension de retraite à la place de son demi-traitement en l'absence de négligence fautive dans le traitement de son dossier, le présent arrêt confirme l'absence de faute de la commune dans la gestion de son dossier de mise à la retraite à partir du moment où son inaptitude définitive à toutes fonctions a été reconnue. Au surplus, à supposer que la commune ait régulièrement saisi le comité médical pour constater son inaptitude entre le 6 juin 2014 et le 5 juin 2016, il n'est pas établi que l'inaptitude totale et définitive à toutes fonctions aurait été reconnu plus tôt, permettant à M. B... de bénéficier d'une pension d'invalidité avant le 1er juillet 2016. Le lien direct entre l'absence de la diligence de la commune et la perte de chance sérieuse de percevoir plus tôt une pension d'invalidité n'est donc pas établi.
13. M. B... demande enfin que le préjudice moral retenu par le tribunal administratif de Lille, à hauteur de 2 000 euros, soit indemnisé à hauteur de 10 000 euros. En sens inverse, la commune, par la voie de l'appel incident, demande à être déchargée de toute condamnation. L'absence d'aménagement de son poste de travail ou d'affectation sur un poste compatible avec son état de santé, a certainement affecté profondément M. B..., comme celui-ci le soutient. L'absence de décisions de la commune d'Auby entre le 21 septembre 2014 et le 10 mars 2016 a également placé l'appelant dans une situation d'incertitude sur son avenir et a créé des troubles dans ses conditions d'existence. Le certificat médical de son médecin traitant du 20 août 2018 qui évoque un état anxio-dépressif depuis quatre ans ou les témoignages de sa famille établissent la réalité de ce préjudice. Compte tenu de ces éléments, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le portant à la somme de 3 000 euros. L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 18 septembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée à ce titre par la commune d'Auby. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de cette commune, la somme de 1 500 euros à verser à M. B... au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La commune d'Auby est condamnée à verser la somme de 3 000 euros à M. B....
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 18 septembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune d'Auby versera la somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune d'Auby.
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