CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 25/11/2021, 19BX02229, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les décisions des 16 décembre 1993 et 5 mai 2017 par lesquelles le ministre de la défense a refusé de faire droit à ses demandes d'homologation en blessures de guerre des brûlures de sa main droite et de l'état post-traumatique dont il a souffert à la suite de l'évènement survenu le 1er août 1971 au Tchad et a refusé de lui attribuer la médaille des blessés de guerre.
Par un jugement n° 1701280, 1701281 du 28 mars 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 mai 2019 et le 14 octobre 2020, M. A..., représenté par Me Tucoo-Chala, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 28 mars 2019 ;
2°) d'annuler les décisions des 16 décembre 1993 et 5 mai 2017 par lesquelles le ministre de la défense a refusé de faire droit à ses demandes d'homologation en blessures de guerre des brûlures de sa main droite ainsi que de l'état post-traumatique dont il a souffert à la suite de l'évènement survenu le 1er août 1971 au Tchad et a refusé de lui attribuer la médaille des blessés de guerre ;
3°) de lui accorder l'homologation de ses blessures comme blessures de guerre et la médaille des blessés de guerre ;
4°) à titre subsidiaire d'enjoindre au ministre des armées de réexaminer sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les décisions sont entachées d'incompétence de l'auteur des actes ;
- la jurisprudence Czabaj ne peut être appliquée à des décisions antérieures à cette jurisprudence ;
- ses blessures répondent à la définition des blessures de guerre de l'article L. 4123-4 du code de la défense et à l'instruction du 8 mai 1963 ;
- en conséquence la médaille des blessés de guerre doit lui être attribuée conformément à l'article D. 355-16 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2020, le ministre des armées, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable pour ne pas avoir été précédée du recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des miliaires ;
- les conclusions dirigées contre la décision du 16 décembre 1993 sont irrecevables car tardives ;
- aucun des moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me Tucoo-Chala, représentant M. A....
Une note en délibéré présentée pour M. A..., représenté par Me Tucoo-Chala, a été enregistrée le 29 octobre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Alors qu'il était affecté au Tchad à compter du 1er juillet 1971 en vue d'assurer une mission de maintien de l'ordre, de reconnaissance et de fouilles, M. A..., sergent et chef de bord d'un engin blindé de type automitrailleuse faisant partie de l'escadron blindé du 6ème régiment interarmées d'Outre-Mer, a été victime, le 1er août 1971, de l'explosion d'une grenade d'autodéfense au phosphore. En 1993 il a présenté au ministre de la défense une demande tendant à ce que les blessures subies lors de cet accident soient homologuées en tant que blessures de guerre mais, par une décision du 16 décembre 1993, le ministre a refusé. Puis, en 2015, M. A... a formulé une demande tendant à ce que son état post traumatique, lié à sa blessure datant de 1971, soit homologué en tant que blessure de guerre et que l'insigne des blessés de guerre lui soit attribué. Par une décision du 5 mai 2017 le ministre de la défense a refusé. M. A... a saisi le tribunal administratif de Pau d'une demande tendant, notamment, à l'annulation des décisions des 16 décembre 1993 et 5 mai 2017 et il relève appel du jugement du 28 mars 2019 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 16 décembre 1993 :
2. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
3. Si cette règle de l'exercice d'un recours juridictionnel dans un délai raisonnable résulte d'une jurisprudence postérieure à la décision attaquée, il appartient en principe au juge administratif de faire application de la règle jurisprudentielle nouvelle à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance, sauf si cette application a pour effet de porter rétroactivement atteinte au droit au recours. Par suite, la circonstance que ladite règle, soit postérieure à la décision attaquée, ne saurait faire obstacle à son application au présent litige dès lors qu'il n'en résulte aucune atteinte au droit au recours de l'intéressé.
4. Ainsi que l'ont jugé à bon droit les juges de première instance, M. A... a, dans le cadre de sa demande du 14 décembre 2015 d'homologation de son état de stress post-traumatique en blessure de guerre, joint la décision attaquée du 16 décembre 1993. Aussi M. A... doit être regardé comme ayant eu connaissance de cette décision au plus tard le 14 décembre 2015, date à partir de laquelle il disposait d'un délai d'un an pour la contester. Dans ces conditions, le ministre des armées était fondé à soutenir que les conclusions à fin d'annulation de cette décision, présentées pour la première fois le 30 juin 2017 dans la requête introductive d'instance devant le tribunal administratif, soit plus d'un an après en avoir pris connaissance, étaient tardives.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 5 mai 2017 :
5. En premier lieu, la décision attaquée a été signée par le colonel Patrick Justel, chef du bureau " Pilotage synthèse ", lequel disposait d'une délégation du directeur des ressources humaines de l'armée de terre du 1er juillet 2016, régulièrement publiée, aux fins de signer tous actes, arrêtés et décisions, à l'exception des décrets, relevant de son service.
6. En deuxième lieu, en application des dispositions de l'article L. 132-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et de celles de l'instruction du 1er janvier 1917, reprises par l'instruction du 8 mai 1963, il faut entendre par blessure de guerre au sens de la réglementation applicable à l'homologation des blessures de guerre toute lésion présentant un certain degré de gravité résultant d'une action extérieure, se rattachant directement à la présence de l'ennemi, c'est à dire au combat, ou s'y rattachant indirectement en constituant une participation effective à des opérations de guerre, préparatoires ou consécutives au combat.
7. En l'espèce, l'accident dont a été victime M. A... en 1971, et auquel il rattache son stress post traumatique, s'est produit lors d'une opération dans la zone du Borkou au Tchad, lorsqu'une grenade d'autodéfense au phosphore s'est dégagée et dégoupillée dans le tube de lancement de son engin blindé. M. A... s'en est saisi pour la jeter au loin mais celle-ci lui a explosé dans les mains, occasionnant, notamment, des brûlures, à sa main droite. Il ressort de la fiche rédigée par un colonel en 1993 que cet accident s'est produit alors que certains éléments de son unité se regroupaient au bivouac non loin de la localité de Yarda. Si le requérant soutient qu'il agissait dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre et que son service était nécessairement en position de combat, cependant aucun élément au dossier ne vient contredire les circonstances de l'accident, lors de l'installation d'un bivouac au milieu d'un groupe d'hommes au repos, qui ne peuvent être regardées comme se rattachant directement à la présence de l'ennemi, c'est-à-dire au combat, non plus que comme s'y rattachant indirectement dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une opération préparatoire ou consécutive au combat. La seule circonstance que l'unité de M. A... ait été qualifiée d'unité combattante ne suffit pas à regarder l'opération particulière en cause comme une opération de guerre. Par suite, c'est à bon droit que le ministre a refusé, par la décision du 5 décembre 2017 contestée, de faire droit à sa demande d'homologation en blessure de guerre de l'état de stress post-traumatique dont il a souffert à la suite de l'évènement survenu le 1er août 1971 au Tchad.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article D. 355-16 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ont droit au port de la médaille des blessés de guerre : 1° Les militaires atteints d'une blessure de guerre, physique ou psychique, constatée par le service de santé des armées et homologuée par le ministre de la défense (...) ". En application de ces dispositions, l'attribution de la médaille des blessés de guerre nécessite préalablement une homologation de la blessure de guerre. A défaut de détenir une telle homologation, c'est à bon droit que le ministre a refusé d'attribuer à M. A... la médaille des blessés de guerre.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a rejeté ses demandes d'annulation des décisions des 16 décembre 1993 et 5 mai 2017.
Sur les autres conclusions :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A..., n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions du requérant en injonction doivent être rejetées.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 28 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2021.
La rapporteure,
Fabienne Zuccarello La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02229