CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 10/05/2022, 20MA00492, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 mai 2022
Num20MA00492
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurMme Thérèse RENAULT
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsDUPY

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme totale de 20 483 euros en réparation de l'accident dont il a été victime le 11 août 2016.

Par un jugement n° 1703047 du 27 décembre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2020, M. B..., représenté par Me Dupy, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 27 décembre 2019 ;

2°) de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme totale de
20 483 euros en réparation de l'accident dont il a été victime le 11 août 2016 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Il soutient que :
- les fautes commises par la commune de Ramatuelle, du fait d'un manquement à ses obligations de sécurité et en qualité d'employeur du pilote du bateau dont les imprudences ont conduit à l'accident qui l'a blessé, engagent sa responsabilité ;
- il n'avait pas à prendre la direction des opérations lors de la mise à l'eau du bateau qui a provoqué sa blessure et n'a commis aucune faute ;
- le bateau de sauvetage dont l'hélice l'a blessé, appartenant à la commune, n'était pas équipé du dispositif de protection de l'hélice agréé par la Société nationale du sauvetage en mer ;
- les préjudices subis du fait de cette faute doivent être évalués à la somme totale de 20 483 euros, se décomposant comme suit : 1 850 euros au titre de sa gêne fonctionnelle temporaire entre le 11 août 2016 et le 9 janvier 2017 ; 10 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent ; 2 500 euros au titre des souffrances endurées ; 2 500 euros au titre du dommage esthétique ; 84 euros au titre des frais liés à l'assistance par une tierce personne ;
1 000 euros au titre de son préjudice d'agrément et 2 549 euros au titre des pertes de salaires ;
- les sommes qu'il demande à titre d'indemnisation s'appuient sur les conclusions de l'expertise médicale qu'il a subie, et sur une perte de salaires établie.


Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2020, la commune de Ramatuelle, représentée par Me Fel, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de M. B... ;

2°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluer le préjudice subi par M. B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- aucune faute n'a été commise par le sauveteur-nageur M. A..., agent de la commune ;
- les dommages que déplorent M. B... sont la conséquence de sa seule imprudence et des ordres confus qu'il a donnés à son coéquipier ;
- l'indemnisation sollicitée a été calculée sur la base d'un rapport d'expertise qui n'a pas fait l'objet d'une discussion contradictoire dont il ne peut être tenu compte de ce fait ;
- les sommes allouées à titre d'indemnisation de son préjudice ne sauraient excéder une somme totale de 8 008,32 euros.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Fel, représentant la commune de Ramatuelle.


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., affecté à la compagnie républicaine de sécurité (CRS) 53 de Marseille, a été désigné pour la surveillance des plages de la commune de Ramatuelle pour la saison estivale 2016, du 20 juillet au 22 août 2016. Le 11 août 2016, sur la plage de Pampelonne, dans l'exercice de cette mission, il a été blessé par l'hélice d'un bateau de sauvetage (Inflatable rescue Boat ou " IRB ") piloté par M. A..., lui-même employé par la commune de Ramatuelle pour la saison en qualité de nageur sauveteur. M. B... relève appel du jugement du 27 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Ramatuelle à lui verser la somme totale de 20 483 euros en réparation des dommages consécutifs à cet accident.


Sur la faute de la commune :

2. Les articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR) et 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 alors en vigueur qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardés comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

3. Il résulte des termes de la requête de M. B... que celui-ci a entendu rechercher la responsabilité de la commune de Ramatuelle sur le seul fondement de la faute, commise, d'une part, par la commune, du fait d'un manquement à ses obligations de sécurité, et, d'autre part, par l'un de ses agents dans l'exercice de ses fonctions.

4. Aux termes de l'article L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales : " Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés. (...) Il pourvoit d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour
la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance. (...) ".




5. Il résulte de l'instruction, en particulier des termes de la note adressée au maire de la commune en date du 3 juin 2016, par le directeur zonal des CRS Sud que, durant la saison estivale, la surveillance des plages de la commune de Ramatuelle était assurée par une équipe mixte, coordonnée par un officier ou un gradé des CRS, composée pour moitié de
nageurs-sauveteurs employés par la commune et pour moitié de membres des CRS, mis à disposition de la commune pour une durée déterminée, et que cette équipe était composée de binômes composés d'un nageur sauveteur civil et d'un CRS. M. B..., CRS brigadier de la compagnie CRS 53, a ainsi été mis, par l'Etat, à disposition de la ville de Ramatuelle, qui l'a employé à la surveillance des plages de la commune, au sein d'une de ces équipes mixtes, en binôme avec un sauveteur civil, M. A..., sur lequel il n'est prévu par aucun texte que le premier avait une autorité, hiérarchique ou fonctionnelle.

6. Il résulte de l'instruction, et en particulier des différents procès-verbaux des interrogatoires des protagonistes et témoins de l'accident dressés dans le cadre de l'enquête ayant fait suite à la plainte déposée par M. B..., que, le 11 août 2016, vers 17 heures, le binôme constitué de M. B... et de M. A... a reçu l'ordre du chef de plage, dans des conditions climatiques caractérisées par une forte mer, de mettre à l'eau un IRB afin d'effectuer une patrouille nautique. Lors de l'accident, M. A... se trouvait sur le côté droit de l'embarcation, afin d'en assurer le pilotage, sans qu'il soit possible de déterminer, du fait des versions contradictoires sur ce point des intéressés, s'il se trouvait à ce poste de sa propre initiative ou sur ordre de M. B... qui, en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 5, ne disposait pas d'une autorité hiérarchique ou fonctionnelle sur son coéquipier. Alors que M. B... se trouvait à l'eau du même côté de l'embarcation qu'il maintenait face aux vagues en le tenant par une poignée, il a crié à M. A... les mots " vas-y ! " de manière insistante et ce dernier a démarré. M. B... a alors lâché la poignée du bateau, a glissé sous l'embarcation et est ressorti de l'eau avec une blessure profonde au biceps provoquée par l'hélice.

7. D'une part, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le dispositif de moteur à hélice des ISB devait être équipé d'un grillage de protection, aucune faute ne peut être retenue de ce fait à l'encontre de la commune. D'autre part, il ressort du " référentiel nageur sauveteur ", édité par la société nationale de sauvetage en mer, et produit par M. B... lui-même, que le pilote du bateau doit toujours tenir à distance l'hélice de la personne à l'eau et qu'au moment de partir de la plage, le pilote doit toujours faire monter à bord son équipier avant de démarrer, mais aussi que pilote et équipier doivent se tenir de chaque côté du bateau pour assurer son équilibre, enfin, qu'il est recommandé, pour le bon usage d'un bateau pneumatique, de ne pas évoluer derrière le moteur, de ne pas évoluer entre le bateau et la plage, et de porter ses équipements de protection individuels. Dans ces conditions, en faisant démarrer le bateau alors que M. B... se tenait insuffisamment à distance de l'hélice et sans attendre pour le faire que celui-ci se soit écarté de l'embarcation ou soit monté à bord, ce qui mettait en grave danger son coéquipier, M. A... nageur-sauveteur expérimenté, lui-même ancien CRS, a commis une faute, qui n'étant pas détachable du service, engage la responsabilité de la commune de Ramatuelle, son employeur. Toutefois, dès lors que M. B..., au moment de l'accident, évoluait près d'un bateau dont il avait lui-même demandé la mise en route, alors qu'il se tenait du même côté du bateau que le pilote, ce qui faisait d'ailleurs peser un risque sur la stabilité de l'embarcation s'il était monté de ce côté, et qu'il ne portait aucun équipement de sécurité, il a contribué, par son imprudence, à la réalisation de l'accident. Cette imprudence est de nature à exonérer la commune de Ramatuelle de la moitié de sa responsabilité.





Sur les préjudices :

En ce qui concerne les pertes de gains professionnels :

8. En produisant l'attestation du commandant de la CRS 6, en date du 7 mars 2017, M. B... établit que sa blessure en service, qui a occasionné un arrêt maladie du 11 août 2016 au 1er novembre 2016, l'a privé de la possibilité de percevoir les indemnités journalières de
63,50 euros pour la mission de surveillance des plages du 11 au 28 août 2016, pour un montant total de 1 143 euros ainsi que de la possibilité de toucher les indemnités d'absence temporaire, au taux de 37 euros par jour, durant les 38 jours de déplacement prévus durant la période suivant sa mutation dans cette compagnie, pour un montant total de 1 406 euros. Son préjudice professionnel s'élève par suite à la somme de 2 549 euros.

En ce qui concerne les autres postes de préjudice :

9. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information, dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier. La circonstance que l'expertise dont se prévaut M. B..., réalisée par le docteur E..., mandaté par la société Navimut Gestion sinistre plaisance, assureur de la commune de Ramatuelle, n'a pas été réalisée en présence de représentants de la commune ne prive ainsi pas le juge de la possibilité d'en tenir compte, comme de tout autre élément tendant à en contredire les conclusions, dès lors qu'elle est soumise au contradictoire dans le cadre de l'instance.

10. Il ressort des termes de cette expertise, qui se fonde sur des rapports médicaux, et particulièrement sur un certificat de coups et blessures établi par un médecin légiste, des comptes rendus d'hospitalisation et opératoire et des certificats médicaux des médecins qui ont suivi M. B... après son accident, et qui n'est pas utilement contestée sur ce point, que M. B... a souffert d'une gêne temporaire (ou déficit fonctionnel temporaire - DFT) totale du 11 au
12 août 2016, d'une gêne temporaire partielle de classe III (correspondant à un DFT de 50%) du 13 août 2016 au 19 août 2016 , d'une gêne temporaire partielle de classe II (correspondant à un DFT de 25%) du 20 août 2016 au 26 août 2016 et d'une gêne temporaire partielle de classe I (correspondant à un DFT de 10%) du 27 août 2016 au 9 janvier 2017. Il ressort de cette même expertise qu'il conserve de son accident, après consolidation au 9 janvier 2017, un déficit fonctionnel permanent de 5%, que les souffrances endurées ont été évaluées à 2,5 /7 et que le dommage esthétique est évalué à 2/7. Le rapport indique que M. B... a eu en outre besoin de recourir à l'aide d'un tiers d'une heure par jour entre le 13 et le 19 août, soit une période de
sept jours.

S'agissant des dépenses liées à l'assistance par une tierce personne :

11. Ainsi qu'il a été dit au point 10, M. B... justifie avoir eu besoin de l'aide d'une tierce personne une heure par jour pendant une durée de 7 jours. En retenant le taux horaire de
12 euros pour une aide non spécialisée, ce besoin s'est élevé à la somme de 84 euros.

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

12. Compte tenu des taux de déficit fonctionnel retenus par l'expert selon les différentes périodes considérées, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 415 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

13. Compte tenu du taux, évalué par l'expert à 2,5 sur 7, mais aussi de la durée limitée durant laquelle elles ont été éprouvées, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 1 500 euros.

S'agissant du préjudice esthétique :

14. Il résulte du rapport d'expertise que le préjudice esthétique de M. B... est évalué à 2 sur 7. Il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 1 500 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

15. En se bornant à faire valoir qu'à la date de l'expertise, le 28 mars 2017, il était constaté un manque de force laissant une gêne pour la pratique de la musculation, dont il a toutefois pu reprendre la pratique progressivement à compter du mois de décembre 2016, avant même la date de consolidation de son état, M. B... n'établit pas la réalité de ce préjudice.

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

16. Il ressort du rapport d'expertise que le déficit fonctionnel permanent consécutif à l'accident dont M. B... a été la victime, est de 5 %. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice, compte tenu de l'âge de M. B... à la date de consolidation de son état de santé, en l'évaluant à la somme de 5 600 euros.

17. Il résulte des points 8 à 16 que les préjudices de M. B... s'élèvent à une somme totale de 11 648 euros.

18. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices mais qu'il est seulement fondé, à demander que la commune de Ramatuelle soit condamnée à lui verser la somme de 5 824 euros, compte tenu de la part de responsabilité de 50% incombant à cette dernière.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Ramatuelle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de commune de Ramatuelle une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.



D É C I D E :


Article 1er : Le jugement du 27 décembre 2019 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : La commune de Ramatuelle versera à M. B... une somme de 5 824 euros en réparation des préjudices de ce dernier.

Article 3 : La commune de Ramatuelle versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... et les conclusions présentées par la commune de Ramatuelle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la commune de Ramatuelle ainsi qu'au ministre de l'intérieur, à la mutuelle générale de la police (MGP), à Navimut Gestion sinistres plaisance.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 10 mai 2022.



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