CAA de NANCY, 2ème chambre, 09/06/2022, 20NC02192
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 15 juin 2018 par laquelle le président directeur général du centre national de la recherche scientifique a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et la décision rejetant implicitement le recours gracieux qu'il a exercé le 24 juillet 2018.
Par un jugement n° 1802058 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 juillet 2020 et 18 février 2022, M. A... F..., représenté par Me Suissa, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 juin 2020 ;
2°) d'annuler cette décision du 15 juin 2018 et la décision de rejet implicite de son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge du centre national de la recherche scientifique une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation s'agissant du moyen tiré du vice de procédure ;
- le jugement est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
- la procédure est irrégulière dès lors le dossier soumis à la commission de réforme ne comportait pas le rapport du Dr D... et eu égard aux conditions d'établissement du procès-verbal de cette commission ; ces irrégularités l'ont privé d'une garantie et ont eu une influence sur le sens de la décision ;
- il ne peut être reconnu à son encontre de faute et la pathologie dont il souffre est en lien avec le service ;
- à supposer même qu'une faute puisse être retenue, elle n'a pas vocation à détacher la maladie du service.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er février et 14 mars 2022, le centre national de la recherche scientifique, représenté par Me Peru, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.
Par une lettre du 12 mai 2022, la cour a informé les parties, qu'en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de de la méconnaissance du champ d'application de la loi, en raison de l'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à un fonctionnaire dont la pathologie a été
diagnostiquée et les droits en matière d'imputabilité au service constitués avant le décret
n°2019-122 du 21 février 2019, entré en vigueur depuis le 24 février 2019, et de ce que la cour
est susceptible de substituer d'office aux dispositions précitées celles de l'article 34 de de la
loi n° 84-16 du 11 janvier 1984.
Par mémoire du 12 mai 2022, le centre national de la recherche scientifique a produit des observations.
Par mémoire du 14 mai 2022, M. F... a produit des observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le décret n° 84-1185 du 27 décembre 1984 relatif aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires du centre national de la recherche scientifique ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Naudin, représentant M. F... et de Me Astre, représentant le centre national de la recherche scientifique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... a été titularisé dans le corps des ingénieurs de recherches et affecté au laboratoire de mathématiques du centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Besançon en 2000. A compter du 9 février 2017, le fonctionnaire a été à plusieurs reprises en arrêts de travail. Estimant que son état dépressif était en lien avec le service, le 1er juin 2017, il a demandé que sa maladie soit reconnue imputable au service. Le 1er juin 2018, la commission de réforme a émis un avis défavorable à cette demande. Par une décision du 15 juin 2018, le président directeur général du CNRS a rejeté la demande d'imputabilité au service présentée par M. F.... Ce dernier a formé, le 24 juillet 2018, un recours gracieux contre cette décision qui a été implicitement rejeté. M. F... relève appel du jugement du 25 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 15 juin 2018 et de la décision rejetant son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de l'impartialité de la commission de réforme, les représentants du personnel n'ayant pas assisté à tous les échanges des membres de la commission. Par suite, M. F... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'un défaut de réponse à un moyen et qu'il est, pour ce motif, irrégulier.
3. Il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande de M. F....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " La commission de réforme est consultée notamment sur : (...) 2. L'imputabilité au service de l'affection entraînant l'application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 34 (4°) de la loi du 11 janvier susvisée ; (...) ". Aux termes de l'article 12 de ce décret : " Dans chaque département, il est institué une commission de réforme départementale compétente à l'égard des personnels mentionnés à l'article 15. Cette commission, placée sous la présidence du préfet ou de son représentant, qui dirige les délibérations mais ne participe pas aux votes, est composée comme suit : (...) 4. Les membres du comité médical prévu à l'article 6 du présent décret (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 5 de ce décret qui précise la composition du comité médical ministériel, auquel renvoie sur ce point le deuxième alinéa de l'article 6 relatif au comité médical départemental : " Ce comité comprend deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, pour l'examen des cas relevant de sa qualification, un spécialiste de l'affection pour laquelle est demandé le bénéfice du congé de longue maladie ou de longue durée prévu à l'article 34 (3e et 4e) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ". Enfin, aux termes de l'article 19 de ce décret : " La commission de réforme ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ; un praticien de médecine générale ou le spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération. / Les avis sont émis à la majorité des membres présents. / Lorsqu'un médecin spécialiste participe à la délibération conjointement avec les deux praticiens de médecine générale, l'un de ces deux derniers s'abstient en cas de vote (...) ".
5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que doit être présent, au sein de la commission de réforme appelée à statuer sur l'imputabilité au service de la maladie contractée par un agent, en plus des deux praticiens de médecine générale, un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par l'agent qui, s'il participe aux échanges de la commission, ne prend pas part au vote de son avis.
7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de la séance de la commission de réforme du 1er juin 2018, que deux praticiens de médecine générale étaient présents. Il est indiqué que la commission de réforme a disposé de l'arrêt de travail initial du 9 février 2017, d'un certificat médical du médecin psychiatre consulté par M. F... du 11 mai 2017 et du compte-rendu d'examen médical du Dr C... du 28 février 2018. Dans ces conditions, la commission disposait d'un certificat médical rédigé par le médecin psychiatre que consulte régulièrement le fonctionnaire et d'un rapport d'expertise récent établi par un psychiatre ayant examiné l'agent en février 2018. Eu égard à ces circonstances, l'absence de médecin spécialiste en psychiatrie lors de la réunion du 1er juin 2018 au cours de laquelle la commission de réforme a examiné la situation de M. F... n'a pas effectivement privé l'intéressé de la garantie, qui résulte des textes cités au point précédent, que constitue pour l'agent le fait que la commission de réforme soit éclairée par un médecin spécialiste de sa pathologie.
8. En deuxième lieu, comme il vient d'être dit précédemment, la commission de réforme s'est prononcée sur la situation de M. F... à l'appui d'un certificat médical d'un spécialiste et d'un rapport d'examen médical, qui concluaient au demeurant tous deux à l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre le requérant, de nature à éclairer suffisamment les membres de la commission. Par suite, la circonstance, à la supposer établie, que M. F... ait transmis au CNRS un rapport d'expertise réalisé par le Dr D... le 25 avril 2018, qui n'a pas été communiqué à la commission de réforme, ne l'a privé d'aucune garantie et n'a pas eu d'influence sur le sens de la décision attaquée.
9. En troisième lieu, le requérant soutient que les termes " rejet d'imputabilité " et le visa du rapport du Dr C... ont été ajoutés à l'avis de la commission de réforme en l'absence des représentants du personnel, membres de la commission. Toutefois, quand bien même ces mots auraient été ajoutés à l'issue de la réunion de la commission de réforme en l'absence de la majorité absolue de ses membres, le sens de l'appréciation portée par la commission n'en a pas été modifiée puisque que l'avis indiquait dans la version initiale, établie en présence de l'ensemble des membres, que " la preuve n'est pas apportée par le fonctionnaire d'un lien essentiel et direct avec la pathologie déclarée et l'exercice des fonctions ". Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que la procédure serait irrégulière sur ce point.
10. Il résulte de ce qui précède que la procédure suivie devant la commission de réforme n'est pas entachée d'irrégularité.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :
S'agissant du fondement légal :
11. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
12. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : [...] / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident [...] ".
13. Aux termes de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, créé par l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017, en vigueur depuis le 21 janvier 2017, et désormais codifié à l'article L. 822-20 du code général de la fonction publique : " I. Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. (...) / IV. -Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ".
14. Aux termes de l'article 22 du décret n° 2019-122 du 21 février 2019 : " Le fonctionnaire en congé à la suite d'un accident ou d'une maladie imputable au service continue de bénéficier de ce congé jusqu'à son terme. Toute prolongation de ce congé postérieure à l'entrée en vigueur du présent décret est accordée dans les conditions prévues au chapitre Ier. / Les conditions de forme et de délais prévues aux articles 47-2 à 47-7 du décret du 14 mars 1986 précité ne sont pas applicables aux fonctionnaires ayant déposé une déclaration d'accident ou de maladie professionnelle avant l'entrée en vigueur du présent décret. / Les délais mentionnés à l'article 47-3 du même décret courent à compter du premier jour du deuxième mois suivant la publication du présent décret lorsqu'un accident ou une maladie n'a pas fait l'objet d'une déclaration avant cette date ".
15. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique de l'Etat, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 24 février 2019, du décret n° 2019-301 du 21 février 2019, décret par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique et dont l'intervention était, au demeurant, prévue, sous forme de décret en Conseil d'Etat, par le VI de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017. Il en résulte que les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 21 février 2019.
16. En outre, dès lors que les droits des agents en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie a été diagnostiquée, la situation de M. F..., dont l'état dépressif a été diagnostiqué avant le 24 février 2019 et dont la demande de reconnaissance d'imputabilité au service a été présentée avant cette date, était exclusivement régie par les conditions de forme et de fond prévues avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires relatives au nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service.
17. Il ressort notamment des motifs de la décision attaquée que le CNRS s'est fondé sur l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 pour refuser de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie invoquée par M. F.... Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 9 à 14 que la décision attaquée ne pouvait trouver son fondement dans ces dispositions auxquelles elle se réfère. Toutefois, le pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité administrative en vertu des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 est le même que celui dont l'investissent les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Les garanties dont sont assortis ces textes sont similaires. Dans ces conditions, et ainsi qu'en ont été informées les parties, il y a lieu de substituer ces dispositions à la base légale retenue par le CNRS.
S'agissant de l'erreur d'appréciation commise par l'administration :
18. En application des dispositions rappelées au point 12, pour les maladies qui ont été diagnostiquées avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives et réglementaires relatives au congé pour invalidité temporaire imputable au service, en l'absence de présomption légale d'imputabilité, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. En outre, une maladie contractée par un fonctionnaire peut être regardée comme imputable au service sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'un incident survenu dans le cadre du service, ni celle d'un dysfonctionnement grave ou d'un comportement fautif de l'administration.
19. A l'appui de sa demande d'imputabilité au service de sa pathologie, M. F... se prévaut notamment de plusieurs éléments médicaux dont le rapport du Dr C..., médecin psychiatre agrée, du 28 février 2018, qui a réalisé l'expertise médicale demandée par la commission de réforme, lequel indique que l'état dépressif de M. F... " apparait bien comme la conséquence des conditions de travail et des difficultés vécues, l'événement du 8 février 2017 apparaissant comme le facteur déclenchant incontestable de la décompensation psychique ". Le Dr E... atteste, quant à lui, dans son certificat du 11 mai 2017 que M. F... est suivi en consultation psychiatrique depuis le 14 février 2017 " dans le cadre d'un épuisement moral avec dépression majeure d'intensité mélancolique en lien avec ce qu'il rapporte d'un harcèlement professionnel ". Le médecin de prévention, dans son rapport qui se prononce sur l'imputabilité au service de la maladie de M. F..., conclut que l'intéressé " présente un état anxio-dépressif grave qui semble résulter de la dégradation des conditions de vie au travail depuis 2013 ". A la suite d'un examen du 25 avril 2018, le Dr D..., médecin psychiatre agréé au centre hospitalier universitaire de Besançon, estime, après trois échanges avec M. F..., qu'il souffre d'une " symptomatologie dépressive sévère et réactionnelle à une situation de souffrance au travail s'étalant de 2013 à février 2017. ".
20. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. F..., ingénieur de recherche au laboratoire de mathématique du CNRS de Besançon depuis l'année 2000, a été le responsable du service ressources informatiques de ce laboratoire jusque fin 2015 et y a travaillé jusqu'à son arrêt de travail à compter du 9 février 2017. Le requérant soutient d'abord qu'à partir de 2013, les relations de travail avec le nouveau directeur ont été difficiles, jusqu'à la démission de ce dernier en janvier 2014. M. F... a produit, à cet égard, en première instance des courriers électroniques du directeur du laboratoire du 20 janvier 2014, qui annonce sa démission, et celui d'une membre du laboratoire de mathématiques du 27 mars 2014 qui informe ses collègues qu'elle quitte ses fonctions en raison de sa souffrance au travail. Ces échanges démontrent effectivement la dégradation des conditions de travail consécutive notamment aux méthodes managériales du directeur alors en place et sont corroborées par le médecin de prévention, qui indique dans son rapport, que l'intéressé lui a fait part de la dégradation de ses conditions de travail lors d'une visite médicale le 16 janvier 2014. Le praticien n'écrit toutefois pas qu'il a constaté, lors de cette visite, d'état pathologique particulier chez M. F.... Le médecin de prévention précise par contre qu'il adressé un mail au directeur du laboratoire de mathématiques le 12 décembre 2013 suite au " burn-out " d'un autre informaticien du service. Il indique, dans ce rapport rédigé en 2018, que la dégradation des conditions de travail " impacte " sept personnels techniques, sans préciser que M. F... en aurait été également victime avant 2017. Le requérant produit en outre un courrier électronique du 13 mai 2014 qu'il a adressé au nouveau directeur de laboratoire, motivé par son souhait de ne pas " voir le bateau couler sans réagir ", afin de l'alerter sur le manque de considération générale de l'institution à égard de certains personnels du laboratoire de mathématiques mais qui ne fait cependant état dans ce courrier d'aucune souffrance morale personnelle. Par ailleurs, l'intéressé se borne à soutenir, sans l'établir, que, de 2014 à 2016, il aurait informé à plusieurs reprises le nouveau directeur du laboratoire, la directrice des ressources humaines, la délégation régionale et le médecin du travail, de difficultés liées à la place des ingénieurs au sein du laboratoire et à la détérioration des conditions de travail. Le requérant ne fait pas davantage, sur ce point, état d'une éventuelle souffrance personnelle. Par ailleurs, le requérant soutient sans autre précision avoir mal vécu la réorganisation de service, qui a été menée à l'automne 2015 et qui a abouti à la nomination d'un des collaborateurs du service de ressources informatiques en tant que responsable du service. Si l'existence au cours de l'année 2013 de défaillances managériales et d'un contexte de travail dégradé au sein du laboratoire de recherche est ainsi avérée, le requérant ne produit en revanche aucune pièce relative à la période allant de 2014 à 2016 qui démontrerait la persistance de ces dysfonctionnements de management et les conséquences de conditions de travail sur son état de santé. M. F... n'établit pas notamment avoir consulté durant cette période un spécialiste ou avoir pris l'attache du médecin de prévention afin d'être aidé. Eu égard à l'ensemble de ces éléments et à la chronologie des faits, les tensions relationnelles au sein du laboratoire de mathématiques où était affecté M. F... et les méthodes managériales reprochées par le médecin de prévention ne sauraient à elles-seules caractériser l'existence d'un contexte professionnel pathogène qui serait directement à l'origine de la dépression sévère du requérant, faute notamment d'élément suffisant établissant l'existence, entre 2014 et 2017, d'un tel état dépressif .
21. En second lieu, il ressort également des pièces du dossier qu'à la suite de la découverte en décembre 2016 d'intrusions régulières de l'intéressé dans les sauvegardes de données personnelles de plusieurs utilisateurs du laboratoire de mathématiques entre novembre 2015 et décembre 2016, M. F... a été reçu à la délégation régionale de Nancy le 8 février 2017. Il a été informé lors de cet entretien qu'une procédure disciplinaire allait être engagée à son encontre à raison de ces faits. Le lendemain, M. F... s'était présenté aux urgences psychiatriques et a été hospitalisé en service de psychiatrie du 27 février au 4 avril 2017 en raison d'un risque de raptus suicidaire élevé. Il apparaît ainsi que cet entretien du 8 février 2017, au cours duquel M. F... a dû s'expliquer sur des faits d'intrusion dans des dossiers relatifs à la gestion du laboratoire, stockés dans des données personnelles notamment des directeurs successifs du laboratoire de mathématiques, a constitué l'élément déclencheur d'un stress post-traumatique consécutif à l'état de sidération subi lors de cet entretien comme cela ressort de plusieurs certificats médicaux, notamment ceux des Drs C..., D... et Musselin. Or, la circonstance que cet entretien du 8 février 2017 aurait été le facteur déclenchant de la maladie de M. F..., dont la préexistence depuis 2013 n'est pas démontrée ainsi qu'il a été dit précédemment, n'est pas, par elle-même, de nature à établir que sa pathologie serait imputable au service, ni d'ailleurs qu'il aurait été victime d'un accident de service.
22. Il s'ensuit que l'affection dont le requérant a souffert ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec l'exercice de ses fonctions ou avec ses conditions de travail. M. F... n'est dès lors pas fondé à soutenir que le CNRS a commis une erreur d'appréciation en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.
23. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée du 15 juin 2018 et de la décision de rejet implicite de son recours gracieux.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du CNRS, qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme que réclame M. F... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 25 juin 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Besançon et le surplus des conclusions de sa requête présentée devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... et au centre national de la recherche scientifique.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Lambing, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2022.
La rapporteure,
Signé : S. B... Le président,
Signé : J. MARTINEZ
La greffière,
Signé : C. SCHRAMM
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. SCHRAMM
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N° 20NC02192