CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 04/07/2022, 21MA03791, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 juillet 2022
Num21MA03791
JuridictionMarseille
Formation6ème chambre
PresidentM. PORTAIL
RapporteurM. Gilles TAORMINA
CommissaireM. THIELÉ
AvocatsAARPI CLAMENCE AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui payer la somme de 178 715 euros en réparation des préjudices subis en raison de l'accident de service dont elle a été victime le 6 octobre 2014, assortie des intérêts à compter de la réception de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1901272 du 5 juillet 2021, le tribunal a condamné l'Etat à verser à Mme D... la somme de 16 300 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2018, avec capitalisation des intérêts échus à la date du 20 décembre 2019, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, et rejeté le surplus des conclusions de la requête de Mme D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2021, Mme D..., représentée par Me Varron Charrier, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas fait totalement droit à ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 71 171,56 euros en réparation des préjudices subis en raison de l'accident de service survenu le 6 octobre 2014 dont elle a été victime, assortie des intérêts à compter de la réception de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
1°) le rectorat a commis une faute dès lors que, connaissant sa pathologie, ses supérieurs l'ont affectée à un poste nécessitant le port de charges lourdes, en méconnaissance de sa fiche de poste de gestionnaire-comptable de 2014 qui prévoyait qu'elle était d'ailleurs en principe positionnée sur un poste administratif au secrétariat des élèves comprenant " 50 % intendance et 50 % administration ", alors que, compte tenu de son état de santé, elle n'aurait pas été victime de cet accident si elle avait été affectée à un poste administratif ;
2°) elle est fondée à demander réparation de ses préjudices dans les conditions suivantes :
- le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) a été fixé à 10 % selon une expertise du 14 septembre 2018, mais c'est un taux de 20 % qui devrait être retenu ; pour une IPP de 20 %, le montant de l'allocation temporaire d'invalidité aurait dû être de 2 755,38 euros par an, soit de 229,61 euros par mois ; la perte de revenus professionnels est constituée par l'absence de versement de l'allocation temporaire d'invalidité entre le 6 octobre 2014 et le 8 juillet 2016, date à laquelle elle a perçu cette allocation, et par le fait que cette allocation aurait dû être calculée selon un taux de 20 % et non de 10 % ; sa perte de gains jusqu'au 10 février 2021 s'élève donc à 11 171,56 euros se décomposant comme suit : entre le 6 octobre 2014 et le 8 juillet 2016 : 229,61 euros par mois pendant vingt-et-un mois soit 4 821,81 euros, un manque à gagner de 115,45 euros par mois entre le 8 juillet 2016 et le 10 février 2021 soit 6 349,75 euros (115,45 euros x quatre ans et sept mois) ;
- la somme de 10 000 euros viendra réparer l'incidence professionnelle ;
- elle est fondée à obtenir 2 000 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire ;
- le Dr C... ayant chiffré son pretium doloris à hauteur de 2,5/7, elle sollicite l'indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de 5 000 euros sauf à parfaire ;
- elle sollicite l'indemnisation de son préjudice d'agrément à hauteur de 3 000 euros, privée désormais d'activités sportives ;
- il résulte des éléments du dossier que le déficit fonctionnel temporaire (DFT) justifie l'allocation d'une somme de 2 000 euros à titre de réparation, en raison, d'après le Dr C..., d'un DFT de 25 % du 6 octobre 2014 au 6 janvier 2015, de 10 % du 7 janvier au 7 avril 2015 et de 6 % du 8 avril au 30 septembre 2015 ;
- le DFP est de 20 % (10 % au titre des séquelles physiques, rapport du Dr B... ; 10 % au titre des séquelles psychologiques, rapport du Dr E... ; 1 % au titre de la gêne à la marche), taux non contesté et repris par l'administration rectorale dans son courrier du 12 avril 2021 l'informant que son dossier était transmis à la commission départementale de réforme ; âgée de soixante ans, l'appelante sollicite l'indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de 30 000 euros ;
- elle sollicite 10 000 euros en réparation de son préjudice sexuel justifié.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2022, le recteur de l'académie de Nice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Le 25 mai 2022, un mémoire a été enregistré pour Mme D... et non communiqué en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Par ordonnance du 6 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 mai 2022.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.


La présidente de la Cour a décidé, par décision du 23 mai 2022, de désigner M. Philippe Portail, président assesseur, pour présider par intérim la 6éme chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gilles Taormina, rapporteur,
- les conclusions de M. Renaud Thielé, rapporteur public,
- et les observations de Me Varron Charrier, représentant Mme D....


Deux notes en délibéré présentées pour Mme D... ont été enregistrées les 22 juin 2022 et 24 juin 2022.


Considérant ce qui suit :


1. Mme D..., affectée au service de restauration du lycée professionnel de La Coudoulière à Six-Fours-Les-Plages, a été victime le 6 octobre 2014 d'un accident reconnu imputable au service. Alors qu'elle distribuait des serviettes aux élèves, elle a attrapé avec sa main gauche un bac à verres vide qu'un élève avait poussé à hauteur de ses yeux, son bras gauche ayant fait un brusque mouvement de torsion entraînant des lésions. Par une décision du 8 décembre 2014, le recteur de l'académie de Nice lui a alors accordé un congé à plein traitement du 6 octobre au 19 novembre 2014, lequel a été prolongé, par une décision du 22 décembre 2014, jusqu'au 19 décembre suivant. Par une décision du 18 septembre 2015, l'administration lui a accordé un congé à plein traitement jusqu'au 29 juin 2015. Par cette même décision, le recteur a indiqué que les arrêts de travail postérieurs à la date du 29 juin 2015 seraient pris en charge au titre des congés de maladie ordinaire. Par ordonnance n° 1504236 du 23 février 2016, le président du tribunal administratif de Toulon, statuant en référé, a ordonné une expertise médicale confiée au Dr C..., concernant l'état de Mme D.... Le 23 juin 2016 l'expert commis a déposé son rapport.

2. Par une décision du 9 janvier 2017, le recteur a notamment revu, après avis de la commission de réforme du 8 décembre 2016, la date de sa consolidation en la fixant au 30 septembre 2015. Mme D... perçoit à ce titre une allocation temporaire d'invalidité depuis le 8 juillet 2016, sur la base d'un taux d'invalidité de 20 %.


3. Par jugement n° 1504114, 1504115 du 20 février 2018, le tribunal administratif de Toulon a notamment dit n'y avoir lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 18 septembre 2015 du recteur de l'académie de Nice en tant qu'elle fixe la date de consolidation de Mme D... au 30 juin 2015, annulé la décision du 18 septembre 2015 du recteur de l'académie de Nice en tant qu'elle refusait à Mme D... de reconnaître l'imputabilité au service des arrêts de maladie postérieurs au 29 juin 2015 et avait fixé son taux d'incapacité permanente partielle à 2 %, et a enjoint au recteur de l'académie de Nice de procéder au réexamen de sa situation.


4. Par jugement n° 1700765 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Toulon a annulé, pour illégalité externe, la décision du 9 janvier 2017 par laquelle le recteur de l'académie de Nice a refusé de reconnaître comme étant imputable au service, le préjudice psychologique dont se prévaut Mme D... suite à l'accident de service du 6 octobre 2014 et a enjoint au recteur de l'académie de Nice de procéder au réexamen de sa situation. Suite à ce jugement, Mme D... a été examinée à la demande de l'administration, par le Dr E..., médecin psychiatre, le 16 novembre 2020.


5. Sa demande d'indemnisation de son préjudice formulée par courrier du 18 décembre 2018, ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet, Mme D... relève appel du jugement n° 1901272 du 5 juillet 2021 en tant que le tribunal administratif de Toulon n'a fait que partiellement droit à sa requête indemnitaire.


Sur le bien-fondé du jugement attaqué :


6. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.


S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :


7. Il résulte de l'instruction, et notamment de sa fiche de poste, que Mme D..., gestionnaire-comptable, devait, compte tenu de ses fonctions, occuper un poste administratif exclusivement consacré à la gestion administrative et comptable des dossiers des élèves. Toutefois, Mme D... ne démontre pas que le rectorat aurait contrevenu à un quelconque avis médical par lequel l'administration aurait été informée de précautions particulières à prendre dans la détermination de ses fonctions. En outre, il résulte de l'instruction que le faux mouvement ayant entraîné les séquelles n'est pas en lien avec le port de charges lourdes et aurait donc pu être fait dans un autre service. Enfin, il résulte du certificat d'allocation temporaire d'invalidité du 14 février 2022 qu'il a été reconnu à Mme D... un taux d'invalidité de 20 %, distinct du taux de déficit fonctionnel permanent, taux d'invalidité sur la base duquel ladite allocation a été liquidée pour un montant annuel de 2 735,38 euros à compter du 8 juillet 2016. Dès lors, en l'absence de faute de l'administration, la requérante n'est pas fondée à demander réparation des préjudices patrimoniaux (incidence professionnelle et perte de revenus du fait de la sous-évaluation ou d'un versement tardif de l'allocation temporaire d'invalidité) qu'elle allègue, excédant la réparation forfaitaire que lui procure l'allocation temporaire d'invalidité.


S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :


8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire du Dr C..., médecin expert commis par le tribunal, que Mme D... a enduré des troubles dans les conditions d'existence pendant la période du 6 octobre 2014 au 6 janvier 2015 où elle a subi un déficit fonctionnel temporaire de 25 %, du 7 janvier 2015 au 7 avril 2015 où ce déficit a été évalué à 10 % et du 8 avril 2015 au 30 septembre 2015 où ce déficit a été fixé à 6 %. Le tribunal a fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 800 euros. Il sera fait une juste évaluation du préjudice ainsi subi par Mme D... en portant cette indemnisation à 1 200 euros.


9. En second lieu, Mme D... a également subi des souffrances évaluées par l'expert judiciaire commis en première instance à 2,5 sur 7. L'expert judiciaire a tenu compte du préjudice psychologique lié à l'accident, dans le cadre de ce pretium doloris. Le tribunal ayant fait une juste appréciation de la réparation de ce préjudice en lui allouant la somme de 2 500 euros, elle n'est, par suite, pas fondée à demander à ce titre une somme d'un montant supérieur.


S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :


10. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'un premier expert a conclu dans son rapport d'expertise judiciaire, qu'en ce qui concerne la période post-consolidation, la date de consolidation ayant été fixée au 30 septembre 2015, Mme D... née le 30 août 1960 demeure atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 6 % résultant de l'accident de service dont elle a été victime le 6 octobre 2014, l'expert ayant tenu compte du préjudice psychologique lié à l'accident, dans le cadre du pretium doloris. Toutefois, suite à la réclamation de Mme D..., un médecin spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologique a procédé à l'examen de Mme D... à la demande du rectorat de l'académie de Nice, et a évalué dans son rapport du 14 septembre 2018 son incapacité permanente partielle résultant de l'accident de service du 6 octobre 2014 à 10 %. Un expert psychiatre qui a examiné Mme D... également à la demande du rectorat de l'académie de Nice a estimé dans son rapport du 16 novembre 2020 que l'intéressée souffre d'un syndrome de tension post-traumatique suite à l'accident de service du 6 octobre 2014, générant une incapacité permanente partielle de 10 %. Il résulte d'ailleurs d'un courrier du 12 avril 2021 adressé par le recteur à Mme D..., que celle-ci reste atteinte d'un infirmité imputable au service d'un total de 21 %. Cette infirmité qui doit être qualifiée, faute de plus de précision et de contestation dans le cadre de la présente instance, de déficit fonctionnel permanent, justifie que la somme allouée à ce titre à l'intéressée en première instance soit portée à la somme de 30 000 euros.


11. En deuxième lieu, Mme D... justifie par ailleurs ne plus pouvoir pratiquer le fitness. Le tribunal a fait une inexacte appréciation de ce préjudice d'agrément en l'évaluant à la somme de 800 euros. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le portant à 1 500 euros.


12. En troisième lieu, l'existence d'un préjudice sexuel en lien avec les séquelles de l'accident de service n'étant pas davantage établi devant la Cour qu'en première instance, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions formulées à ce titre.


13. Compte tenu de tout ce qui précède, la somme totale allouée à Mme D... en réparation de son préjudice doit être portée à 35 200 euros.


Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :


14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie... perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens... ".


15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D É C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme D... la somme de 35 200 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2018, et capitalisation des intérêts échus à la date du 20 décembre 2019, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : Le jugement n° 1901272 rendu le 5 juillet 2021 par le tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.


Article 3 : Il est mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Nice.


Délibéré après l'audience du 20 juin 2022, où siégeaient :

- M. Philippe Portail président par intérim, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Gilles Taormina, président assesseur,
- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2022.
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