CAA de NANTES, 3ème chambre, 16/09/2022, 22NT00100, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 septembre 2022
Num22NT00100
JuridictionNantes
Formation3ème chambre
PresidentM. SALVI
RapporteurM. Xavier CATROUX
CommissaireM. BERTHON
AvocatsCHAIGNEAU

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier universitaire de Caen Normandie à lui verser la somme de 74 445 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de l'accident de service dont elle a été victime le 17 juin 2013.

Par un jugement n° 2001122 du 29 novembre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 janvier, 30 mai 2022 et 2 juin 2022, Mme A... C..., représentée par Me Chaigneau, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 29 novembre 2021 du tribunal administratif de Caen ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier universitaire de Caen Normandie à lui verser la somme de 120 923 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, et à rembourser les dépenses futures de santé sur justificatifs en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de l'accident de service dont elle a été victime le
17 juin 2013 ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale, afin notamment de déterminer l'ensemble de ses préjudices imputables à l'accident de service du 17 juin 2013 et procéder à leur évaluation en précisant, le cas échéant, l'incidence éventuelle d'un état antérieur et d'une pluralité de causes ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Caen Normandie les entiers dépens et notamment les frais de l'expertise d'un montant de 2 959,74 euros ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- il existe un lien direct et certain de causalité entre l'accident de service dont elle a été victime le 17 juin 2013 et les divers préjudices qu'elle a subis, dès lors que la complication algodystrophique dont elle souffre a été déclenchée par cet accident ;
- la responsabilité sans faute du centre hospitalier universitaire de Caen lui ouvre droit à la réparation tant de ses préjudices patrimoniaux autres que ceux résultant des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle que de ses préjudices non patrimoniaux, qui doivent être évalués aux sommes de :
* 330 euros pour les dépenses de santé actuelles, avec des dépenses de santé futures, à rembourser sur justificatifs,
* 21 528 euros pour les besoins d'assistance par tierce personne,
* 29 755 euros pour le déficit fonctionnel temporaire,
* 7 000 euros pour les souffrances endurées,
* 5 500 euros pour le préjudice esthétique temporaire,
* 40 800 euros pour le déficit fonctionnel permanent,
* 2 000 euros pour le préjudice d'agrément,
* 4 000 euros pour le préjudice esthétique permanent,
* 5 000 euros pour le préjudice sexuel,
* 5 000 euros pour les troubles dans les conditions d'existence subis.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 avril, 18 mai et 31 mai 2022, le centre hospitalier universitaire de Caen Normandie, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :
- la requête de Mme C... est irrecevable, en tant que le montant des sommes demandées en appel excédent celles demandées en première instance à hauteur de 74 445 euros ;
- les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés ;
- à supposer même qu'il existe un lien causal entre l'accident du 17 juin 2013 et l'algodystrophie dont souffre la requérante, cet accident n'a pu jouer qu'un rôle causal mineur, compte tenu de ce que cette affection était favorisée par l'âge, les troubles anxio-dépressifs de l'intéressée et un traumatisme lésionnel intervenu quelques jours plus tôt, de telle sorte que seuls 10% des préjudices invoqués pourraient être mis à la charge de l'établissement public ;
- le besoin d'assistance par tierce personne n'est pas établi ;
- le déficit fonctionnel temporaire ne peut être évalué à une somme supérieure à 7 894,25 euros ;
- le préjudice esthétique temporaire ne peut être évalué à une somme supérieure à 1 800 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent ne peut être évalué à une somme supérieure à 25 000 euros ;
- le préjudice esthétique permanent ne peut être évalué à une somme supérieure à 2 500 euros ;
- aucune indemnité ne peut être allouée au titre des troubles dans les conditions d'existence, dès lors qu'ils sont déjà réparés par l'indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent ;
- les dépenses de santé invoquées sont nouvelles en appel ;
- aucun préjudice sexuel n'est établi, compte tenu notamment des conclusions de l'expertise judiciaire ;
- une nouvelle expertise ne présente pas de caractère utile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civile et militaire de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Chaigneau, représentant Mme C... et de Me Demailly, représentant le centre hospitalier universitaire de Caen Normandie.



Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., née le 23 juillet 1972, adjointe administrative affectée au centre hospitalier universitaire de Caen Normandie, a déclaré un accident de travail le 17 juin 2013, avec une contusion du genou droit. Mme C... a, par la suite, été placée à compter du 18 juin 2013 en arrêt de travail et un bilan d'imagerie réalisé le 11 juillet 2013 a mis en évidence une modification à type d'œdème osseux localisé sur le plateau tibial externe. Le 15 mars 2019, le centre hospitalier universitaire de Caen Normandie a reconnu l'imputabilité au service de l'accident de l'intéressée après avis en ce sens de la commission de réforme du 26 février 2019. Mme C... a formé auprès de l'établissement hospitalier une réclamation préalable, tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'accident de service, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Se fondant sur les conclusions du rapport du
20 janvier 2021 établi par l'expert désigné par le tribunal pour déterminer l'étendue des séquelles et des préjudices subis par Mme C... du fait de cet accident de travail, celle-ci a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 74 445 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement du 29 novembre 2021, dont Mme C... relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Pour écarter le lien de causalité entre l'accident de service dont a été victime Mme C... et les préjudices qu'elle invoque et rejeter la demande de cette dernière, le tribunal a relevé que l'expert, dans son rapport définitif, avait émis des réserves sur le lien de causalité direct et certain entre l'accident du 17 juin 2013 et les préjudices dont Mme C... faisait état, en exposant que le mécanisme lésionnel qui est apparu sous la forme d'un traumatisme très mineur sans même un épanchement articulaire, n'était pas compatible avec les résultats de l'IRM du 11 juillet 2013 retrouvant un œdème osseux, nécessitant un traumatisme beaucoup plus violent à type de contusion interne. Les premiers juges ont ainsi exposé les considérations, notamment de fait, qui ont fondé le jugement attaqué. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que ce jugement est insuffisamment motivé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Caen :
4. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et leur mode de calcul, l'allocation temporaire d'invalidité et la rente viagère d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions qui instituent ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.
5. Il résulte de l'instruction que Mme C... a été victime d'un accident sur son lieu de travail, le 17 juin 2013, et que, dans les suites de cet accident, qui a été reconnu imputable au service, elle a été admise à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité imputable au service le 23 mars 2019. Cet accident de service ouvre pour Mme C... un droit à réparation de la part du centre hospitalier universitaire de Caen Normandie, au titre de sa responsabilité sans faute, de ses préjudices personnels et des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique, à condition que ces préjudices présentent un lien direct et certain avec l'accident en cause.
En ce qui concerne le lien direct de causalité entre l'accident de service et les préjudices invoqués par Mme C... :
6. Il résulte de l'instruction, compte tenu des observations de l'expert à la suite d'une réunion de synthèse des parties le 13 janvier 2021, que la lésion survenue lors de l'accident de service du 17 juin 2013 s'est produite, selon les déclarations de la requérante, lorsque son genou droit était appuyé sur le parechoc de son véhicule alors que celle-ci s'est penchée en avant pour récupérer des affaires dans le coffre et présente ainsi le caractère d'un traumatisme très mineur. L'examen clinique initial effectué le lendemain s'est révélé très pauvre, ne révélant aucun traumatisme visible. La lésion en cause n'a entraîné qu'une impotence fonctionnelle initialement peu importante, dès lors que l'intéressée a réalisé son service complet le jour de l'accident et s'est rendue le soir même chez son kinésithérapeute auprès duquel elle suivait une rééducation pour des douleurs chroniques au niveau cervical. Il résulte, de plus, de l'instruction que Mme C... a subi une légère entorse du genou, selon ses déclarations, le matin du 13 juin 2013 soit quatre jours avant l'accident en cause. En outre, selon l'expert, la modification à type d'œdème osseux localisé sur le plateau tibial externe, mise en évidence par le bilan d'imagerie réalisé le
11 juillet 2013, ne peut pas s'expliquer par le mécanisme de lésion très mineure du 17 juin 2013, mais nécessite la survenance d'un autre traumatisme beaucoup plus violent. De plus, la complication algodystrophique, qui a entraîné les conséquences dommageables dont Mme C... demande à être indemnisée, apparaît principalement comme une pathologie psychosomatique survenant sur un terrain fragilisé, avec notamment un antécédent de syndrome du défilé, pathologie également d'ordre psychosomatique. Il est vrai que selon les conclusions de l'expertise établie, en avril 2022, à la demande de la requérante, par un médecin en chirurgie orthopédique et traumatologie, il existerait un lien direct et certain entre le diagnostic d'algodystrophie, les séquelles observées au niveau du genou de Mme C... et l'accident du 17 juin 2013, dès lors notamment que le mécanisme lésionnel, avec un traumatisme initial minime, est compatible avec la survenue d'une algodystrophie sévère, comme en l'espèce. Toutefois, s'il est constant qu'une algodystrophie peut être déclenchée même par un traumatisme mineur, il résulte de l'instruction, compte tenu notamment des observations médicales concernant la requérante, produites en défense, que celle-ci a bien déclaré s'être fait le 13 juin 2013 une " petite entorse au genou ". Dans ces conditions, et au regard en particulier des conclusions rendues par les experts à propos de l'IRM pratiquée le 11 juillet 2013, les préjudices invoqués par la requérante et liés à l'algodystrophie dont elle souffre ne peuvent être regardés comme en lien direct et certain avec l'accident du 17 juin 2013, cette algodystrophie ayant été susceptible d'être déclenchée par d'autres événements ou d'autres causes.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de
non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire de Caen à la requête, que
Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de maintenir à la charge définitive de Mme C... les frais et honoraires de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 969,74 euros, ainsi que ceux qu'elle a exposés dans le cadre de l'expertise amiable diligentée par elle.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CHU de Caen Normandie, qui n'est pas la partie tenue aux dépens, au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au centre hospitalier universitaire de Caen Normandie.


Délibéré après l'audience du 1er septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. Catroux, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 septembre 2022.

Le rapporteur
X. B...Le président
D. SALVI

Le greffier
R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22NT00100