CAA de LYON, 7ème chambre, 23/05/2024, 20LY02041, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 mai 2024
Num20LY02041
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. JOSSERAND-JAILLET
RapporteurM. Daniel JOSSERAND-JAILLET
CommissaireMme LE FRAPPER
AvocatsBORCHTCH

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure


M. E... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 3 octobre 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité.

Par un jugement n° 1908888 du 27 mai 2020, le tribunal a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour


La cour, par un arrêt avant dire droit no 20LY02041 du 31 mars 2022, a sursis à statuer sur les conclusions des parties et a ordonné une expertise aux fins de déterminer les caractéristiques et l'étiologie de la pathologie au titre de laquelle il sollicite l'attribution d'une pension d'invalidité et si elle trouve son origine, son déclenchement ou son aggravation dans les événements de service dont il fait état, et en tout état de cause le taux de l'invalidité en résultant.


Par une ordonnance du 8 avril 2022, le président de la cour a désigné le Dr A... en qualité d'expert. Par une ordonnance du 15 décembre 2022, le président de la cour a désigné le Dr D... en qualité de sapiteur.


Le rapport de l'expertise a été déposé au greffe de la cour le 16 janvier 2024.

Le rapport d'expertise déposé le 16 janvier 2024 a été communiqué aux parties qui ont été invitées à produire leurs observations.


Par une ordonnance du président de la cour du 23 janvier 2024, les frais d'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 4 600 euros.


Par des mémoires enregistrés le 13 février 2024 et le 1er mars 2024, M. C..., représenté par Me Borchtch, persiste dans ses précédentes conclusions, demandant de statuer, à titre principal, sur son taux d'invalidité définitif sur la base du rapport d'expertise du 15 janvier 2024 et de se prononcer sur l'imputabilité au service de son affection et, subsidiairement, de condamner l'administration à lui verser une somme de 165 402,50 euros en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux qu'il a subis, de porter la somme demandée à l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la somme de 6 000 euros et de mettre à la charge de l'État les entiers dépens, et notamment, les frais d'expertise médicale.
Il soutient que :
- l'affection dont il souffre résulte du service ;
- le taux de sa pension militaire d'invalidité doit être fixé à 33,5 % ;
- ses préjudices doivent être indemnisés.


Par des mémoires enregistrés les 16 et 23 février 2024, le ministre des armées conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.


Par une ordonnance du 1er mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 mars 2024.


Par des courriers des 1er et 14 mars 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office tirés, d'une part, de ce que la demande indemnitaire de M. C..., nouvelle en appel, était irrecevable, d'autre part, de ce que faute d'avoir présenté auprès de l'administration une demande de pension militaire d'invalidité pour infirmité liée à la dépression, les conclusions présentées à cet égard étaient également irrecevables.
Le ministre a répondu à ces courriers par des mémoires enregistrés les 8 mars, 15 et 20 mars 2024, qui ont été communiqués pour les deux premiers.


M. C... a répondu au second courrier par un mémoire enregistré le 18 mars 2024, qui a été communiqué.


Vu les autres pièces du dossier ;
- l'ordonnance du 9 juin 2022 par laquelle le président de la cour a accordé une allocation provisionnelle de 2 880 euros au Dr A... ;
- l'ordonnance du 6 mars 2023 par laquelle le président de la cour a accordé une allocation provisionnelle de 880 euros au Dr D... ;
- l'ordonnance du 22 janvier 2024 par laquelle le président de la cour a taxé les frais de l'expertise réalisée par le Dr A... à la somme de 3 600 euros TTC (en ce compris l'allocation provisionnelle) et par son sapiteur, le Dr D..., à la somme de 1 000 euros (en ce compris l'allocation provisionnelle).


Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Borchtch, pour M. C... ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 mai 2024, présentée pour M. C... ;


Considérant ce qui suit :


1. M. C..., né en 1981, a exercé les fonctions de militaire sous contrat du 20 février 2009 au 19 février 2014, date de sa radiation des contrôles pour infirmité. Le 11 septembre 2015, il a sollicité auprès de la ministre des armées le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité, refusée par une décision du 3 octobre 2017. M. C... relève appel du jugement du 27 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cette décision. Par un arrêt avant dire droit du 31 mars 2022, la cour a ordonné une expertise médicale concernant l'infirmité liée à son algie vasculaire faciale (AVF). L'expert désigné par le tribunal a rendu son rapport le 16 janvier 2024.


Sur la recevabilité des conclusions :


En ce qui concerne la pension militaire d'invalidité pour dépression :

2. Il ne résulte pas de l'instruction que M. C..., dont la demande de pension militaire d'invalidité pour " algie vasculaire de la face (chronique) " a été refusée, aurait également saisi vainement l'administration d'une demande de pension pour " dépression ". Les conclusions présentées à ce dernier titre directement devant la cour sont dès lors irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

3. Les conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices non couverts par la pension militaire d'invalidité, qu'il s'agisse de ses frais de santé, de ceux exposés pour l'assistance d'une tierce personne et des dépenses liées à l'incidence professionnelle, et de ses préjudices corporels et moraux, n'ont pas été soumises aux premiers juges. Elles sont donc nouvelles en appel et, par suite, irrecevables. Elles ne peuvent en conséquence qu'être rejetées.


Sur l'ouverture des droits à pension militaire d'invalidité relatifs à l'algie vasculaire faciale (AVF) :
4. Aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui reprend les dispositions de l'ancien article L. 6 de ce même code : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande (...). ". Aux termes de l'article L. 2 de ce même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de dépôt de sa demande de pension par M. C... : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 de ce code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) ". Aux termes de l'article L. 4 de ce code, dans sa version alors applicable : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % (...) /3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / 30 % en cas d'infirmité unique ; / 40 % en cas d'infirmités multiples ". Aux termes de l'article L. 9 du même code : " (...) Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 % (...) ". Et aux termes de son article L. 10 : " Les degrés de pourcentage d'invalidité (...) correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général ".

5. Il résulte de ces dispositions que l'administration doit se placer à la date de la demande de pension de l'intéressé pour évaluer ses droits à pension militaire d'invalidité, et notamment le taux d'invalidité résultant de l'infirmité en cause, soit en l'espèce, pour l'infirmité liée à l'algie vasculaire faciale dont souffre M. C..., au 11 septembre 2015.
6. Pour leur application, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service.

7. Le guide barème, auquel l'administration se réfère, précise que l'appréciation de l'invalidité provoquée par les névralgies, auxquelles sont assimilées les algies, est un problème des plus délicats. Elles sont en effet des troubles essentiellement subjectifs, qui mettent en cause le degré de sincérité du malade, sa suggestibilité, son coefficient de tolérance, d'émotivité ou de pusillanimité. Selon ce guide, ces pathologies d'intensité moyenne, avec signes objectifs manifestes, gêne considérable de la marche et du travail donnent droit à un taux d'invalidité entre 25 et 40 %.

8. Dans son rapport d'expertise médicale du 15 janvier 2024, le médecin neurologue, qui rappelle que la littérature médicale confirme l'existence d'AVF causées par un traumatisme, indique que, depuis le choc pendant le temps du service dont il a été victime à l'arcade sourcilière droite lors d'un match de rugby le 21 décembre 2012, M. C... souffre de cette pathologie migraineuse atypique sévère et que cette dernière s'est aggravée, en particulier depuis des séances de tir d'entraînement le 14 juillet 2013 et de course à pied le 8 septembre 2014. Il résulte plus particulièrement de ce rapport que, malgré le délai qui sépare l'accident du 21 décembre 2012 de sa demande de pension pour infirmité, une filiation médicale directe et certaine existe entre cet accident et l'AVF dont il souffre. Si le ministre attribue cette algie au choc à l'origine de céphalées migraineuses subi du côté gauche par M. C... en octobre 2009 lors d'une rixe en dehors du service, rien au dossier ne permet de rattacher de manière plausible ces deux affections entre elles. Si M. C... ne s'est plaint de douleurs associées à l'AFV qu'au début du mois de janvier 2013, et non dans la semaine suivant le choc alors que, selon l'article de la revue médicale repris par l'expert dans son rapport, l'algie se développe dans ce délai, ce seul fait ne saurait suffire à remettre en cause la filiation médicale directe retenue par l'expertise. Il apparaît ainsi qu'une " filiation " au sens des dispositions ci-dessus existe entre l'accident qui s'est produit le 21 décembre 2012, mais également les deux autres évènements " traumatiques " survenus par la suite, et l'algie dont souffre M. C.... Sans être sérieusement contesté sur ce point, l'expert chiffre le taux de déficit fonctionnel de l'intéressé au taux de 30 % au 23 mars 2016, date de consolidation de sa pathologie, qui correspond à des troubles d'intensité moyenne, dans les limites fixées par le guide barème.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 3 octobre 2017 rejetant sa demande de pension militaire.

10. L'exécution du présent arrêt implique que la pension militaire d'invalidité de M. C... soit liquidée en tenant compte d'un taux de 30 % pour l'infirmité " algie vasculaire de la face ", à compter du 11 septembre 2015, date de la demande. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées d'y procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.


Sur les dépens :


11. Les frais et honoraires de l'expertise judiciaire prescrite le 31 mars 2022 doivent être mis à la charge définitive de l'État.


Sur les frais liés au litige :


12. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à M. C... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 27 mai 2020 et l'arrêté de la ministre des armées du 3 octobre 2017 sont annulés.
Article 2 : Il y a lieu de fixer le pourcentage d'invalidité de M. C... au taux de 30 %.
Article 3 : Il est enjoint au ministre des armées de liquider la pension militaire d'invalidité de M. C... dans les conditions prévues ci-dessus.
Article 4 : L'État versera une somme de 1 500 euros à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 600 euros, sont mis à la charge définitive de l'État (ministère des armées).
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et au ministre des armées.
Une copie en sera adressée pour information au Dr A..., expert et au Dr D..., sapiteur, désignés par la cour.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.


La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,
La greffière,
N° 20LY02041 2
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