CAA de PARIS, 3ème chambre, 25/06/2024, 23PA02548, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser une indemnité en réparation des conséquences dommageables de la vaccination le 7 janvier 2009 de M. D... contre la grippe par Vaxigrip, d'autre part, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale en vue de confirmer le lien entre la vaccination et la narcolepsie avec cataplexie que M. D... a développée et d'évaluer l'entier préjudice qu'il a subi depuis l'apparition des symptômes de la maladie dont il est atteint.
Par un jugement n° 2104642 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 9 juin 2023 et un mémoire en réplique enregistré le
25 octobre 2023, M. A... D... et Mme B... C..., représentés par Me Joseph-Oudin et Me Jouslin, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 avril 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de condamner l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à leur verser une indemnité en réparation de leurs préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- M. D... appartient, en tant que militaire, aux personnels relevant d'une vaccination obligatoire en application notamment de l'article L. 3111-4 du code de la santé publique et c'est à tort que le tribunal a retenu que cette obligation avait été suspendue par le décret n° 2006-1260 du 14 octobre 2006 pris en application de l'article L. 3111-1 du code de la santé publique qui ne vise pas les militaires, dont les obligations sont définies par envoi au code de la défense, en particulier son article D. 4122-13, qui a valeur supérieur au décret ; il est, par suite, fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique qui prévoient une indemnisation au titre de la solidarité nationale du préjudice directement imputable à une vaccination obligatoire ;
- le vaccin Vaxigrip contenait la souche du virus H1N1, H1N1 dont la communauté scientifique s'accorde à reconnaître qu'elle est responsable de cas de narcolepsie ; compte tenu de la date d'apparition des premiers symptômes de la narcolepsie avec cataplexie, soit quatre mois après sa vaccination, et les spécificités de cette pathologie, sa maladie doit être regardée comme imputable à cette vaccination ; selon la jurisprudence du Conseil d'Etat du 29 septembre 2021, Douchet, le juge doit n'écarter l'imputation que s'il n'existe aucune probabilité qu'un lien de causalité existe entre la vaccination et la maladie ;
- une expertise doit être ordonnée afin de constater et d'évaluer l'intégralité du préjudice subi en lien avec la vaccination.
Par des mémoires en défense enregistrés le 24 août 2023 et le 10 novembre 2023, l'ONIAM représenté par Me Saumon, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- la demande d'expertise sera rejetée comme dépourvue de caractère utile.
La requête a été communiquée à la Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de la défense nationale ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- l'instruction n° 3200/DEF/DCSSA/AST/TEC/EPID du 18 février 2005 relative à la pratique de la vaccination dans les armées ;
- la circulaire ministérielle n° 3068/DE/DCSSA/AST/TEC/EPID du 14 décembre 2007 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jouslin de Noray, représentant M. D... et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., soldat de première classe dans l'armée de terre, s'est soumis le 7 janvier 2009, à l'occasion de son incorporation, à une vaccination contre la grippe saisonnière par Vaxigrip, réalisée par le service de santé des armées. M. D... et Mme C..., sa conjointe, ont demandé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de leur verser, au titre de la solidarité nationale, une indemnité en réparation des préjudices résultant de la narcolepsie avec cataplexie dont M. D... est atteint et qu'il impute à la vaccination qu'il a subie. Par une décision du 16 mars 2021, l'ONIAM a rejeté leur demande. M. D... et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'ONIAM à réparer les préjudices résultant de la vaccination après qu'une expertise médicale soit ordonnée. Ils relèvent appel du jugement du 11 avril 2023 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne le caractère obligatoire de la vaccination contre la grippe saisonnière :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3111-1 du code de la santé publique : " La politique de vaccination est élaborée par le ministre chargé de la santé qui fixe les conditions d'immunisation, énonce les recommandations nécessaires et rend public le calendrier des vaccinations après avis de la Haute Autorité de santé. / Un décret peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre, pour tout ou partie de la population, les obligations prévues aux articles L. 3111-2 à L. 3111-4, L. 3111-6 et L. 3112-1. / (...). ". L'article L. 3111-4 du même code dispose que : " Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l'exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre (...) la grippe ". Aux termes de l'article 1er du décret du 14 octobre 2006 : " L'obligation vaccinale contre la grippe prévue à l'article L. 3111-4 du code de la santé publique est suspendue ".
3. D'autre part, aux termes de l'article D. 4122-13 du code de la défense : " Les obligations en matière de vaccinations applicables aux militaires sont fixées par instruction du ministre de la défense. ". Aux termes du point 1 de l'instruction n° 3200/DEF/DCSSA/AST/TEC/EPID du 18 février 2005 relative à la pratique de la vaccination dans les armées : " L'objectif général de la vaccination est de permettre aux individus de développer une protection active spécifique vis-à-vis d'un agent infectieux dans le respect des bonnes pratiques vaccinales. La protection vaccinale participe au maintien de la disponibilité opérationnelle du personnel militaire en tout temps et en tout lieu. Cette protection vaccinale s'appuie sur un calendrier spécifique aux armées. " Aux termes du point 2 : " (...) Le conseil d'État (assemblée, association " liberté, information, santé ", 3 mars 2004), a rappelé que le ministre de la défense est responsable de l'emploi des militaires placés sous son autorité et du maintien de l'aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées. Il est compétent pour prendre les dispositions directement liées aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de la fonction militaire. En conséquence, sont soumis aux vaccinations prévues par le calendrier vaccinal dans les armées les militaires de tous grades et de tous statuts. (...) Le refus de se soumettre aux immunisations prévues dans le calendrier vaccinal des armées, qui conditionnent l'aptitude à servir, est incompatible avec l'engagement ou le rengagement, conformément aux textes officiels qui régissent l'aptitude, édictés par les différentes armées, directions et services. (...) ".
4. Il est constant que M. D... était un militaire soumis aux vaccinations prévues par le calendrier vaccinal des armées en vigueur à la date de son incorporation et comprenant, aux termes de la circulaire susvisée du 14 décembre 2007, une vaccination contre la grippe saisonnière. De plus, il résulte des dispositions précitées que le respect de ce calendrier conditionnait son aptitude à servir. Par suite, c'est à tort que le tribunal a considéré que cette vaccination n'était pour lui pas obligatoire du fait de la suspension de l'obligation vaccinale instaurée par le décret du 14 octobre 2006 alors que les dispositions de ce décret n'ont eu pour effet de priver le ministre des armées, responsable de l'emploi des militaires placés sous son autorité et du maintien de l'aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées, de sa compétence pour rendre obligatoire, par voie d'instruction, la vaccination contre la grippe, cette obligation vaccinale étant directement liée aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de la fonction militaire.
En ce qui concerne la réparation du préjudice par l'ONIAM :
5. Aux termes de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale (...) ".
6. Il résulte des dispositions du titre auquel renvoient les termes précités de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, et en particulier des dispositions des articles
L. 3111-1 à L. 3111-11, que l'ONIAM ne saurait être regardé comme responsable de la réparation des préjudices imputables à une vaccination obligatoire pratiquée sur des militaires et que les appelants n'ont d'autres droits que ceux qui découlent de la législation sur les pensions militaires à l'exclusion de toute indemnité allouée sur le fondement d'une autre législation. Par suite, il incombe à M. D..., s'il s'y croit fondé, d'adresser sa demande d'indemnisation au ministre des armées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... D... et Mme B... C... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur requête. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... D... et de Mme B... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme B... C..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience publique du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marianne Julliard, présidente de la formation de jugement,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.
La présidente-rapporteure,
M. JULLIARD,
L'assesseure la plus ancienne,
M-I LABETOULLELe greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02548 2