Les méthodes de la guerre totale mises en œuvre en 1939-1945 ont créé des circonstances pathologiques qui
n’avaient pu être prévues lorsque fut élaboré le guide barème applicable à l’étude du droit à pension pour les
victimes de la guerre.
A l’action propre des armes de guerre se sont ajoutés la sous-alimentation scientifiquement organisée, les
transferts de populations, la terreur policière avec les sévices, les incarcérations, les exécutions et les massacres,
enfin cette monstrueuse réalisation des camps de déportation. Ceux-ci avaient pour objet l’anéantissement en masse
et systématique de millions d’êtres humains par la déchéance progressive accélérée de l’individu. L’épuisement qui
amenait cette déchéance était obtenu par l’association de multiples facteurs : surmenage physique intensif, sans
repos compensateur, manque de sommeil, état d’affamement continu, action des intempéries et conditions de
l’habitat joints à l’avilissement de la personne méthodiquement recherchée, à l’absurdité et la férocité du mode
d’existence, la dégradation et la souffrance morale, la multiplicité et la diversité des chocs affectifs débilitants. Les
exécutions sommaires, les meurtres, les coups et sévices de tous ordres, les « expériences scientifiques », les
accidents, les maladies et infections non soignées et ne dispensant pas du travail forcé, ou soignées dans des
conditions dérisoires, complétaient un appareil de destruction de l’homme dont il ne semble pas qu’il y ait
l’analogue dans l’histoire.
Son application prolongée, massive et indiscriminée (enfants, femmes et hommes de tous âges, de toutes
conditions et de toutes origines) a créé une morbidité particulière et nécessite, au regard du code, des dispositions
nouvelles sur lesquelles il convient d’attirer l’attention des médecins experts et des commissions de réforme.
Directive à l’usage des médecins experts et des membres des commissions de réforme.
Deux faits dominent la détermination du droit à pension des internés et déportés :
Le premier est l’impossibilité où ils se trouvent de faire la preuve légale de l’origine exacte des infirmités dont ils
sont atteints. Si, dans certains cas, il existe des constatations établies à la Libération, qui suffiraient à ouvrir droit au
bénéfice de la présomption d’origine normale, par contre, il est permis de remarquer que, la plupart du temps, les
examens ont été sommaires et incomplets et n’ont pu, naturellement, enregistrer les séquelles et complications
ultérieurement apparues.
Le second fait est l’existence du syndrome de la misère physiologique chronique progressive des camps,
accompagné d’un vieillissement hâtif de l’organisme plus ou moins réversible, dont ont souffert tous les déportés
sans exception. Comportant des facteurs étiopathogéniques divers et diversement associés, les uns bien déterminés
(traumatismes, maladies infectieuses), les autres généraux et imprécisément définis. Il constitue la base du droit à
réparation pour toutes les infirmités qui en découlent directement ou médicalement. Ce droit est attaché à la
détention des cartes de déporté ou d’interné.
L’assouplissement nécessaire de la présomption légale d’origine a été réalisé par la suppression des délais en ce
qui concerne la constatation médicale des infirmités. Il faut, en effet, avoir présentes à l’esprit non seulement la
multiplicité et l’intrication des facteurs pathogènes que comprend la misère physiologique des camps, mais
également la complexité et la gravité du syndrome, les lenteurs et les incertitudes de sa régression chez les
survivants, enfin l’importance de ses séquelles d’apparition tardive.
Les complications cardiaques, vasculaires et nerveuses du typhus exanthématique sont un exemple
caractéristique de ces dernières.
On peut voir, aussi, des ostéomyélites, des arthroses, des artérites, des hémopathies, des arachnoïdites crâniennes
et rachidiennes, le parkinsonisme, des myopathies, certains syndromes endocriniens définis, des cholécystites, des
néphrites, des affections digestives, etc.
La tuberculose dûment confirmée, quelles qu’en soient la localisation, la date de début, l’évolution, sera toujours
rapportée à la pathologie spéciale des déportés.
Chez la femme, les accidents d’une ménopause à l’âge habituel seront dissociés des séquelles possibles du
syndrome des camps. Les affections génitales seront imputables, dans la mesure où il est possible de les relier aux
sévices des camps (manque d’hygiène, contamination de tous ordres, expérimentations, etc.)
Les séquelles éloignées ne doivent pas être méconnues ; c’est à leur détermination que l’expert apportera toute sa
bienveillance en tenant compte des indications précédentes sur le syndrome des camps, de la difficulté qu’il y a
parfois à mettre en évidence certains facteurs définis au milieu de cet agrégat de causes pathogènes, enfin de
l’obscurité qui règne encore en bien des points de la médecine. Le doute résultant d’une incertitude des
connaissances positives doit toujours bénéficier au malade.
En revanche, on ne confondra pas ces séquelles avec des affections ultérieurement apparues, autonomes et sans
lien de filiation avec les éléments du syndrome de misère physiologique des camps. Le jeu de la présomption
illimitée dans le temps complique la tâche et doit faire pénétrer de plus en plus dans la pratique des expertises les
notions de diagnostic différentiel et étiologique que la précision limitative des données d’origine rendait autrefois
moins impérieuses. En aucun cas, la relation médicale d’un processus pathologique avec un trauma ou une maladie
vieux de dix, vingt ou trente ans et plus, ne peut être établie sur un examen sommaire, mais bien sur une anamnèse
et des explorations cliniques, paracliniques et biologiques complètes.