Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème Chambre, du 18 mai 2006, 03VE04378, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 mai 2006
Num03VE04378
JuridictionVersailles
Formation2EME CHAMBRE
PresidentMme LACKMANN
RapporteurMme Jenny GRAND D'ESNON
CommissaireM. PELLISSIER
AvocatsTESTE

Vu l'ordonnance en date du 16 août 2004, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 1er septembre 2004, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a, en application du décret n°2004-585 du 22 juin 2004 portant création d'une cour administrative d'appel à Versailles, et modifiant les articles R.221-3, R.221-4, R.221-7 et R.221-8 du code de justice au administrative, transmis à la Cour administrative d'appel de Versailles la requête présentée pour M. Thierry X, demeurant Les fermes marines, 916 allée de la Ferme à Brétignolles-sur-Mer (85470), M. Michel X, Mme Françoise X et Mlle Nathalie X demeurant tous trois ensemble ..., par Me Le Bonnois, avocat ;

Vu la requête enregistrée le 17 décembre 2003 au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris, par laquelle M. Thierry X, M. Michel X, Mme Françoise X et Mlle Nathalie X demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n°0103012 du 17 octobre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser une indemnité de 61 000 euros à M. Thierry X en réparation du préjudice qu'il a subi et de 4 000 euros à M. Michel X et à Mme Françoise X, indemnités qu'ils estiment insuffisantes ;

2°) de condamner l'Etat à verser à M. Thierry X une indemnité de 215 415,22 euros au titre des préjudices patrimoniaux et de 293 350 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux, une indemnité de 15 245 euros respectivement à M. Michel X et à Mme Françoise X et une indemnité de 12 200 euros à Mlle Nathalie X ;
3°) de condamner l'Etat à verser une somme de 1 700 euros à M. Thierry X et une somme de 305 euros chacun à M. Michel X et à Mme Françoise X et Mlle Nathalie X en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que le préjudice professionnel de M. Thierry X est important dès lors que son entrée dans la vie active a été retardée et que ses perspectives de carrière sont obérées par son handicap, ce qui justifie une indemnité de 152 500 euros ; qu'il a besoin de l'assistance d'une tierce personne 4 heures par semaine, ce qui représente un capital de 63 415, 22 euros ; que les souffrances ayant été très importantes, la somme de 30 490 euros doit être allouée pour le « pretium doloris » ; que le port d'une prothèse de la main entraîne un préjudice esthétique considérable évaluable à 30 490 euros ; que la perte de qualité de la vie durant la période d'invalidité temporaire constituant un préjudice distinct de la perte de revenu durant cette période doit être indemnisée à hauteur de 4 880 euros ; que le préjudice personnel d'agrément fonctionnel lié à ses douleurs quotidiennes et à l'abandon d'une pratique sportive variée incluant une pratique en compétition doit être évalué à 197 000 euros ; que le préjudice lié aux difficultés à mener une vie affective normale doit être évalué à 30 490 euros ; que les souffrances morales endurées par les parents et la soeur de l'intéressé justifient les sommes demandées ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du service national ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 mars 2006 :
- le rapport de Mme Grand d'Esnon, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Pellissier, commissaire du gouvernement ;

Sur la fin de non recevoir opposée par le ministre de la défense :

Considérant que la présente requête qui, pour l'essentiel, reprend les termes du mémoire en réplique produit devant les premiers juges, comporte en outre la mention incidente des demandes d'infirmation du jugement attaqué, chef de préjudice par chef de préjudice, indiquant ainsi sur quels points les requérants entendent critiquer ledit jugement ; que dès lors, elle satisfait aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative qui prévoit que la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises aux juges ; qu'il suit de là que la fin de non recevoir tirée de son insuffisante motivation doit être écartée ;
Au fond :

Considérant que les appelés du contingent effectuant leur service militaire qui subissent, dans l'accomplissement de leurs obligations, un préjudice corporel, sont fondés, ainsi que leurs ayants droit, lorsque le préjudice subi est directement imputable au service et en l'absence même de toute faute de la collectivité publique, à en obtenir réparation, dès lors que, conformément à l'article L. 62 du code du service national, le forfait de pension ne leur est pas opposable ; qu'il résulte de l'instruction que, le 14 janvier 1998, la main droite de M. Thierry X a été happée par une machine à déchiqueter les documents dans les services de la division des systèmes d'information et de communication du centre de commandement de la force aérienne de projection où il était affecté pour son service national, alors qu'il accomplissait une mission de destruction de documents ; qu'il est, par suite, fondé à demander à l'Etat réparation du préjudice qui en est résulté, ledit accident ayant conduit à l'amputation de son membre supérieur droit à hauteur du tiers inférieur de l'avant-bras ;


En ce qui concerne le préjudice subi par la victime :
Considérant, en premier lieu, que, compte tenu de l'obligation pour l'intéressé de renoncer à la pratique de divers sports dont celles du judo et de la boxe de compétition ainsi que des difficultés relationnelles et sociales induites par l'amputation pour un jeune célibataire, les premiers juges, en indemnisant les divers troubles affectant son existence à hauteur de 31 000 euros ont fait une insuffisante appréciation de ceux-ci ; qu'il sera fait une exacte appréciation de cette part non physiologique du préjudice en la portant à la somme de 45 000 euros, sans qu'il y ait lieu, compte tenu du justificatif insuffisant produit, de majorer cette somme pour l'assistance d'une tierce personne ; que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les troubles dans les conditions d'existence ainsi indemnisés sont distincts des chefs de préjudice relatifs à l'intégrité physique lesquels sont indemnisés par la seule rente allouée par l'Etat ;

Considérant, en second lieu, que, compte tenu de la double opération que M. X a subie en janvier 1999, de son hospitalisation durant plus d'un mois à l'hôpital des Invalides pour rééducation et de la nécessité pour lui de porter une prothèse myoélectrique, en évaluant à 30 000 euros les souffrances physiques et le préjudice esthétique subis, lesquels avaient été évalués successivement à 6 et à 5 sur une échelle de 7 degrés par deux médecins experts, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice ;
Considérant, enfin, que, ainsi qu'il vient d'être dit, les indemnités allouées par le présent arrêt à M. Thierry X ont pour seul objet de réparer les souffrances physiques ou morales et les préjudices esthétique ou d'agrément qu'il a endurés du fait de son accident, et non la réparation de l'atteinte subie dans son intégrité physique, laquelle a été indemnisée par la pension d'invalidité allouée par l'Etat ; que, par suite, s'agissant ainsi de chefs de préjudice distincts, le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que l'intéressé bénéficierait à tort d'une double indemnisation du seul fait que le capital représentatif de la pension d'invalidité qui lui a été accordée est supérieur à la totalité du préjudice patrimonial dont il demande réparation ;

En ce qui concerne le préjudice subi par les parents et la soeur de M. X :
Considérant que le préjudice moral subi par les parents du jeune Thierry X, leur unique fils, qui habitait chez eux, a été suffisamment indemnisé par les premiers juges, qui ont également, à juste titre, estimé que l'état de l'intéressé n'était pas de nature à justifier l'allocation d'une indemnité à sa soeur unique, âgée de 17 ans à la date de l'accident ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Thierry X, M. Michel X et Mme Françoise X sont uniquement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a limité à 31 000 euros l'indemnité due au titre des troubles dans les conditions d'existence subis par M. Thierry X ; que par voie de conséquence, il y lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens que ceux-ci ont exposés ; qu'en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que l'Etat verse à Mlle Nathalie X la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La somme de 61 000 euros mentionnée à l'article premier du jugement n° 0103012 du Tribunal administratif de Versailles en date du 17 octobre 2003 est portée à 75 000 euros.
Article 2 : Le jugement n°0103012 en date du 17 octobre 2003 du Tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : l'Etat versera à M. Thierry X, M. Michel X et Mme Françoise X une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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