Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, du 27 mars 1998, 95PA03598, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision27 mars 1998
Num95PA03598
JuridictionParis
Formation1E CHAMBRE
RapporteurM. LEVASSEUR
CommissaireMme PHEMOLANT

(1ère Chambre)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 24 octobre 1995, présentée pour M. Allal Y..., demeurant ..., par Me X..., avocat ; M. Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n 9101785/5 en date du 14 juin 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 mars 1990 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire de retraite ;
2°) d'annuler cette décision ;
3 ) d'enjoindre aux ministres de la défense et du budget, en application de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de procéder à une nouvelle liquidation de la pension de l'intéressé sur la base de l'article 78 de la loi du 19 décembre 1963, dans le délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
VU la loi n 59-1454 du 26 décembre 1959 et, notamment, son article 71 ;
VU la loi n 63-1241 du 19 décembre 1963 et, notamment, son article 78 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 mars 1998 :
- le rapport de M. LEVASSEUR, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme PHEMOLANT, commissaire du Gouver-nement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, par une décision en date du 2 mars 1990, le ministre de la défense a refusé de faire droit à la demande présentée par M. Y... et tendant à la décristallisation de sa pension ; que si devant les premiers juges, dans un mémoire enregistré le 9 août 1990, le ministre a indiqué au tribunal qu'il estimait que le requérant était "en droit d'obtenir la décristallisation de sa pension", cette observa-tion ne pouvait constituer une décision ; que, dès lors, le moyen que M. Y... a soulevé par la suite, tiré de ce qu'une telle décision serait créatrice de droit, était sans incidence sur la solution du litige ; qu'en s'abstenant d'écarter un tel moyen inopérant par des motifs explicites, le tribunal administratif n'a, en conséquence, pas entaché son jugement d'un vice de nature à en entraîner l'annulation ;
Sur la légalité de la décision du 2 mars 1990 :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que pour refuser, par une décision du 2 mars 1990, à M. Y..., ressortissant marocain et ancien militaire de l'armée française, le bénéfice des revalorisations de sa pension de retraite, le ministre de la défense a opposé à l'intéressé les dispositions de l'article 71-1 de la loi du 26 décembre 1959 aux termes desquelles "à compter du 1er janvier 1961, les pensions imputées sur le budget de l'Etat ... dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ... à la date de leur transformation" ; que, cependant, aux termes de l'article 73 de la loi du 19 décembre 1963 : "les Marocains ou Tunisiens servant dans l'armée française et comptant onze ans de services sont rayés des cadres sur leur demande ou à l'expiration de leur contrat, avec le bénéfice d'une pension de retraite proportionnelle à jouissance immédiate. Cette pension est calculée dans les conditions prévues aux articles L.26, L.27 et L.35 du code des pensions civiles et militaires de retraite" ; que M. Y..., dont la pension proportionnelle a été concédée par arrêté du 26 novembre 1966, postérieu-rement à l'entrée en vigueur de cette loi, et qui remplissait les autres conditions édictées par les dispositions susmentionnées, entrait dans le champ d'application de cette loi ; qu'en outre, les dispositions susmentionnées ont ouvert à leurs bénéficiaires des droits à pension soumis à un régime particulier qui fait échec, en ce qui les concerne, aux dispositions précitées de l'article 71-1 de la loi du 26 décembre 1959 ; qu'ainsi la pension concédée à M. Y... n'était soumise qu'aux dispositions précitées de l'article 78 de la loi du 19 décembre 1963, et dans la mesure où elles ne leur sont pas contraires, à celles du code des pensions civiles et militaires de retraite applicable à la date où il a été rayé des cadres ; que, par suite, le ministre ne pouvait, comme il l'a fait, opposer à la demande de M. Y... le caractère personnel et viager de ladite pension qui aurait résulté des dispositions précitées de l'article 71-1 de la loi du 26 décembre 1979 ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L.55 du code des pensions civiles et militaires de retraite annexé à la loi du 26 décembre 1964 dans sa rédaction applicable à la date à laquelle M. Y... a été rayé des cadres : "La pension et la rente viagère d'invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l'initiative de l'administration ou sur demande de l'intéressé que dans les conditions suivantes. A tout moment, en cas d'erreur matérielle ; dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d'erreur de droit" ; que la lettre du 11 novembre 1989, que M. Y... a adressée au secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants et victimes de guerre et qui a été transmise au service des pensions du ministère de la défense, n'avait pas, en réalité, pour objet d'obtenir la révision des bases sur lesquelles sa pension avait été liquidée, mais de se faire reconnaître le droit aux majorations légales dont il n'avait pas bénéficié ; que ladite demande ne constitue donc pas une demande de révision de pension au sens des dispositions précitées de l'article L.55 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; qu'il suit de là que M. Y... est fondé à soutenir que ces dispositions ne lui sont pas applicables ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement attaqué et de condamner l'Etat à verser à M. Y... les majora-tions légales intervenues depuis la date de concession de sa pension ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-2 du code des tribunaux adminis-tratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclu-sions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt. Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public doit à nouveau prendre une décision après une nouvelle instruction, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit par le même jugement ou le même arrêt que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé" ;
Considérant que l'annulation par le présent arrêt de la décision refusant d'appliquer à la pension de M. Y... les majorations légales et la condam-nation de l'Etat à verser lesdites majorations impliquent nécessairement que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie procède à leur liquidation et à leur paiement ; qu'il y a lieu, par suite, de renvoyer le requérant devant le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pour qu'il y soit procédé dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 14 juin 1995 est annulé.
Article 2 : La décision du 2 mars 1990 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de M. Y... est annulée.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. Y... les majorations légales intervenues depuis la date de concession de sa pension.
Article 4 : M. Y... est renvoyé devant le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pour qu'il soit procédé à la liquidation et au paiement de la somme représentative des majorations définies à l'article 3 ci-dessus à laquelle il a droit dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.