Conseil d'État, 5ème sous-section jugeant seule, 21/11/2008, 294498, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 21 novembre 2008 |
Num | 294498 |
Juridiction | |
Formation | 5ème sous-section jugeant seule |
President | Mme Hubac |
Rapporteur | M. Philippe Ranquet |
Avocats | SCP LE BRET-DESACHE |
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin et 10 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Abdellah A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 10 février 2006 par lequel la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence, sur recours du ministre de la défense, a annulé le jugement du 7 juin 2004 du tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône qui lui avait reconnu le droit à une pension sur le fondement de l'article L. 243 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et l'avait renvoyé devant l'administration pour que sa demande de pension soit instruite ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le recours du ministre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Ranquet, Auditeur,
- les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A,
- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 243 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que sont susceptibles d'avoir droit à pension les « membres des forces françaises ayant participé à la guerre d'Algérie ... entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ... lorsque les intéressés possèdent la nationalité française à la date de présentation de leur demande ou sont domiciliés en France à la même date » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour rejeter par une décision du 28 mai 2002 la demande de M. A, ancien membre des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d'Algérie pendant les années 1959 à 1962, tendant au bénéfice d'une pension sur le fondement de l'article L. 243 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, le ministre de la défense s'est fondé sur ce que, à la date de sa demande de pension, l'intéressé n'était ni de nationalité française ni domicilié en France ; que M. A a invoqué devant la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence un moyen tiré de l'incompatibilité de cette condition avec les stipulations des articles 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que la cour a omis de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant et qui était recevable bien qu'invoqué pour la première fois en appel dès lors qu'il reposait sur la même cause juridique que le moyen invoqué par M. A en première instance ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué de la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que les pensions servies en application des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre citées plus haut constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens, au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les stipulations de l'article 14 de la même convention font obstacle à ce que les personnes pouvant prétendre à ces pensions soient traitées de manière discriminatoire ; que tel est le cas lorsqu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant que le deuxième alinéa de l'article L. 243 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre subordonne le bénéfice des droits à pension qu'il ouvre aux membres des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d'Algérie ainsi qu'à leurs ayants cause à la condition, notamment, que les intéressés possèdent la nationalité française à la date de présentation de leur demande ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 9 décembre 1974, dont ces dispositions sont issues, qu'elles avaient notamment pour objet d'étendre aux membres des forces supplétives françaises ayant combattu aux côtés des militaires français au cours de la guerre d'Algérie le bénéfice des prestations que le livre Ier de ce code reconnaît aux militaires ; que toutefois, eu égard à l'objet de ces pensions et alors même que la condition de nationalité n'est pas applicable aux ressortissants étrangers qui résident en France, la différence de traitement entre les personnes concernées, selon qu'elles ont ou non la nationalité française, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif et n'est donc pas justifiée ; qu'en raison de l'incompatibilité de cette condition avec les stipulations rappelées ci-dessus, la circonstance que M. A n'était ni de nationalité française ni domicilié en France à la date de sa demande ne saurait légalement justifier le refus de lui accorder une pension sur le fondement de l'article L. 243 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône a jugé que M. A était susceptible d'avoir droit à une pension sur le fondement de l'article L. 243 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, nonobstant la circonstance qu'à la date de sa demande, il n'était ni de nationalité française ni domicilié en France, et l'a renvoyé devant l'administration pour que sa demande de pension soit instruite ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence du 10 février 2006 est annulé.
Article 2 : Le recours du ministre de la défense dirigé contre le jugement du tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône du 7 juin 2004 est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Abdellah A et au ministre de la défense.