Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 22/02/2012, 345360, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision22 février 2012
Num345360
Juridiction
Formation 8ème sous-section jugeant seule
PresidentM. Jacques Arrighi de Casanova
RapporteurMme Christine Le Bihan-Graf
CommissaireM. Laurent Olléon

Vu le pourvoi, enregistré le 28 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par Mme Garmia A, demeurant ... ; elle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08-00038 du 25 octobre 2010 par lequel la cour régionale des pensions de Nîmes a rejeté son appel formé contre le jugement du 13 octobre 2009 du tribunal départemental des pensions du Gard rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 juin 2008 du ministre de la défense rejetant sa demande tendant à l'octroi d'une pension de réversion à raison de la pension militaire d'invalidité au taux de 65 % dont son mari, décédé, était titulaire et à ce que lui soit reconnu ce droit à pension;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 57-777 du 11 juillet 1957 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme Christine Le Bihan-Graf, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;




Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :

Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense et des anciens combattants, le pourvoi en cassation présenté par Mme A comporte l'exposé d'un moyen et satisfait aux exigences de l'article R. 411-7 du code de justice administrative ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la défense et des anciens combattants ne peut être accueillie ;

Sur le pourvoi :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 26 janvier 1961, Mme A, de nationalité algérienne, a épousé M. Abderrazak B, également de nationalité algérienne et ancien soldat de l'armée française ; que leur divorce a été prononcé par jugement du 24 mai 1982 du tribunal de Constantine ; qu'ils se sont remariés le 6 août de la même année ; qu'à la date de son décès, survenu le 7 janvier 2004, M. B percevait une pension d'invalidité de l'Etat français au taux de 65 % ; que ce second mariage n'a été transcrit sur le registre des actes de mariage de la commune d'El-Khroub (Algérie) que le 4 juillet 2005 ; que, par décision du 30 juin 2008, le ministre de la défense a rejeté la demande de pension de réversion que Mme A sollicitait au titre de l'article L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que Mme A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 25 octobre 2010 par lequel la cour régionale des pensions de Nîmes a rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal départemental des pensions du Gard du 13 octobre 2009 rejetant sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à ce que lui soit reconnu un droit à une pension de réversion ;

Considérant que les droits à pension de la requérante doivent être appréciés au regard des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre applicables à la date du décès de M. B ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, les veuves des militaires et marins morts en jouissance d'une pension définitive ou temporaire correspondant à une invalidité égale ou supérieure à 60 % ont droit à pension si le mariage est antérieur soit à l'origine, soit à l'aggravation de la blessure ou de la maladie, à moins que la veuve n'ait eu un ou plusieurs enfants légitimes ou légitimés ou naturels reconnus dans les conditions prévues à l'article L. 64 de ce code ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 241 de ce code, relatif au droit à pension des militaires autochtones et de leurs ayants cause : " - La preuve du mariage et de la filiation est faite par la production soit d'actes régulièrement inscrits suivant les prescriptions des textes régissant l'état civil des autochtones musulmans, soit, à défaut, au moyen d'un acte établi par le cadi " ; que ces dispositions ont été complétées, en ce qui concerne les modalités d'établissement des actes de l'état civil relatifs au mariage, par les dispositions de la loi du 11 juillet 1957 relative à la preuve du mariage contracté en Algérie suivant les règles du droit musulman ; que, par suite, pour l'application de la législation française des pensions civiles et militaires de retraite, la preuve de la réalité de la date d'un mariage peut être faite par la production d'un des actes prévus par cette dernière loi, notamment d'un jugement déclaratif ;

Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 7 de la loi du 11 juillet 1957 : " Le mariage ainsi constaté et transcrit sur les registres de l'état civil prend effet, à l'égard des personnes ayant requis le jugement ou qui y ont été appelées, à dater du jour reconnu par le jugement comme étant celui de la célébration de l'union " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un jugement déclaratif de mariage rendu par une juridiction algérienne postérieurement à l'accession de l'Algérie à l'indépendance n'est pas opposable à l'Etat français, lorsque celui-ci n'a pas été mis en cause dans l'instance ; qu'il constitue le cas échéant un élément de preuve susceptible d'être retenu par le juge administratif pour apprécier si la matérialité ou la date du mariage est établie de façon certaine ;

Considérant que pour écarter le droit de Mme A à percevoir une pension de réversion, la cour régionale des pensions a jugé que la seconde union n'ayant été retranscrite que le 29 mars 2005, Mme A était toujours divorcée à la date du décès de M. B, le 7 janvier 2004 ; qu'en statuant ainsi sans se prononcer sur l'élément de preuve produit par la requérante et constitué par le jugement du tribunal d'El-Khroub du 29 mars 2005 reconnaissant l'existence du remariage du 6 août 1982, la cour a méconnu la portée de la loi du 11 juillet 1957 et commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour établir qu'elle était l'épouse de M. B à la date du décès de celui-ci, la requérante produit la copie d'un jugement du 29 mars 2005 par lequel le tribunal d'El-Khroub authentifie l'existence de son remariage avec M. B le 6 août 1982 et ordonne la transcription de cette union avec effet rétroactif à cette date ainsi qu'un extrait daté du 3 juillet 2007 du registre des actes de mariage de la commune d'El-Khroub attestant la transcription dans ce registre de ce jugement le 4 juillet 2005 ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'Etat français n'a pas été appelé dans l'instance ayant donné lieu à ce jugement ; que, par suite, le jugement ne lui est pas opposable et ne constitue qu'un élément de preuve susceptible d'être retenu par le juge pour apprécier si la date du mariage est établie de façon certaine ; que les énonciations de ce jugement n'étant corroborées par aucune des pièces du dossier, la requérante n'établit pas qu'elle était effectivement mariée avec M. B avant le décès ; que, par suite, Mme A n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal départemental des pensions du Gard a rejeté sa demande ;




D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt du 25 octobre 2010 de la cour régionale des pensions de Nîmes est annulé.

Article 2 : La requête présentée par Mme A devant la cour régionale des pensions de Nîmes est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Garmia A et au ministre de la défense et des anciens combattants.