Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 28/06/2012, 10MA00178, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 28 juin 2012 |
Num | 10MA00178 |
Juridiction | Marseille |
Formation | 8ème chambre - formation à 3 |
President | M. GONZALES |
Rapporteur | Mme Hélène BUSIDAN |
Commissaire | Mme VINCENT-DOMINGUEZ |
Avocats | LEMAIRE |
Vu la requête, enregistrée le 15 janvier 2010 sur télécopie confirmée le 18 suivant, présentée par Me Lemaire, avocat, pour Mme Alexandra A, élisant domicile ... ; Mme A demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0901368 rendu le 19 novembre 2009 en tant que, par l'article 1er dudit jugement, le tribunal administratif de Nîmes a limité à la somme de
25 000 euros la condamnation de l'État à l'indemniser des préjudices consécutifs à l'accident subi le 21 mars 2001 ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme totale de 248 375 euros en réparation des préjudices subis, déduction faite de la somme de 25 000 euros allouée à titre de provision ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 98-782 du 1er septembre 1998 relatif aux volontaires dans les armées ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 mars 2012 :
- le rapport de Mme Busidan, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public ;
Considérant que, par jugement rendu le 19 novembre 2009, le tribunal administratif de Nîmes a limité à la somme de 25 000 euros la réparation des préjudices de toute nature subis par Mme A consécutivement à un accident de tir dont elle a été victime le 21 mars 2001 à la suite de la manipulation d'une arme par un de ses collègues gendarmes-adjoints ; qu'elle interjette appel de ce jugement en sollicitant la réévaluation de l'indemnité allouée par les premiers juges ;
Considérant que si les dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un militaire victime d'un accident de service peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, elles ne font pas obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'État, dans le cas notamment où l'accident est imputable à une faute de service de nature à engager sa responsabilité ; que, comme l'ont relevé les premiers juges, tel est le cas en l'espèce ; qu'ainsi, Mlle A, qui s'est vu allouer une pension militaire d'invalidité à titre temporaire et une pension d'invalidité à titre définitif, a droit à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices patrimoniaux et personnels résultant de l'accident dont elle a été victime, dans la mesure toutefois où ceux-ci ne sont pas réparés par les prestations qui lui ont déjà été accordées par l'État ;
Considérant en premier lieu que les premiers juges, outre l'allocation d'une somme
de 800 euros remboursant les frais de l'expertise judiciaire qui avaient été payés par
Mlle A, ont fixé à 18 000 euros la réparation des troubles dans les conditions d'existence relatifs au déficit fonctionnel lié aux incapacités temporaires totales de travail subies avant la consolidation de son état et à l'incapacité permanente partielle de 12% qu'elle conserve, à 4 000 euros la réparation des souffrances endurées évaluées par expertise à 3,5/7, à 1 700 euros la réparation du préjudice d'agrément résultant de l'impossibilité de pratiquer des sports, et à 500 euros la réparation du préjudice esthétique évalué à 0,5/7 ; qu'en se bornant à soutenir que ces préjudices auraient été sous-évalués, l'appelante ne fournit aucun élément de nature à permettre d'établir qu'en fixant leur indemnisation ainsi qu'il vient d'être rappelé, les premiers juges les auraient insuffisamment appréciés ;
Considérant, en deuxième lieu, que Mlle A soutient qu'en dehors des pertes de revenus liées à son invalidité permanente et réparées par la pension militaire d'invalidité à titre définitif qui lui a été allouée, l'accident dont elle a été victime a eu des incidences périphériques sur sa vie professionnelle liées à la perte de chance d'évoluer dans le métier de gendarme qu'elle avait choisi, et à sa dévalorisation sur le marché du travail dès lors qu'elle n'a pu accéder qu'à un emploi sans perspective d'évolution ; qu'elle demande réparation à hauteur de 200 000 euros de ce préjudice d'incidence professionnelle ;
Considérant à cet égard, d'une part, que si Mlle A bénéficiait d'un engagement de courte durée sur la base d'un volontariat, un tel engagement a vocation à destiner les gendarmes-adjoints à devenir sous-officiers par concours ; qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des fiches de notation de l'intéressée établies au titre des années 2000 et 2001, que celle-ci envisageait sérieusement une carrière active dans la gendarmerie et qu'elle disposait, selon l'appréciation portée par sa hiérarchie, des aptitudes intellectuelles et physiques et d'une motivation certaine pour réussir le concours de sous-officier ; que l'intéressée a présenté consécutivement à son accident pendant plusieurs années, un syndrome dépressif associé à un défaut de projection dans le futur, pouvant justifier que celle-ci n'ait plus été en mesure, du fait de son accident de service, d'une part, d'envisager avec la même motivation une carrière purement sédentaire dans la gendarmerie et, d'autre part et en tout état de cause, de se présenter audit concours, même en bénéficiant d'une dispense pour les épreuves physiques ; qu'elle doit ainsi être regardée, contrairement aux énonciations du jugement sur ce point, comme ayant perdu une chance d'évolution professionnelle au sein de la gendarmerie ;
Considérant, d'autre part, que Mlle A a été au chômage entre le 30 août 2004 et le 1er décembre 2005, date à laquelle elle a seulement pu retrouver un emploi de surveillant de la voie publique au sein de la commune de Cavaillon, poste pour lequel il est avéré qu'elle éprouve des difficultés physiques, ainsi que cela ressort d'une fiche d'aptitude médicale en date du 28 janvier 2010 ; qu'elle doit, au vu de ces circonstances, être également regardée comme ayant perdu, de manière générale, une chance d'accéder à des emplois valorisants correspondant à ses dispositions intellectuelles et physiques telles qu'elles étaient évaluées avant son accident ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices subis dans les conditions sus relatées en condamnant l'État à lui verser une indemnité de 10 000 euros à ce titre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a limité à 25 000 euros la réparation des préjudices invoqués, consécutifs à l'accident de tir dont elle a été victime ; qu'elle est fondée à obtenir que l'indemnité que l'État doit être condamné à lui verser soit portée à la somme totale de 35 000 euros, et que le jugement attaqué soit réformé dans cette mesure ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État le versement à Mlle A de la somme de 1 500 euros qu'elle demande au titre des frais exposés par elle, et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'indemnité, que l'État (ministre de la défense) a été condamné par le tribunal administratif de Nîmes à verser à Mlle A, est portée à la somme de
35 000 (trente-cinq mille) euros, sous déduction de la somme de 25 000 euros allouée à la requérante par l'ordonnance du juge des référés du même tribunal administratif en date du
11 mai 2009.
Article 2 : Le jugement n° 901368 rendu le 19 novembre 2009 par le tribunal administratif de Nîmes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent dispositif.
Article 3 : L'État (ministre de la défense) versera à Mlle A la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par Mlle A est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mlle Alexandra A et au ministre de la défense.
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N° 10MA001783