Cour administrative d'appel de Paris, 6ème Chambre, 25/03/2013, 11PA00764, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 25 mars 2013 |
Num | 11PA00764 |
Juridiction | Paris |
Formation | 6ème Chambre |
President | M. FOURNIER DE LAURIERE |
Rapporteur | Mme Marie SIRINELLI |
Commissaire | M. DEWAILLY |
Avocats | DIEBOLD |
Vu la requête, enregistrée le 13 février 2011 au greffe de la Cour, présentée pour Mme C...F..., demeurant..., par MeD... ; Mme F... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0805882/5-2 du 18 novembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à :
- l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre chargé de la fonction publique, le ministre chargé de l'agriculture et le ministre chargé de la défense ont rejeté les demandes dont elle les avait saisis, respectivement, le 21 décembre 2007, le 19 décembre 2007 et le 20 décembre 2007, tendant à obtenir le versement de la part des pensions dues à son défunt père, M. B...F..., qu'elle estime devoir lui revenir, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;
- la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 102 346 euros, sauf à parfaire, assortie de son actualisation à la date du jugement à intervenir et des intérêts de droit, soit une somme de 92 346 euros au titre du préjudice financier et une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;
2°) d'annuler les décisions implicites de rejet susmentionnées ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 102 346 euros, à parfaire, assortie de son actualisation à la date de l'arrêt à intervenir et des intérêts moratoires de droit ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
Vu l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, modifié par l'article 148 de la loi du
31 décembre 1945 ;
Vu la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, modifiée ;
Vu le décret n° 65-822 du 24 septembre 1965 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 janvier 2013 :
- le rapport de Mme Sirinelli, rapporteur,
- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public ;
- et les observations de MeD..., représentant MmeF... ;
1. Considérant que Mme C...F..., née le 10 décembre 1941, a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre chargé de la fonction publique, le ministre chargé de l'agriculture et le ministre chargé de la défense ont rejeté les demandes dont elle les avait saisis, respectivement, le 21 décembre 2007, le 19 décembre 2007 et le 20 décembre 2007, tendant à obtenir le versement de la part des pensions dues à son défunt père, M. B...F..., qu'elle estime devoir lui revenir, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis ; qu'elle relève régulièrement appel du jugement du
18 novembre 2010 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;
Sur la compétence de la juridiction administrative de droit commun :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi susvisée du 31 juillet 1963 : "Sous réserve de la subrogation de l'Etat dans les droits des victimes ou de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française à la date de la promulgation de la présente loi ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou tout autre acte de violence en relation avec les événements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause, droit à pension." ; qu'aux termes de l'article L.79 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Toutes les contestations auxquelles donnent lieu l'application du livre Ier (à l'exception des chapitres Ier et IV du titre VII) et du livre II du présent code sont jugées en premier ressort par le tribunal départemental des pensions du domicile et en appel par la Cour régionale des pensions." ;
3. Considérant que ces dernières dispositions donnent aux juridictions des pensions une compétence générale et exclusive pour connaître de tous les litiges relatifs aux pensions militaires d'invalidité relevant du régime général comme des régimes spéciaux institués par ce code ; qu'en application du décret susvisé du 24 septembre 1965, le Tribunal départemental des pensions de Nîmes est compétent pour connaître des litiges qui concernent les ressortissants algériens résidant dans l'ancien département de Constantine ; qu'il en résulte que la demande présentée par Mme F...sur le fondement de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963, qui ne relève de la compétence des juridictions de droit commun de l'ordre juridictionnel administratif ni en première instance ni en appel, ressortit à la compétence de la juridiction administrative spécialisée que constitue le Tribunal des pensions de Nîmes ; qu'ainsi, le jugement attaqué doit être annulé en ce qu'il a statué sur cet aspect du litige ;
Sur la régularité du jugement :
4. Considérant que le Tribunal administratif de Paris a pu, sans entacher son jugement d'omission à statuer, rejeter la demande de Mme F...comme n'étant pas fondée en droit sans se prononcer sur la pertinence du moyen soulevé par le ministre chargé de l'agriculture et le ministre chargé de la défense, tiré de la prescription quadriennale opposable à la créance dont faisait état la requérante ; que le moyen tiré de l'omission à statuer sur ce point doit donc être écarté ;
Sur la demande relative à la pension civile d'orphelin :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 54 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en vigueur à la date du décès de M.F... : " Les veuves des fonctionnaires civils ont droit à une pension égale à 50 % de la pension obtenue par le mari ou qu'il aurait pu obtenir le jour de son décès et augmentée, le cas échéant, de la moitié de la rente d'invalidité dont le fonctionnaire bénéficiait ou aurait pu bénéficier ; / (...) " ; qu'aux termes de l'article 56 du même code : " Chaque orphelin a droit jusqu'à l'âge de vingt et un ans (...) à une pension égale à 10 % de la pension d'ancienneté ou proportionnelle obtenue par le père ou qu'il aurait pu obtenir le jour de son décès, et augmentée, le cas échéant, de 10 % de la rente d'invalidité dont il bénéficiait ou aurait pu bénéficier (...) / Au cas de décès de la mère (...), les droits définis au premier alinéa de l'article 54 passent aux enfants âgés de moins de vingt et un ans et la pension de 10 % est maintenue, à partir du deuxième, à chaque enfant mineur (...) " ; qu'aux termes de l'article 59 du même code : " Lorsqu'il existe une veuve et des enfants mineurs de deux ou plusieurs lits par suite d'un ou plusieurs mariages antérieurs du fonctionnaire, la pension de la veuve est maintenue au taux de 50 p. 100, celle des orphelins est fixée pour chacun d'eux à 10 p. 100 dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 56. / Lorsque les enfants mineurs issus de divers lits sont orphelins de père et de mère, la pension qui aurait été attribuée à la veuve au titre du premier alinéa de l'article 54 se partage par parties égales entre chaque groupe d'orphelins, la pension de 10 p. 100 des enfants étant, dans ce cas, attribuée dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 56 " ; qu'aux termes de l'article 73 du même code : " Toute demande de pension ou de rente viagère d'invalidité est adressée au ministre du département auquel appartient ou appartenait le fonctionnaire ou le militaire. Cette demande doit, à peine de déchéance, être présentée dans le délai de cinq ans à partir, pour le titulaire, du jour où il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite ou radié des cadres et, pour les ayants cause, du jour du décès du fonctionnaire ou du militaire " ; qu'enfin, aux termes de l'article 74 du même code : " Sauf l'hypothèse où la production tardive de la demande de liquidation ou de révision ne serait pas imputable au fait personnel du pensionné, il ne pourra y avoir lieu en aucun cas au rappel de plus d'une année d'arrérages antérieurs à la date du dépôt de la demande de pension " ;
6. Considérant que, comme l'ont indiqué les premiers juges, il résulte des dispositions précitées de l'article 59 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa version en vigueur à la date du décès de M.F... et de la liquidation de ses droits à pension au bénéfice de ses ayants cause, que lorsqu'il existe une veuve et des enfants mineurs de deux ou plusieurs lits par suite d'un ou plusieurs mariages antérieurs du fonctionnaire, la veuve conserve la pension au taux de 50 % tandis que la pension des orphelins est fixée pour chacun d'eux à 10 % dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 56 de ce code ; qu'ainsi, en l'espèce, compte tenu des dispositions précitées de l'article 59 du code des pensions civiles et militaires de retraite alors en vigueur et dès lors que M. F...avait laissé une veuve, c'est à bon droit que l'administration n'a pas versé à la requérante, en sa qualité d'enfant mineure issue d'un précédent lit, une partie de la pension de réversion majorée de la rente d'invalidité qui était versée à MmeE..., veuveF... ; que ces éléments ne sont pas contestés devant la Cour, la requérante soutenant néanmoins que l'administration n'a pas démontré qu'elle avait bien perçu la pension à laquelle elle avait droit et, en particulier, que l'assistance publique de Constantine était son tuteur légal et avait pu percevoir pour elle lesdites pensions ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite du décès, le 19 juillet 1956, de M. B...F..., agent technique des eaux et forêts, une pension civile égale à 50 % de la pension dont il aurait bénéficié en rémunération de ses services militaires et civils, assortie de la moitié de la rente d'invalidité à laquelle il avait droit, ainsi que des pensions temporaires d'orphelins au titre de huit enfants, ont été servies par le ministère de l'agriculture à compter du 1er août 1956 à sa veuve, Mme A...E...veuveF..., mère de six de ces enfants ; que si Mme C...F...soutient que l'administration n'est pas parvenue à établir la date de son placement à l'assistance publique, il résulte des termes de la lettre adressée le 4 novembre 1957 par l'inspecteur général de la préfecture de Constantine à la veuve de son père que l'intéressée et sa soeur Jacqueline, nées du premier mariage de M. F...et dont la mère était décédée en 1946, ont été confiées au service de l'assistance publique de Constantine, le 11 janvier 1957 ; qu'il ressort des termes de cette même lettre que la pension temporaire d'orphelin qui était servie à Mme E...veuve F...pour ces deux enfants lui a été supprimée à compter de la même date ; qu'en outre, si la requérante soutient qu'il n'est pas établi que l'assistance publique pouvait recevoir sa pension en tant que tuteur, il résulte de la déclaration de l'inspecteur départemental de l'assistance publique de Constantine, établie en application de la réglementation sur le cumul et datée du 27 octobre 1958, ainsi que du brevet d'inscription de pension délivré le même jour, que celui-ci avait été reconnu tuteur légal de l'intéressée et de sa soeur Jacqueline aux fins notamment de se voir verser la pension qui leur revenait ; qu'enfin, si les bordereaux de pension au dossier ne mentionnent que les montants des versements, et non leur titulaire, ces documents, dont le contenu est parfaitement lisible et qui doivent être interprétés à l'aide des pièces susmentionnées, établissent que l'assistance publique a perçu la pension d'orpheline au nom d'Eliane F...jusqu'au 9 décembre 1962, veille de son vingt-et-unième anniversaire, et date à laquelle le montant perçu, diminué de moitié, ne concernait plus que sa soeur cadette ; qu'ainsi, il ressort de l'ensemble de ces documents, lus à la lumière les uns des autres, que, comme l'ont estimé les premiers juges, Mme C...F...a perçu, par l'intermédiaire de son tuteur légal, la pension temporaire d'orphelin au taux de 10 % jusqu'à ses vingt et un ans ; que, dans ces conditions, Mme F...n'est pas fondée à soutenir qu'en liquidant ses droits à pension d'orpheline, l'administration a méconnu les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite alors applicables ;
8. Considérant, au surplus, qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831 modifié, demeuré applicable en l'espèce en vertu de l'article 9 de la loi du 31 décembre 1968 modifiée susvisée : " Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat (...) toutes créances qui, n'ayant pas été acquittées avant la clôture de l'exercice auquel elles appartiennent, n'auraient pu être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années (...) " ; qu'en application de ces dispositions, la créance dont se prévaut MmeF..., qui porte sur les arrérages de la pension à laquelle elle avait droit du 1er août 1956, date de liquidation des droits à pension civile acquis par son père, jusqu'au 10 décembre 1962, date de son vingt-et-unième anniversaire, était prescrite en 2007, à la date de sa réclamation ; que la requérante ne saurait utilement soutenir devant la Cour de céans que les dispositions précitées de la loi du 29 janvier 1831, qui ne prévoient pas la condition, pour permettre au délai ainsi prévu de courir, d'une connaissance de sa créance par le bénéficiaire, seraient contraires au principe général d'égalité ni, sans formuler ce moyen dans le cadre de la procédure prévue pour les questions prioritaires de constitutionnalité, que ces mêmes dispositions méconnaîtraient le principe constitutionnel d'égalité et l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; que, par suite et en tout état de cause, l'exception de prescription opposée à la demande de Mme F...doit être accueillie ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, l'administration n'ayant pas commis d'illégalité dans la liquidation des droits à pension d'orpheline de MmeF..., celle-ci n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 102 346 euros, soit 92 346 euros au titre du préjudice financier qui aurait résulté pour elle de la privation des droits à pension qu'elle tenait de son père et 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui en auraient résulté ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, pour ce qui concerne la partie du litige ressortant de la compétence de la juridiction administrative de droit commun et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la défense, Mme F...n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 18 novembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme F...au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La demande de Mme F...présentée au titre de l'article 13 de la loi du
31 juillet 1963 est transmise au Tribunal des pensions de Nîmes.
Article 2 : Le jugement n°0805882 du Tribunal administratif de Paris daté du 18 novembre 2010 est annulé en ce qu'il est contraire à l'article 1er de ce dispositif.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F...est rejeté.
''
''
''
''
2
N°11PA00764