Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 28/05/2013, 11MA02207, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision28 mai 2013
Num11MA02207
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre - formation à 3
PresidentM. GONZALES
RapporteurM. Jean-Baptiste BROSSIER
CommissaireMme HOGEDEZ
AvocatsCABINET MARC GEIGER

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour par télécopie le 8 juin 2011 sous le n° 11MA02207, régularisée le 9 juin 2011, présentée par Me B...pour M. C...A..., demeurant... ;

M. A...demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1001008 rendu le 7 avril 2011 par le tribunal administratif de Nîmes qui n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser une indemnité de 50 000 euros, en lui allouant une indemnité de 2 000 euros seulement au titre du préjudice moral ;

2°) de condamner l'État à lui verser une indemnité de 50 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi modifiée n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires ;

Vu la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, notamment son article 23 ;

Vu la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires ;

Vu le décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l'encontre d'actes relatifs à la situation personnelle des militaires ;

Vu le code de la défense ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 avril 2013 :

- le rapport de M. Brossier, rapporteur,

- et les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public ;

1. Considérant que M.A..., qui s'est engagé contractuellement dans la Légion Etrangère, demande la condamnation de l'État (ministère de la défense) à réparer à hauteur de 50 000 euros les conséquences dommageables, d'une part, du "non-renouvellement" de son dernier contrat d'engagement, d'autre part, du fait d'avoir été à tort signalé déserteur le
22 juin 2000 ; que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Nîmes, d'une part, a rejeté comme irrecevables lesdites conclusions à fin de réparation des conséquences dommageables du "non-renouvellement" du dernier contrat, d'une part, a alloué à l'intéressé la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral en réparation des conséquences dommageables du fait d'avoir été à tort déclaré déserteur ;

Sur les conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables du "non-renouvellement" du dernier contrat d'engagement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 23 de la loi susvisée du 30 juin 2000 : " Les recours contentieux formés par les agents soumis aux dispositions des lois n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle sont, à l'exception de ceux concernant leur recrutement ou l'exercice du pouvoir disciplinaire, précédés d'un recours administratif préalable exercé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé n° 2001-407, abrogé le
26 avril 2008 : " Il est institué auprès du ministre de la défense une commission chargée d'examiner les recours formés par les militaires à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle, à l'exception de ceux mentionnés à l'article 23 de la loi du 30 juin 2000 susvisée. La saisine de la commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. Cette saisine est seule de nature à conserver le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention de la décision prévue à l'article 8 du présent décret. " ; qu'aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense, dans sa rédaction issue du décret n° 2008-392 du 23 avril 2008 : " Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est, à l'exception de ceux concernant son recrutement ou l'exercice du pouvoir disciplinaire, précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires. La saisine de la commission est seule de nature à conserver le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention de la décision prévue à l'article R. 4125-10. " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'à l'exception des matières que ces dispositions ont entendu écarter expressément de la procédure de recours préalable obligatoire, la saisine de la commission des recours militaires s'impose à peine d'irrecevabilité d'un recours contentieux ; que cette saisine s'impose même en cas de réclamation indemnitaire, si elle porte sur des matières autres que le recrutement ou l'exercice du pouvoir disciplinaire ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. A...a formulé auprès du ministre de la défense le 23 novembre 2009 une réclamation préalable indemnitaire de laquelle est née une décision implicite de rejet ; que dans sa défense de première instance, le ministre de la défense avait opposé à titre principal la fin de non-recevoir tirée de l'absence de saisine préalable, par M.A..., de la commission de recours des militaires ; que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a accueilli cette fin de non-recevoir au motif que l'absence de renouvellement du contrat d'engagement en litige n'était due qu'à des motifs de santé, non à des motifs disciplinaire ; que l'appelant, qui a été réformé le 27 août 2002 pour inaptitude définitive, après avis en ce sens de la commission de réforme du 13 juin 2002, avec prise d'effet au 20 septembre 2002 et octroi d'une solde de réforme, ne conteste pas sérieusement devant la Cour le fait que le "non-renouvellement" de son contrat a été prononcé pour raison de santé, ce qui ne relève pas de la matière disciplinaire ;

4. Considérant, en second lieu, que si M. A...soutient en outre à l'appui de son recours qu'une prolongation de son engagement contractuel pour une durée de deux ans lui aurait permis de prétendre à un niveau de "préretraite" plus élevé, dès lors qu'il aurait atteint le seuil des quinze années de service au sein de la Légion Etrangère, un tel recours n'est pas afférent à un recrutement au sens de l'article R. 4125-1 précité, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, mais à une sortie du service provoquée par son inaptitude définitive et par la décision de réforme qui a suivi ; qu'au demeurant, M. A...a eu connaissance le 5 septembre 2002 de la décision du 27 août 2002 le réformant, par courrier de notification l'informant de l'existence du recours administratif préalable auprès de la commission de recours des militaires et du caractère obligatoire de ce recours avant tout recours contentieux ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M.A..., qui n'établit toujours pas qu'il a saisi la commission de recours des militaires d'un recours préalable pourtant obligatoire, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions à fin de réparation des conséquences dommageables du "non-renouvellement" de son contrat d'engagement ;

Sur la réparation des conséquences dommageables de la désertion :

6. Considérant que M.A..., qui demande l'indemnisation du préjudice moral qu'il estime avoir subi en ayant étant été considéré à tort comme déserteur, estime que le montant de 2 000 euros, alloué par le tribunal au titre de son préjudice moral, serait insuffisant ;

En ce qui concerne la recevabilité :

7. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le ministre intimé, qui demande à titre principal à la Cour la confirmation du jugement attaqué, doit être regardé, compte-tenu de son argumentation, comme ne contestant pas devant la Cour le rejet par le tribunal de la fin de non-recevoir qu'il avait opposée en première instance, tirée de l'insuffisante motivation de la requête introductive de première instance de M.A... ; que de même, il doit être regardé, compte-tenu de son argumentation, comme ne contestant pas non plus le rejet par le tribunal de la deuxième fin de non-recevoir opposée en première instance, tirée de ce que la réclamation préalable indemnitaire de l'intéressé ne faisait pas état d'un préjudice moral ;

8. Considérant, d'autre part, et s'agissant de la troisième fin de non-recevoir opposée par le ministre en première instance, tirée de l'absence de saisine préalable de la commission de recours des militaires, que le tribunal l'a rejetée au motif que le litige afférent à la réparation des conséquences dommageables de cette fausse désertion devait être regardé comme ayant un objet disciplinaire échappant, en application de l'article R. 4125-1 précité, à l'obligation du recours préalable auprès de la commission de recours des militaires ; qu'il est exact que le litige introduit par M. A...tendant à l'indemnisation du préjudice moral qu'il estime avoir subi pour avoir été considéré, à tort, comme déserteur, doit être regardé comme relevant de la matière disciplinaire, dès lors qu'il n'est pas contesté que cette désertion a été à l'origine d'une rétrogradation finalement retirée ; qu'il s'ensuit qu'en application de l'article R. 4125-1 précité, la commission de recours des militaires n'avait pas à être saisie préalablement à l'action contentieuse demandant réparation de ce préjudice moral ;

En ce qui concerne le bien-fondé :

9. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Nîmes a admis la faute de l'État de nature à engager sa responsabilité au motif que M.A..., qui a subi une sanction de rétrogradation à la suite d'un signalement le qualifiant à tort comme déserteur, a vu cette sanction retirée par l'administration qui a ainsi admis son erreur ; que le ministre intimé, qui demande à titre principal à la Cour la confirmation du jugement attaqué, doit être regardé, compte-tenu de son argumentation, comme ne contestant pas devant la Cour par la voie de l'appel incident la mise en cause de sa responsabilité, pour faute simple, pour avoir signalé à tort M. A...comme déserteur et l'avoir sanctionné à tort à ce titre ;

10. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que M.A..., alors qu'il servait au sein de la légion étrangère à Djibouti, a dû être rapatrié en France le 5 mars 2000 pour traumatisme et a été hospitalisé dans des hôpitaux militaires à compter du 6 mars 2000, en bénéficiant ensuite de 308 jours de congé de maladie sur la période courant du 6 mars 2000 au 19 janvier 2002, avant d'être déclaré le 27 août 2002 inapte définitivement au service en raison de son état de santé, à compter du 20 septembre 2002 ; que si le 22 juin 2000, il a été signalé à tort comme déserteur et a fait l'objet par suite d'une sanction de rétrogradation le
23 août 2000, l'administration militaire a toutefois reconnu son erreur en retirant le 9 mai 2006 la sanction l'abaissant du grade de caporal-chef au grade de légionnaire, en régularisant sa carrière jusqu'au 20 septembre 2002 et en le rétablissant dans ses droits à solde de réforme ; que ces mesures le rétablissant dans ses droits ne sont toutefois intervenues que six années après le signalement en 2000 comme déserteur ; que c'est donc sur cette période de six années que l'honneur du caporal-chef A...a été atteint, sans que s'y oppose la circonstance qu'il a été évincé du service en 2002 pour invalidité ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en estimant la réparation du préjudice moral de M. A...à hauteur de 4 000 euros ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'appelant est fondé à demander à la Cour de réformer le jugement attaqué en portant à 4 000 euros l'indemnité de 2 000 euros allouée par le tribunal ; que l'appel incident formulé à titre subsidiaire par le ministre intimé doit en revanche être rejeté ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris les dépens exposés par M.A... ;
DECIDE :
Article 1er : Le montant indemnitaire de 2 000 euros (deux mille euros) alloué à M. A...par le jugement attaqué du tribunal administratif de Nîmes est porté à 4 000 euros (quatre mille euros).
Article 2 : Le jugement attaqué du tribunal administratif de Nîmes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 11MA02207 de M. A...est rejeté.
Article 4 : L'appel incident formulé à titre subsidiaire par le ministre de la défense est rejeté.
Article 5 : L'État (ministère de la défense) versera à M. A...la somme de 2 000 euros
(deux mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de la défense.
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N° 11MA022075